Création le 25 décembre 2018
Chaque année, dans la première nuit de la troisième lune, sur les eaux argentées qui baignent l’île de Pé Tao (du Corail enchanté), dont les pagodes aux toits griffus et biscornus se détachent en dentelles étranges, on voit apparaître l’ombre d’une femme.
Cette ombre, légère et diaphane, vole et vole encore en tourbillons tourmentés, pendant que retentissent, lugubrement, de longs appels gémissants, et gémissants que le passant attardé sur la rive se sent glacé d’effroi.
C’est l’âme - prétend la légende - d’une jeune chinoise, belle « comme le cristal de roche » et fine « comme le jade », « la divine Kiane-Line » morte tragiquement et qui, avide encore des joies terrestres, revient sans relâche quêter l’enveloppe d’un corps humain.
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Par ailleurs Théodore Valensi est aussi l’auteur d’un roman sur la société civile tunisienne :
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Commençons par quelques portraits :
WANG-TSÉ-MÉ
Les Chinois, doux, pacifiques et contemplatifs, sont, pourtant - c’est Valensi qui le dit - impitoyables dans le châtiment. Dans leur immense pays, quelques milliers de magistrats maintiennent l’ordre et la paix par la seule rigueur des sanctions. Le bourreau, auxiliaire précieux de la justice, sait imposer au public un exemple terrifiant. Wang-Tsé-Mé, d’extraction modeste, résolut de semer la terreur par un art suprêmement cruel. Il déconcerta, par l’atrocité des tortures qu’il imagina. Chaque jour, il faisait plus, il faisait pire, car il voulait obtenir des prodiges de souffrance.
YA-NEI
Ce jeune lettré fut condamné à mort pour avoir assassiné Luch’é (Serpent Vert), prince de la famille régnante et accusé par le peuple d’avoir outragé la mémoire de Confucius. L’Empereur estima que seul Wang-Tsé-Mé était capable de lui infliger les tortures infernales que méritait un tel crime. Ce qui fut fait, avec une perversité maximale et un succès triomphal. Il fut nommé Juge, puis Préfet. Or Ya-Nei était l’amant de Kiane-Line.
Une femme superbe, dont tout-un-chacun ne peut que tomber amoureux au premier regard. Cela est aussi le cas de Wang-Tsé-Mé, qui la fait enlever, et la fait prisonnière dans son splendide château, entouré d’un jardin féérique - les Chinois ont le culte de la verdure, des fleurs et des ruisseaux - , sur l’île de Pé-Tao (du corail enchanté). Il la veut éprise de sa grandeur, et attendra le temps qu’il faudra. Cela fait déjà deux ans que cela dure. Kiane-Line y est abandonnée avec sa servante et son guépard.
TCHEN-LY-SEN
N’allez jamais dans une fumerie d’opium si vous avez un secret à garder. Il paraît que, sous le charme du narcotique, on rêve à haute voix. C’est ce qui est arrivé à Tchen-Ly-Sen, qui est un fait un membre du personnel de Wang-Tsé-Mé, et est chargé de surveiller Kiane-Line. dont il est évidemment quelque peu amoureux. Or Wang-Tsé-Mé reçoit un envoyé de l’Empereur qui lui demande de venir d’urgence à Pékin pour arrêter les mesures nécessitées par l’agitation soudaine contre les « Barbares d’Occident » Suit la formule « Qu’il obéisse en tremblant ». Tchen-Ly-Sen est donc devenu, par le fait même, le seul gardien de Kiane-Line.
GILLES DE BEAUCASTEL
C’est le nom d’emprunt de celui à qui nous devons ce roman. Il est un nouvel attaché d’ambassade de France à Pékin. Sa famille est restée en France. Il a appris le chinois, et rêve de connaître une fumerie d’opium. Et c’est là qu’il découvre entièrement le secret de Tchen-Ly-Sen. Il l’aborde et lui promet de se taire à condition de pouvoir rencontrer Kiane-Line. Et maintenant, Gilles de Beaucastel reprend le récit. Il essaie de fomenter un plan pour délivrer Kiane-Line qu’il a rapidement aimé à la passion. Affaire conclue, et Tchen-Ly-Sen donne à Gilles la clé d’une porte dérobée qui ouvre sur le jardin où Kiane-Line vient souvent rêver à sa liberté perdue.
Gille pénètre à nouveau dans le jardin, se présente à elle et lui avoue son amour. Il revient le lendemain, après s’être présenté aux parents de Kiane-Line. Puis il passe à l’Ambassade de France, où il apprend qu’il est muté à Shanghaï. Bonne planque en perspective pour Kiane-Line !
Dernière visite, et en pleine nuit, ils s’enfuient de l’île sans être rattrapés. Ils poursuivent leur fuite, juchés sur un éléphant, jusqu’à Pékin.
Gilles évoque avec les parents de Kiane-Line leur futur refuge : Le désert de Gobi, le Thibet ? Shu-Hou, le père de Kiane-Line suggère Shanghaï, où la concession française est importante. Kiane-Line lui répond : « Mon père, vous êtes la sagesse. »
Gilles est maintenant consul à Shanghaï. Avec son amoureuse, ils se promènent dans les rues, la main dans la main pendant des mois. Wang-Tsé-Mé n’est plus qu’un souvenir. Un jour, un nuage léger passe sur leurs têtes :
- Nuage-tourterelles, indique Kiane-Line : présage de félicité.
Puis des flocons neigeux envahissent l’espace.
- Nuages-châteaux : bonheur chimérique.
Puis le soleil est caché par des boules cotonneuses, et un vent formidable se lève, tel un dragon qui crache la flamme d’un éclair et qui émet le grondement sourd et sinistre du tonnerre. suivi par une pluie diluvienne.
- Nuage-dragon et pluie, balbutie Kiane-Line en gémissant : danger menaçant et larmes.
Shu-Hou signale la présence d’émissaires douteux aux abords de sa « kia ». Par ailleurs Wang-Tsé-Mé soumet Tchen-Ly-Sen au supplice de la cloche, réservé aux nobles. Le bourdonnement, de plus en plus fort, assomme le prisonnier et le met à mort.
Wang-Tsé-Mé a fait son enquête : c’est un « Barbare d’Occident » qui a fait le coup ! avec la complicité de Tchen-Ly-Sen.
Sur ce, Gilles est nommé conseiller à Londres. C’est un bel avancement, mais qui trouble la conscience de Gilles, qui fait un cauchemar. À son réveil, Kiane-Line, qui sait tout, l’exhorte à suivre son destin. Elle suggère de faire une promenade aquatique. Au confluent des deux fleuves, il y a une zone de turbulence.
- Que personne ne bouge, crie le pilote.
Chacun s’agrippe au bordage. Mais Kiane-Line décroche et disparaît dans les remous. Gilles est désespéré et est acculé par un artisan sur le bord de la rive.
DÉNOUEMENT
Tout à coup, l’artisan fait irruption.
- Homme d’Occident, il faut immédiatement vous abriter en lieu sûr. Les Boxers se sont révoltés. Votre vie est en danger.
Des rumeurs guerrières gagnent les villes. Parvenu devant la Maison de France, Gilles est assailli par une bande de boxers dont une fièvre homicide laisse présager le pire :
- C’est un Consul étranger ! À mort ! À mort , vocifère la meute.
Mais une troupe de soldats réguliers, officier en tête, fonce sur eux.
- Qu’on protège cet homme ! ordonne le commandant.
Il dit à Gilles : « Voilà le plus beau jour de ma vie ! C’est moi que j’ai vaincu !"
Ce visage … Mais non, ce n’est pas possible ! C’est lui, c’est bien lui !
- Vous ! Pour me sauver !
- Oui, oui, mon frère …
C’est Wang-Tsé-Mé, qui se met à pleurer de grosses larmes.
Vingt deux années se sont écoulées. Gilles a demandé son rappel au Quai d’Orsay et réintègre le domicile conjugal. Puis il fait un pèlerinage en Chine. Son collègue de Shanghaï a été assassiné … Yu-Lang, qu’il retrouve, lui annonce que Ya-Nei était … le propre fils … de l’Empereur !
Renonçant aux honneurs, Wang-Tsé-Mé fait valoir ses droits à la retraite …
Enfin Kiane-Line, n’est pas tombée accidentellement dans l’eau, mais s’est suicidée en simulant un accident, pour que le destin s’accomplisse. Vingt deux ans, pendant lesquels Gilles a gardé son secret vis-à-vis de son épouse Christiane, en traînant une âme anxieuse et torturé …
NOTE FINALE DE L’AUTEUR
Ici s’arrêtent les confidences de Gilles de Beaucastel que la mort a frappé le 24 juin 1922. Il dictait et j’écrivais. Tout à coup quelqu’un frappe à la porte : c’est son fils Serge qui lui annonce deux nouvelles: que Gilles veut deviner. La première est que Serbe a trente et un ans. La seconde est qu’il est reçu au concours diplomatique.
- Bravo papa, mais tu ignores où je suis nommé ?
- ?
- À Pékin !
Sans un geste, Gilles tomba dans son large fauteuil, inanimé.
La révolte des Boxers (chinois simplifié : 义和团起义 ; chinois traditionnel : 義和團起義 ; pinyin : Yìhétuán Qiyi ; littéralement : « mouvement de l'union de la justice et de la concorde »), ou révolte des Boxeurs, ou guerre des Boxers, fomentée par les Poings de la justice et de la concorde, société secrète dont le symbole était un poing fermé, d'où le surnom de Boxers donné à ses membres en Occident, se déroula en Chine, entre 1899 et 1901.
Ce mouvement, initialement opposé à la fois aux réformes, aux colons étrangers et au pouvoir féodal de la dynastie mandchoue des Qing, fut utilisé par l'impératrice douairière Cixi contre les seuls colons, conduisant à partir du 20 juin 1900 au siège des légations étrangères présentes à Pékin, l'épisode des « 55 jours de Pékin », qui s'acheva par la victoire des huit nations alliées contre la Chine (Autriche-Hongrie, France, Allemagne, Italie, Japon, Russie, Royaume-Uni et États-Unis).
Venant après la guerre sino-japonaise de 1894-1895, perdue par la Chine, cette nouvelle défaite constitue un jalon supplémentaire dans le combat qui oppose conservatisme et colonialisme à réformisme et indépendance, dans la Chine du XIXe siècle. Cet antagonisme se clôt par la chute de la dynastie Qing en 1912 et la création de la République de Chine.