Création le 12 février 2018
Un livre d’ Arun Gandhi, édité fin 2017, sur « Le pouvoir de la colère », un titre trompeur, car il s’agit bien du « pouvoir de maîtriser sa colère », ce qu’a toujours fait Gandhi, en dépit des nombreuses circonstances qui auraient pu la faire éclater.
Onze chapitres : onze enseignements qu’Arun Gandhi a recueilli dès son enfance de son grand-père. Nous allons faire la recension de ces onze chapitres, particulièrement à l’attention des hommes politiques, qui sont souvent tentés d’obtenir par la force partisane ce qu’ils n’ont pas pu (ou su) le faire par l’union humaniste.
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1 - UTILISEZ LA COLÈRE À BON ESCIENT
Arun a vécu sa jeunesse en Afrique du Sud : des enfants blancs l’attaquaient parce qu’il n’était pas assez blanc, et les enfants noirs parce qu’il n’était pas assez noir ! Cela le rendait enragé. Arrivé en Inde, il découvre son grand-père, son « Bapuji », toujours calme, quoiqu’en disent ou en fassent les autres.
Pour le calmer, Bapuji lui raconte l’histoire d’un enfant qui, dans une bagarre sans gravité, a le geste fatal qui le fait devenir meurtrier.
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| Gandhi étudiant à Londres |
Quand il était jeune, Gandhi était colérique. Il raconte ce qu’il est devenu : « Utilisez votre colère à bon escient. La colère est aux gens ce que l’essence est à l’automobile … c’est une énergie qui nous contraint à définir ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Sans elle, nous n’aurions pas la motivation de relever le moindre défi … Nous devons donc apprendre à utiliser la colère avec sagesse, pour le bien de l’humanité ».
La clé est de tenir compte du point de vue de chacun, les attaques, les critiques et les menaces de punition se retournent contre ceux qui les profèrent.
Qui a enseigné cela à Bapuji ? Tout simplement sa femme, qui réagissait sainement, de façon rationnelle. Si vous pouvez parler avec bienveillance aux gens qui vous ont blessé ou mis en colère, la situation s’inverse complètement.
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| Gandhi et son épouse en 1904 |
Arun a toujours en tête cette affaire de visa. Mais il se maîtrise :
- Je désapprouve ce que fait votre gouvernement. Cependant, vous êtes un hôte dans cette ville, et je vais faire en sorte que vous y passiez un bon séjour".
Le parlementaire devient un ami et à son départ lui dit :
- Vous m’ avez ouvert les yeux sur tous ces mauvais agissements et ces préjugés. Ce gouvernement que j’ai soutenu est mauvais, et je vais combattre l’apartheid".
Il l’a tellement fait qu’il a été exclu de son parti et a perdu les élections. Mais il est resté inébranlable, et a convaincu beaucoup d’autres, avec le résultat que l’on connaît.
Autre étape : les ouvriers des South African Railways se sont mis violemment en grève. Gandhi a suivi le mouvement, mais avec le plus grand calme. Au bout d’un certain temps, les prisons devenaient pleine. Alors le Premier ministre, le général Smuts l’a convoqué :
- Vous êtes toujours tellement respectueux, aimable et bienveillant, qu’il est difficile de vous écraser avec de la violence. C’était beaucoup plus facile d’attaquer les grévistes, qui montraient beaucoup de colère.
Arun a bien compris la leçon. Il a compris que l’amour et la gentillesse sont plus forts que la colère et permettent de trouver d’autres solutions.
2 - N’AYEZ PAS PEUR DE PRENDRE LA PAROLE
On voit que Gandhi n’apprécie pas le clientélisme :
- Un « non » formulé par la conviction la plus profonde vaut mieux qu’un « oui » qui n’est là que pour plaire, ou pire, pour s’éviter des ennuis.
À l’ashram Phoenix en Inde, la nourriture était médiocre, à base continuelle de potiron d’une abondante récolte. Finalement la petite sœur d’Arun, âgée de six ans, va trouver Bapuji pour lui dire que l’ashram devrait s’appeler « ashram potiron ». Stupéfaction de Gandhi qui n’attache qu’une importance relative à la qualité culinaire des repas. Mais il tient compte de l’avis de sa petite fille, et pose la question au chef cuisinier, qui lui répond qu’il suit la consigne de ne manger que les légumes produits par l’ashram. Alors Gandhi lui demande d’échanger les potirons contre des légumes plus variés.
Bapuji s’est servi du fait qu’elle était allée lui exposer son problème afin de démontrer qu’on ne devrait jamais s’interdire de prendre la parole pour poser des questions (pertinentes). Et Arun d’ajouter : « Beaucoup de politiciens consultent des enquêtes d’opinion avant de donner leur avis sur tel ou tel problème, et ne s’expriment que pour servir leurs propres intérêts … J’ai appris de Bapuji qu’on ne devrait pas vivre de telle ou telle façon seulement pour faire plaisir aux autres ».
Autre exemple : Pour joindre un de ses clients en Afrique du Sud, Gandhi a pris un billet de première classe dans un train de nuit. Un passager (raciste) l’insulte, appelle un policier (raciste), qui le débarque en plein nuit dans une gare. Au cours de cette longue nuit passée sur le quai, il réfléchit à une prochaine intervention sur les préjugés raciaux et sur la détresse des personnes qui en sont victimes. « Parfois c’est quand on ne crie pas que notre voix porte le plus. »
Et encore ceci d’Arun : « Les enfants occidentaux se plaignent peut-être que l’école est ennuyeuse, mais pour les enfants extrêmement pauvres … le fait d’apprendre relève du miracle. » Du coup, il convainc ses frères et sœurs de fonder une école pour enfants pauvres.
Un jour, Arun va faire une conférence aux États-Unis. Mais suite à des menaces de mort racistes, il ne pourra faire sa conférence qu’encadré par des policiers !
Et ce chapitre se termine sur ce conseil de Gandhi : « Un homme peu loquace parlera rarement sans réfléchir : chacune de ses paroles sera mesurée ».
3 - SACHEZ APPRÉCIER LA SOLITUDE
À force de voyager avec Bapuji, Arun constatait l’adulation des foules à chaque gare, au bord de chaque route. Gandhi supportait cela avec humilité : en dehors de l’aschram, il ne pouvait jamais trouver la paix ou la solitude ou même un sommeil paisible. Gandhi n’avait pas auprès de lui une cohorte de publicitaires et de conseillers pour protéger sa célébrité.
Il avait décrété que le lundi était un jour de silence à l’ashram, pour lui permettre de rattraper son retard dans ses projets d’écriture. Il retournait souvent à son rouet, parce qu’il trouvait que la concentration physique que nécessitait le filage du coton lui permettait de se concentrer sur la méditation.
Beaucoup de parents pensent rendre service à leurs enfants en les occupant sans cesse. Ces derniers n’ont plus le temps de réfléchir et de découvrir qui ils sont. Les smartphones ont envahi la vie des jeunes sans les rendre plus heureux, car les messages des réseaux sociaux sont superficiels et ne sont utiles que si ils emmènent les gens à l’action véritable. Et le seul espoir d’Arun Gandhi est que le message de paix finisse par devenir plus puissant que les messages de haine et de désespoir.
Une fois installés aux États-Unis, Arun Gandhi et son épouse ont fondé le MK Gandhi Institute for Nonviolence, une association à but non lucratif qui donne aux gens les moyens de rendre le monde plus juste et plus durable … Chaque jour, il prend son temps pour être seul avec ses pensées et méditer. Il a commencé à parler de lui comme un « fermier de la paix », parce qu’un fermier sème les graines et attend de les voir germer et de faire bonne récolte.
Il intervient souvent dans les Universités américaines, mais il déplore que les étudiants se replient sur eux-mêmes et deviennent peureux. Il termine ce chapitre par ces mots : « Accueillez en vous toutes les idées qui se présentent à vous, puis retirez-vous dans la solitude, ou en un lieu où vous jouissez du calme, et décidez de l’usage que vous en ferez pour bâtir un monde meilleur.
4 - CONNAISSEZ VOTRE PROPRE VALEUR
À l’ashram, Gandhi menait une vie simple : tout le monde participait aux corvées du ménage. Mais il rencontrait aussi des gens importants, comme en 1930, où il s’est rendu à Londres pour siéger à la première table ronde que le gouvernement britannique avait organisé pour discuter de l’avenir de l’Inde.
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| Avec Lord Mountbatten en 1947 |
Gandhi était extrêmement sollicité pour donner des autographes au point qu’il a décidé de les faire payer pour financer ses programmes sociaux et éducatifs. C’était une règle générale, et quand le petit Arun s’est imaginé qu’il pourrait transgresser cette règle, il s’est vu opposer une fin de non recevoir par un grand-père souriant : la règle, c’est la règle. Il consent seulement à signer « Bapu » !
En revanche, Gandhi a consenti à passer une heure par jour avec son petit-fils. Il lui a fait écrire son emploi du temps, pour lui montrer que chaque seconde a de la valeur quand elle est bien employée. D’autre part, Arun a compris que si l’argent est nécessaire, il n’est pas nécessaire en soi, mais pour financer des causes valables.
Le problème était donc le financement. Arun se rappelle toutes les lettres que Gandhi a écrites et dont des copies ont été transférées dans des musées, mais dont il a conservé les originaux. Il veut mettre en vente ces originaux chez Christie’s. Indignation du gouvernement indien, et insultes des quatre coins de l’Inde ! Finalement après un article dans le New York Time, il retourne l’opinion, et finit par vendre son paquet de lettres … au gouvernement indien !!!
Arun cite enfin le groupe TATA (conglomérat de l’acier, des voitures, du café, du thé …), dont les dirigeants mécènes sont des zoroastriens (une religion antique venue de Perse). Quand leurs ancêtres, voulant fuir les persécutions sont venus en Inde, le roi leur a montré un verre plein d’eau en leur disant qu’il n’y avait plus de place pour de l’eau supplémentaire. Ils ont rétorqué en versant une cuillerée de sucre dans l’eau du verre et en disant :
- Tout comme ce sucre, mon peuple se dissoudra dans la communauté et l’adoucira.
Le roi a compris le message.




