TRIBULATIONS DU PETIT LIVRE ROUGE




Création le 1er septembre 2017

Le Petit Livre rouge est le livre le plus vendu au monde après la Bible, avec des ventes estimées à 2 milliards d'exemplaires selon les chercheurs occidentaux.

Non ! il ne s’agit pas de recenser la politique du parti communiste chinois, mais de revivre les tribulations du « petit livre rouge » en France en 1968. Un demi-siècle est passé, mais en voici une version peu connue.

Sur le plan sociologique, la dynamique de groupe s'est répandue pendant les années 1960 dans les formations des responsables de toutes les organisations et des entreprises. La mode est au débat.


Mais les clivages sociaux sont encore extrêmement rigides. 92 % des étudiants viennent encore de la bourgeoisie. Le paternalisme autoritaire est omniprésent. On commence à ouvrir des lycées « mixtes », mais beaucoup d'établissements scolaires sont encore réservés aux garçons ou aux filles seulement. Les filles ne sont pas autorisées à porter le pantalon. Il est impossible de fumer dans un établissement ou, dans les universités, d'accéder pour les hommes aux internats de filles. C’est ce que rappellera Alain Peyrefitte, au sujet de l’Université de Nanterre, lors de son passage à l’Éducation nationale, ce qui lui vaudra d’être remplacé.
La suite est le plus grand défoulement du siècle aux multiples causes :
- les trente glorieuses, et la vie plus facile ;
- les nouvelles inventions : radio, télévisions, (pour se montrer), les voitures (pour les brûler) ;
- la lassitude de la toute-puissance du général de Gaulle (c’est Madame de Gaulle qui n’avait pas apprécié la chanson « Ah les belles colonies de vacances » de Pierre Perret ) ;
- les contre-coups de la guerre d’Algérie et de sa fin ; avec pour suite la « petite guerre » aux CRS ;
- Et toutes les autres causes possibles et inimaginables.
Quoiqu’il en soit les manifestations et les grèves se suivent et se poursuivent à Paris et dans les villes de province : à Nantes, on fait passer les voitures aux feux rouges et les arrêter aux feux verts … À Paris, on déchausse les pavés pour en faire des barricades. On occupe l’Université, garçons et filles font « la chose » sur les bancs des amphis, on affiche des slogans « Sous les pavés, la plage », « Il est interdit d’interdire », les gens parlent dans la rue à des inconnus.

Oui mais, grève dans les banques, dans les trains, les métros, les bus, les stations d’essence, les magasins se vident … Et dans le quartier latin, les étudiants défilent, le petit livre rouge à la main. Les Chinois ont du prévoir le coup et ont envoyer plusieurs bateaux remplis à raz bord de petits livres rouges. Qui n’a pas son petit livre rouge ? Nous nous en procurons un.


Avec les syndicats, le gouvernement  vient d’engager une négociation avenue de Grenelle, d’où le nom de « négociations de Grenelle » qui sont renvoyées à des négociations par branches. Comme nous sommes secrétaire général du syndicat du Bâtiment et des des Travaux Publics - Confédération Générale des Cadres, notre emploi quotidien se répartit ainsi :
- 19 heures : départ en vélo pour la Fédération du Bâtiment rue la Pérouse - où les négociations se déroulent à une heure avancée du matin, et retour en vélo dans un Paris désert :
- 9 heures : arrivée (en vélo) au bureau, où nous sommes convoqué avec impatience par notre PDG qui veut savoir comment les choses avancent.




Pour nous distraire à nos moments libres, nous lisons le petit livre rouge : il est plein de discours à la peinture rouge du Président Mao, mais çà et là, quelques phrases bien senties retiennent notre attention ; nous cochons les pages, et nous recopions les extrait de discours qui nous semblent compréhensibles par tous à la machine à écrire, avec papier carbone. Cela fait quelques pages décommunisées et occidentalisées que nous rangeons dans notre porte-document, le cas échéant.

La négociation tourne en rond, et de plus, le général de Gaulle a disparu. Il n’est plus ni à l’Élysée, ni à Colombey, mais où ? Et le chef de la délégation patronale un matin est abattu :
- Mon usine est en grève, et mon fils est sur les barricades !
 

C’est le moment de lui tendre notre petit extrait, sans lui dire évidemment de qui il est l’auteur.
- Mais c’est très bien, cela, voilà ce qu’il faudrait faire ! 


Quand nous lui révélons le nom, il reste pensif ; à la prochaine suspension de séance, il revient vers nous et nous propose d’en discuter plus discrètement au restaurant « Le Jour et la Nuit", près des Champs-Élysées. Pourquoi pas ? Et nous de lui expliquer que les délégations syndicales sont très embarrassées, et ne savent pas plus que lui se sortir de cet imbroglio. Il ne s’agit donc pas d’aller à l’affrontement, mais de montrer de la bonne volonté. Et nous lui avons raconté comment nous nous étions débrouillé en Algérie. Effectivement, à la séance suivant, l’ambiance générale s’apaise.

Jusqu’à présent, c’était la délégation CFDT qui était la plus dynamique ; la CGT était devenue de plus en plus réservée. Quant à la CGC, elle comptait les coups en attendant la moindre issue.


Le matin, la nouvelle arrive : De Gaulle était à Baden-Baden, à la rencontre du général Massu qu’il avait viré d’Algérie, quelques années plus tôt. Mais était-cela la vraie raison ? N’aurait-ce pas été plutôt de demander aux Soviets de « suggérer » aux communiste français de ne pas profiter du désordre, alors que François Mitterand voyait déjà son heure approcher ? Il leur avait rendu service il y a longtemps en leur livrant quelques prisonniers russes ayant choisi le camp allemand pendant la deuxième guerre mondiale,  et lors de l’invasion de Budapest la communistes avaient eu la surprise de voir arriver spontanément une dizaine de milliers de jeunes patriotes parisiens venir incendier le siège du PC et les bureaux du journal L’Humanité. Il était donc préférable que le calme soit donc de rigueur.

Le lendemain, manifestation monstre gaulliste sur les Champs- Élysées. le brouhaha grandit à la vitesse des marcheurs au pas. Tout le monde comprend que c’est la fin et les accords sont paraphés et signés dans les heures qui suivent. Les métros, les bus, les trains, les banques, les voitures, les magasins se remettent en marche avec un ensemble parfait : c’est bientôt l’été, les belle colonies de vacances ...


L'avenue des Champs-Élysées
 Nous avons reconstitué les extraits du petit livre rouge, les voici :

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Toute controverse au sein du peuple ne peut être résolue que par des méthodes démocratiques, des méthodes de discussion, de critique, de persuasion et d’éducation ; on ne peut la résoudre par des méthodes coercitives et répressives.

Il faut critiquer le peuple, mais il faut le faire en partant véritablement de la position du peuple ; notre critique doit être inspirée par le désir ardent de le défendre et de l’éduquer. Traiter ses amis comme on traite l’ennemi, c’est adopter la position de ce dernier.

Moins de troupes, mais des meilleures, et simplifier l’administration. Causeries, articles, discours et résolutions doivent être clairs et concis. De même les réunions ne doivent pas être trop longues.

Ce qui compte réellement dans le monde, c’est d’être consciencieux.

Vous avez beaucoup de qualités, vous avez rendu des services éminents, mais gardez-vous de toute présomption. Vous avez l’estime de tout le monde, et vous la méritez, mais c’est précisément cela qui mène facilement à la présomption. Si vous devenez orgueilleux, si vous manquez de modestie, si vous ne faites plus d’efforts, si vous ne respectez pas les autres, alors vous cesserez d’être des héros du travail, des travailleurs modèles.

Nous devons apprendre à examiner les questions sous tous leurs aspects, à voir non seulement la face, mais aussi le revers des choses et des phénomènes. Dans des conditions déterminées, quelque chose de mauvais peut produire de bons résultats, et, à son tour, quelque chose de bon peut en produire de mauvais.

N’attendez pas, pour les résoudre, que les problèmes s’accumulent et donnent lieu à de multiples complications. Les dirigeants doivent prendre la tête du mouvement et non rester à la traîne.

L’enquête est comparable à une longue gestation, et la solution d’un problème au jour de la délivrance. Enquêter sur un problème, c’est le résoudre.

Même si notre travail est couronné des plus grands succès, nous n’avons aucune raison de nous en glorifier. On fait des progrès quand on est modeste, tandis que l’orgueil fait retomber en arrière ; gardons toujours cette vérité présente à l’esprit.

Il n’est pas difficile à un homme de faire quelques bonnes actions ; ce qui est difficile, c’est d’agir bien toute sa vie. Mener un combat ardu pendant plusieurs dizaines d’années … voilà ce qu’il y a de plus difficile.

La critique doit être faite à temps ; il faut se défaire de ce penchant qui consiste à ne critiquer qu’après coup.

Sachons juger les cadres. Ne fondons pas notre appréciation seulement sur un fait isolé à un moment donné de la vie d’un cadre, mais considérons l’ensemble de son passé et de son travail. C’est la méthode essentielle pour juger un cadre.
 


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Comme le dit un proverbe chinois, « une lumière sur la colline est plus utile que cent dans la vallée. »