LA DERNIÈRE IMPÉRATRICE D'ANNAM


Création le 6 octobre 2016

Seule catholique dans la Cour des Nguyên dont presque tous étaient bouddhistes, femme splendide, pleine de talents et vertueuse, telle fut la dernière impératrice d’Annam pendant onze ans, Nam Phuong.

Les parents de leur fille cadette Lan, prénommée Marie-Thérèse, future impératrice, étaient pieux. En 1926, à douze ans, ils l’envoyèrent en France pour qu’elle continue sa scolarité au Couvent des Oiseaux de Neuilly (banlieue parisienne "chic"), une pension sélecte où la discipline est sévère. Après avoir obtenu son bac, elle rentre en bateau au Vietnam pendant un mois. Comme elle, Bao Daï est sur le paquebot …

Tout un chacun pense à marier son fils à un si beau parti. La famille de Lan fait un séjour à Da Lat, considéré comme « le petit Paris », lieu poétique et romantique par la fraîcheur de ses nuits. À la même époque, Bao Daï « celui qui protège la grandeur » était également à Da Lat, et le gouverneur général d’Indochine Pasquier estime qu’il faut organiser le mariage et demander au Vatican d’intervenir afin que la catholique puisse épouser le bouddhiste !



 Dans « Le Dragon d’Annam » Bao Daï raconte son enfance :

« Tous les jours mon précepteur, un mandarin lettré venait m’enseigner, à travers les entretiens de Confucius, les devoirs et charges du Prince. Pendant 4 ans, j’ai ainsi vécu seul, prenant mes repas seul, au rythme d’un programme immuable ou chaque journée était identique à la précédente.






Une à deux fois par mois, j’étais autorisé à assister au repas que prenait mon père [l’empereur Khai Dinh]. Plus rarement, alors qu’il se rendait à la Résidence Supérieure, il m’emmenait avec lui. J’avais le loisir de m’amuser avec les enfants du Résident Pasquier, qui parlaient couramment  la langue vietnamienne.
Pendant cette période, je n’ai jamais eu de jouet.
 »

Mais Lan n’est pas prête et ne souhaite pas aller à cette fête en l’honneur de Bao Daï. Finalement, elle cède à son amie, et c’est la rencontre, l’invitation à danser, et le coup de foudre mutuel. Bao Daï a fait Sciences Po, et habitait dans sa maison du XVIème arrondissement de Paris.

Bao Daï écrit dans ses mémoires : « Après cette rencontre, apparemment fortuite, nous nous revîmes. Comme moi, elle est sportive, elle aime la musique … Elle a le charme délicat des jeunes femmes du Sud. »


Selon les lois du royaume, au moment de choisir son épouse, le roi recevait une liste dont la plupart étaient des filles de mandarins. Parfois cette liste était présentée en premier au père du roi … Celui qui ne respectait pas la règle violait les lois de l’État. Tel était l’avis des « Colonnes de l’Empire » On se rappelle qu’en 1857, l’ancêtre de Lan avait subi la strangulation ordonnée par l’arrière-grand-père de Bao Daï. Quel dilemme !

Quant à la famille de Lan, elle demande que les enfants soient baptisés, que Lan soit la seule épouse et qu’elle soit investie du titre d’Impératrice le jour du mariage.


Une des réformes que Bao Dai voulut appliquer était celle des rites impériaux, par exemple la suppression des cinq prosternations. Cette réforme constituait un bouleversement, surtout pour les mandarins de la Cour. Une autre réforme, qui était de supprimer la polygamie, étonna et bouleversa son entourage. Finalement, il conclut franchement ainsi :

-  Je me marie pour moi-même et non pas pour la Cour.


Tous les problèmes furent laissés de côté et toute la ville de Hué attendait l’arrivée d’une nouvelle reine, issue d’une famille catholique riche, célèbre et instruite en France. Toutes ces choses étaient étrangères aux mœurs traditionnelles de Hué depuis des centaine d’années.

Ce jour-là il faisait beau. C’était un jour de printemps. Lan s’appellera désormais Nam Phuong, c’est-à-dire « Parfum du Sud », et elle est autorisée à porter la robe de couleur orange réservée à l’Empereur.




 Au Palais Kien Trung, le jeune couple, à la tête de la monarchie, mena une vie heureuse pendant plusieurs années. Nam Phuong respectait la démocratie, prenait en considération sa responsabilité envers la société  … Dans la Cour se déroulaient les chants, les danses des lycéens qui offraient des fleurs au roi et à la reine, qui ne négligeait pas les autres fêtes comme la fête des morts, le Têt traditionnel.

L’impératrice comprenait l’amour de son mari pour la chasse. Dans la province de Quang Tri, Bao Daï avait un domaine de cinq mille hectares de collines boisées. Tigres, panthères, éléphants, gaurs, sangliers y vivaient. Elle l’accompagnait parfois. Peu de temps après, Nam Phuong mit au monde un garçon. On savait alors que la naissance d’un garçon était accompagnée de sept coups de canon, alors que celle des filles avait le droit à neuf coups. Pendant trois années consécutives, elle donna trois enfants à Bao Daï, un garçon et deux filles.

Un beau jour, toute la famille part pour la France, en mai 1939. L’accueil de Georges Mandel, Ministre des Colonies est frustrant. Puis elle va dans sa luxueuse propriété de Cannes, et le voyage se termine par une audience papale au Vatican.


La guerre approche, et pour ne pas être bloqué en France, retour en Indochine. Les qualités de Nam Phuong brillent dans les réceptions officielles, mais elle devait faire face à une surdité naissante et à la baisse du moral de Bao Daï dont les projets de réforme sont rejetés par le protectorat et le corps mandarinal. Boa Daï écrit sur son séjour en France : « Je ne cache pas mon pessimisme sur le sort de la nation protectrice. De mes déplacements en province aussi bien que de mes contacts parisiens, je retire un sentiment pénible. J’ai pu constater l’impréparation du pays qui se traduit par une immense pagaye. Les réactions et la mentalité de la population ne sont pas bonnes. L’état d’esprit des Français devant les risques de guerre est très décevant. » De plus la fermeté, l’énergie et la rigueur morale de la reine commençait à le lasser. Il ne tarda pas à lui être infidèle.

Suzanne, l’épouse du gouverneur général indochinois Decoux, tenta d’aller les réconcilier, mais, coup mortel du sort, sa voiture tomba dans un ravin …

Petit intermède sur le difficile usage de la langue vietnamienne, la conversation entre Nam Phuong et Bao Daï à propos d’un vol de cigogne près d’une plage :
- Sire, savez-vous pourquoi cette plage est appelée Lang Cô ?
- C’est simplement le nom d’un lieu.
- Bien sûr, mais ce nom de lieu a des liens avec ces cigognes. On dirait que les Français ont écrit sur la carte du Vietnam « village des cigognes », « LANG CO » sans accent pour indiquer cet endroit. Quand les Vietnamiens ont lu ces mots qui ressemblaient à « LANG CÔ », c’est-à-dire « la belle du village de pêcheurs », ils l’ont appelé ainsi.


En juin 1940, le gouvernement japonais profita de la défaite française en Europe pour envahir l’Indochine française. Quatre ans plus tard, les relations directes entre la Cour des Nguyen et la Nation protectrice furent coupées, ce qui déclencha la  guerre franco-japonaise. Le nouveau gouvernement rassemblait des patriotes vietnamiens, mais ils étaient instrumentés par le gouvernement japonais : un gouvernement fantoche qui n’avait pas une réelle envie de coopérer avec Bao Daï, lequel s’affiche avec une Française, femme du conseiller suprême japonais.


Mais l’insurrection nationaliste monte en puissance. Nam Phuong pousse Bao Daï à abdiquer, en lui rappelant le sort de Louis XVI. Bao Daï écrit au général de Gaulle : « Je vous prie de comprendre que le seul moyen de sauvegarder les intérêts français et l’influence spirituelle de la France est de reconnaître franchement l’indépendance du Vietnam et de renoncer à toute idée de rétablir ici la souveraineté ou une administration française sous quelque forme que ce soit. » On sait que le général ne tint pas compte de cette démarche, avec les conséquences que cela a impliqué.

Conseil de Nam Phuong à Bao Daï : « Sire, je pense que quoi qu’il en soit, éviter une guerre sanglante entre les Révolutionnaires et les Japonais est nécessaire, et il n’y a que vous qui puissiez le faire. » Et elle est chargée de rédiger une abdication dans l’honneur. Mais elle sait avec tristesse que sa vie va changer
.

En effet, après le déménagement, Ho Chi Minh invite l’ex-couple royal à venir à Hanoi pour assurer le rôle de conseiller suprême. Avant la séparation :
- Sire, portez-vous bien pour mieux travailler. Je pense que Ho Chi Minh a confiance en vous, donc ne faites pas ce qui pourrait nuire à cette confiance.
- Sois tranquille ! Occupe-toi bien de nos enfants et de leur grand-mère. Je t’écrirai pour t’informer de ce qui se passe. Ne sois pas triste !


La nouvelle vie de Nam Phuong commence, la plus honnête possible vis-à-vis de ce régime dont son mari est « conseiller suprême ». Pendant la « semaine d’Or » organisée dans tout le pays visant à améliorer la situation budgétaire de la république du Vietnam, elle enlève tous les bijoux qu’elle porte et les dépose sur la table, sous les applaudissements du peuple.


En 1945, la famine sévissait dans tout le pays. À peu près deux millions de personnes moururent de faim. Le 5 octobre 1945, les troupes françaises débarquent à Saïgon … Nam Phuong veut prévenir ses amis français des conséquences d’une guerre et collaborer avec le nouveau régime vietnamien. Pendant ce temps, son mari qui s’appelle maintenant Vinh Thuy est élu en recueillant la majorité absolue : 92 % des suffrages exprimés et ceci malgré son indifférence pour ces élections législatives.

Finalement Vinh Thuy part en mission en Chine et y reste, en quittant le gouvernement. Nam Phuong trouve alors refuge avec ses enfants chez des missionnaires canadiens de Hué, quand la guerre franco-vietnamienne a lieu.

Craignant pour la sécurité de ses enfants, Nam Phuong se réfugie chez les uns et les autres, tandis que Bao Daï prend un nouveau nom chinois : Wang Kunney, tandis que la liste de ses maîtresse s’allonge, et qu’il devient assidu des boîtes de nuit de Hong Kong, en profitant du nouveau taux de change des piastres :


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Nam Phuong décide de s’exiler en France, via Hong Kong, car elle souhaite assurer à ses enfants la même éducation qu’elle a reçue. Elle habite le château familial de Thorenc, près de Cannes … où vient la rejoindre Bao Daï, qui met fin à son oisiveté : Le 8 mars 1949, le Président de la République française Vincent Auriol et Bao Daï signent le traité de l’Élysée visant à fonder un État vietnamien faisant partie de l’Union française. Nam Phuong en est interloquée. Bao Daï repart pour le Vietnam. Elle, reste en France.

Le 7 mai 1954, la bataille de Dien Bien Phu marque le début de la défaite française. Bao Daï se fait évincer par le premier ministre qu’il a nommé et reprend sa vie dissolue. De son côté, Nam Phuong est lasse de la vie mondaine des nobles ; elle achète une propriété en Corrèze à Chabrignac, tandis que Bao Daï vient également s’établir en France et se convertit au catholicisme.

Le 14 septembre 1963, Chabrignac est loin et isolé. Les secours n’arrivent pas à temps. La diphtérie est mortelle … Un vase rempli de roses se trouve toujours sur la tombe de la dernière Impératrice d’Annam, qui les aimait tant.


Le 31 juillet 1997, le dernier Empereur du Vietnam meurt à Paris. Il est enterré au cimetière de Passy (Paris XVIème). Il faudra néanmoins attendre le 20 mai 2006, soit presque 10 ans, pour que le dernier Empereur ait droit à un monument funéraire au lieu d'une simple plaque de béton...


Et le livre de Tran Thi Hao se termine ainsi :

« Cette femme qui a tant souffert, puisse-t-elle reposer en paix pour l’éternité restant vénéré par une grand partie du peuple vietnamien. »


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Tran Thi Hao, née au Vietnam, docteur ès lettres de l'Université de la Sorbonne-Paris IV, professeur de français et de littérature française de l'Université de Hanoï, est actuellement chercheuse en linguistique et littérature et professeur de littérature vietnamienne à Paris. Auteur de plusieurs articles, reportages, nouvelles, romans, elle écrit à la fois en vietnamien et en français.

tran.thihao@yahoo.fr