MAGNIFICENCES SIAMOISES


Création le 14 octobre 2016

Cet article est dédié à la Thailande.


Première partie : Le Couronnement du roi de Siam - Journal des Voyages 10 mars 1912 - A. Leblanc

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 Il serait matériellement impossible de relater ici les innombrables incidents qui entrent dans le cérémonial du couronnement d’un roi de Siam. Qu’on en juge par le premier détail : le nom du nouveau souverain.

Le fils et successeur de Chulalongkorn, dont le règne n’avait pas duré moins de quarante-deux ans, sera connu dans l’histoire sous le nom de Somdeteh Phra Paramendo Maha Vajiravudh Mongkut Klao.

La cérémonie commença dès la pointe du jour quand le nouveau roi, en présence de ses principaux courtisans et ministres, procéda à ses ablutions. Il se rendit alors processionnellement dans une cour du palais de Bangkok , où des brahmines lui présentèrent huit fioles d’eau puisées dans les huit provinces siamoises.

Entouré de ses porteurs d’éventail, le roi, pieds nus,  et revêtu d’une robe blanche bordée d’or, prit place dans un fauteuil. Se prosternant à tour de rôle devant lui, les huit prêtres lui offrirent les huit vases d’eau consacrée en récitant des prières. Et le souverain pénétra alors dans le Dusit-Maha-Prasad, la fameuse salle du trône, d’une architecture et d’une richesse uniques en Asie.



Une heure plus tard, aux sons des conques sonnées par les brahmines, le roi, vêtu cette fois de ses vêtements royaux, prenait place sur un trône qui reposait sur une pierre sacrée, pierre qui a servi au couronnement des rois siamois depuis des siècles.

Les prêtres psalmodièrent des prières, et tous les grands du royaume, portant l’étendard royal, les insignes du pouvoir et des armes antiques, défilèrent devant le trône et se rangèrent en face du monarque.

Enfin, un noble apporta la couronne, se prosterna aux pieds du roi et lui présenta la couronne d’or, qu’il posa lui-même sur sa tête. Comme si ce geste était le signal attendu avec impatience par mille démons, un vacarme extraordinaire éclatait.

Des nuées de soldats, de prêtres, d’enfants, faisaient retentir dans les cours environnantes des gongs sonores, des conques aux accents stridents, et les détonations de l’artillerie grondaient sur cette marée de sons divers, accompagnés de l’hymne national siamois qu’un corps de musique militaire exécutait.

Le nouveau roi disparaissait aux yeux des spectateurs, mais pour apparaître quelques moments plus tard sur le balcon du palais. Comme la musique européenne et un corps de musiciens indigènes venaient d’entonner un hymne antique, des prêtres tiraient les rideaux qui entouraient le balcon et les fonctionnaires massés dans la cour tombaient à genoux à la vue de leur roi qui leur apparaissait dans la posture traditionnelle de Bouddha, comme une statue.

Il garda cette attitude l’espace de deux minutes, prononça quelques paroles, et la rapide vision disparut derrière les rideaux. Puis ce fut la promenade solennelle en palanquin, quand le roi se rendit au temple de Wat-Prakeo où, devant la statue de Bouddha, et en présence de cent prêtres dirigés par le « pape bouddhiste », le saint Prince Vajiranana, il fit le serment de défendre la religion nationale.

Enfin il revenait processionnellement au palais d’où il ne sortait que le lendemain pour se rendre au temple de Wat-Chang, à bord de l’étrange galère royale manœuvrée par cinquante rameurs.

 

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Deuxième partie : Le jeu de la balançoire à Bangkok - Joseph Dautremer - Journal des Voyages - 8 décembre 1912


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Les Siamois, comme tous les Thaïs, depuis Bangkok jusqu’aux confins du Yunnan, sont un peuple léger, gai, ami des jeux et des divertissements. Les enfants ont une foule  de jeux dont la plupart ne diffèrent pas de ceux des enfants d’Europe. Ils jouent au palais, à cache-cache, aux barres, au saute-mouton, au colin-maillard et à la toupie ; ils n’ont pas de billes comme nous, mais se servent de petits coquillages en guise de billes ; ils aiment beaucoup faire battre les fourmis, les grillons, et surtout deux petits poissons acharnés l’un contre l’autre et qui se livrent à des assauts fort amusants.

Mais non seulement les enfants jouent, comme dans tous les pays du monde, les grandes personnes jouent aussi ; en dehors des échecs, des cartes, des dés qui sont jeux chinois importés, il y a certains jeux, tels que le cerf-volant ou la balançoire, qui passionnent tout le monde. À une certaine époque où règne un fort vent régulier du sud, on voit une foule de gros cerfs-volants qui se battent dans les airs ; de nombreux groupes de jeunes gens et d’hommes faits parient les uns contre les autres et suivent des yeux tous les mouvements des cerfs-volants en poussant de grands cris.





Le jeu de la balançoire est pratiqué comme chez nous, mais il y a, à une certaine époque de l’année, cette particularité qu’il devient une fête sacrée, qui se passe au mois de décembre, alors que la récolte de riz est terminée et que l’on fait ce qu’on appelle la fête de la récolte. Cette fête de réjouissance publique après que le riz est rentré dans les greniers est commune à tous les peuples indochinois, et les Birmans déploient, en ces circonstances, une grande munificence.

Chez les Siamois, le jeu de la balançoire termine la fête ; c’est évidemment une ancienne cérémonie religieuse qui, peu à peu, a pris une forme d’amusement. On suppose que cette coutume provient des anciens Kmers du Cambodge, lesquels étaient des Indiens soumis aux rites de Bhrama ; ils avaient pénétré la Birmanie et le Siam de leurs mœurs religieuses. Et lorsqu’ils furent anéantis par les Siamois, puis lorsque le Bouddhisme vint supplanter le Bhramanisme dans l’Indochine, quelques-unes de leurs coutumes subsistèrent.

Voici comment on procède au jour de la fête de la balançoire : sur la place du palais royal, à Bangkok, se dressent deux énormes poteaux sculptés et décorés, auxquels est suspendue la balançoire. Un peu en avant du siège de cette dernière, un long bambou est fixé en terre, et à l’extrémité flexible de ce bambou sont attachés trois petits sacs contenant une somme d’argent d’ailleurs assez peu forte. La place est gardée par les soldats et par la police. Un représentant du roi, que l’on aperçoit sous un parasol, au fond de notre dessin, à droite, entre les deux piliers, assiste à la cérémonie, entouré de nombreux officiers.



À un signal donné, trois hommes se présentent, vêtus de blanc et portant le chapeau pointu et doré des cérémonies siamoises. Ce sont des servants de temples, des novices de séminaires, bouddhiques généralement ; on en fait d’abord monter deux sur la planche, qui est d’ailleurs assez longue, et le premier doit, avec ses dents, quand l’élan est donné, attraper le petit sac d’argent. Chacun des trois petits sacs contient une somme différente, plus ou moins forte ; c’est donc le hasard qui décide à qui sera la forte somme. Quand les deux premiers ont terminé, le troisième monte seul et c’est le moment le plus amusant. Car la balançoire, allégée, n’a plus la stabilité suffisante. Aussi que de rires, de cris et de battements de mains jusqu’à ce que le jeune bonze ait attrapé le sac !

Puis la foule se  disperse, se donnant rendez-vous à la prochaine fête du riz.