L'AMBASSADE DU SIAM EN 1861




Création le 1 mai 2016
Modification 1 le 4 mai 2016
Modification 2 le 12 septembre 2019

Cet article s’inspire d’un article de l’excellente « Revue du Souvenir Napoléonien » consacré à la réception des ambassadeurs siamois par l’Empereur Napoléon III au palais de Fontainebleau le 27 juin 1861, article illustré par le tableau du peintre Jean-Léon Gérôme fait en 1864. Considéré comme l'un des artistes français les plus célèbres de son temps, Jean-Léon Gérôme est l'un des principaux représentants de la peinture académique du Second Empire.




Le Siam est l'ancien nom de la Thaïlande. C'est la transcription du nom donné au peuple thaï par les Khmers. Ce terme vient du sanskrit श्याम śyāma « sombre », qui fait référence à la couleur de la peau de ses habitants. Le royaume de Siam a été fondé en 1350 par le roi Ramathibodi Ier. Ses capitales successives furent Ayutthaya (1350-1767), Thonburi (1767-1782), puis Bangkok (à partir de 1782). Le pays a pris le nom de Thaïlande en 1939, après la prise du pouvoir par le général Plaek Phibunsongkhram.

L’expansion coloniale européenne du XIXème siècle a un certain rapport avec l’invention de la machine à vapeur qui équipe les navires et les trains. La conquête de l’Amérique étant faite, restaient celles de l’Afrique et de l’Asie. Pour le second Empire français, reprendre les relations diplomatiques entre le Siam et Louis XIV en 1686 était une opération tentante pour conclure une mission de Charles de Montigny de « rapporter en France, lorsqu’il aura été signé, le traité d’amitié, de commerce et de navigation ». Ce traité a été signé le 15 août 1856, scellant l’amitié entre l’Empire français et le Royaume de Siam, et assurant aussi la liberté de prédication pour les missionnaires que Napoléon III protège pour se concilier les catholiques français.

Il faut dire aussi que l’Impératrice Eugénie s’était passionnée pour l’art asiatique, témoin son musée chinois au château de Fontainebleau, en contrepoids à l’égyptomania qui avait régné sous le premier Empire.

Enfin l’établissement de relations entre les deux pays pouvait aussi être considéré comme une diversion par rapport aux deux « guerres de l’opium » contre la Chine.

Prospère Mérimée : « Notre grande attente en ce moment est celle des ambassadeurs siamois qui viennent jeudi. On dit qu’ils se présenteront à quatre pattes, selon l’usage de leur pays, rampant sur les genoux et sur les coudes. Quelques-uns ajoutent qu’ils lèchent le parquet, saupoudré de sucre candi à cet effet. »

Le tableau rappelle celui de David montrant le couronnement de Joséphine par Napoléon Ier. C’est avec solennité qu’il fallait représenter la Cour de l’Empire ressuscité, pour une audience en grande pompe, tout en respectant un cérémonial asiatique. Pour bien faire, Gérome a représenté dans ce tableau une quantité de personnalités, c’est de bonne guerre !

Mais comment peut-on être Siamois ? La réponse peut se trouver dans le livre de Xavier Salmon :



Depuis 1688, les royaumes de France et celui du Siam n’avaient plus eu de contacts : pour les Siamois, il était impératif de transmettre les souhaits de leur souverain  Rama IV Mongkut. Le Siam suscitait alors les appétits britanniques et américains. Voulant éviter tout monopole, Mongkut voulait conduire son pays vers plus de modernisme …

Pour Napoléon III, le souhait était d'étendre l'influence coloniale de la France au sein des pays d'Asie. La réussite fut totale : l'Occident allait découvrir, émerveillé ou circonspect les coutumes de l'Orient.



Le 23 février 1861, l’ambassade quittait le Siam. L’usage voulait en Siam de se coucher à plat ventre dès la porte de la salle de réception et de se traîner ainsi sur les genoux et les coudes jusqu’au pied du trône. Pour éviter que le non respect de cette coutume ne fut regardé comme une preuve d’infériorité de l’empereur Napoléon III, va pour cette coutume !


Le 15 juin 1861, les ambassadeurs arrivent à la gare de Lyon. Chacun veut voir ces Asiatiques à la physionomie si caractéristique et aux atours si curieux. Ils semblent avides de tout connaître et l’on s’attache à leur montrer le maximum parce qu’on veut les voir partout. Partout ou presque, leur intérêt et leur curiosité étonnent et séduisent.

Fontainebleau - 29 juin 1861 - Prosper Mérimée.
« Nous avons eu mardi une assez bonne cérémonie, très semblable à celle du Bourgeois Gentilhomme : Tous à plat ventre, ils rampaient, sur les genoux et sur les coudes, le long de la galerie Henri II, ayant chacun le nez collé au derrière de celui qui le précédait … Après avoir remis les lettres (de Leurs Majestés Siamoises), lorsqu’il a fallu revenir en arrière, la confusion s’était mise dans l’ambassade … L’aspect était celui d’une troupe de hannetons sur un tapis … Tout l’effet du rampement a été perdu d’ailleurs, parce que l’Empereur, à la fin, a perdu patience, s’est levé, a fait lever les hannetons et a parlé anglais avec l’un d’eux … »

Les cadeaux apportés par les ambassadeurs étaient fabuleux :

pièces d'orfèverie en or incrustées de pierres précieuses, fragiles palanquins et ombrelles, armes damasquinées ; elles ont été disposées à partir de 1863 dans le Musée chinois voulu par l'impératrice Eugénie

Mais commençons en 1686. Les premiers missionnaires français qui s’étaient installés à Ayutthaya, la capitale siamoise, incitèrent le roi Phrai Naraï à s’instruire de leur religion. Celui-ci envoya une ambassade en Europe, dont le navire sombra dans le voyage. De son côté, Louis XIV envoie une ambassade au Siam, laquelle arrive à bon port. Le premier ministre siamois d’origine grecque, Constance Faulkon, désirait des forces militaires pour asseoir son pouvoir. Nouvelles ambassades, signature de traités économique, scientifique, technique, etc … Malheureusement, avec l’agonie de Phrai Naraï, le parti hostile à Faulkon s’empare du pouvoir et déclenche une campagne de xénophobie …

Heureusement pour la suite des événements, le Mercure galant de l’époque avait tout raconté jusque dans le moindre détail.

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L'un des premiers périodiques français, fondé en 1672 par Donneau de Visé, afin de fournir au public parisien et provincial des nouvelles de la Cour et de la ville, et de rendre compte de tous les événements, mondains (naissances, mariages, décès, nominations, fêtes, concerts, cérémonies religieuses) et littéraires (sermons, nouvelles pièces, nouveaux livres, séances de l'Académie française)

Agrémenté d'illustrations, publiant des nouvelles et des pièces de vers, des énigmes et des histoires fabuleuses dont la fin est différée de numéro en numéro, Le Mercure galant conquiert rapidement de nombreux lecteurs et surtout de nombreuses lectrices (il donne une large place aux histoires amoureuses et comporte une chronique de mode).


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On retiendra de cet article du Mercure galant l’ultime remarque du Premier Ambassadeur : « Une demoiselle qui chante fort bien et qui a beaucoup de charme pour se faire regarder, ayant chanté devant eux, on lui demanda ce qu’il trouvait de sa voix, et il répondit qu’il n’avait point d’oreilles quand il avait besoin de tous ses yeux !"

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Donc, le Siam moderne (de 1862) comprend alors l’actuelle Thailande et en partie le Cambodge, le Laos et la Malaisie. Son souverain, Mongkut, en tant que moine, sillonne son pays à pied, de 1824 à 1861,  et s’attache à restaurer la pureté originelle du bouddhisme theravada. Nommé supérieur du monastère de l’excellent séjour, il apprend le pâli (langue des textes du bouddhisme theravada), le latin, le français, l’anglais, la géographie, l’astronomie. Il s’initie également au christianisme. Il succède en 1853 à Rama III. C’est un souverain moderne et réformateur.

Bien entendu les journaux français de l’époque n’en manquent pas une.

Le Musée des familles « Tous ces messieurs très jeunes se ressemblent comme deux gouttes d’encre … Les altesses mangent les petits pois avec leurs couteaux, versent les pots de confiture dans leurs fraises … »

Le Moniteur universel : « Une caisse s’étant défoncée en débarquant, on s’est aperçu qu’elle renfermait des piments confits d’une odeur assez peu appétissante pour les Européens, mais qui sont, dit-on, très appréciés et considérés comme une friandise pour la haute société siamoise."

Journal du Maréchal de Castellane : « Je les ai amenés au simulacre du siège du fort Montessuy ; nous avons été ensuite au camp de Sathonay, où la division d’infanterie d’Esterhazy a pris les armes en un instant. Les Siamois étaient dans l’enchantement. Cela leur donne une grande idée de la puissance  de la France. »

Le Moniteur Universel du 17 juin 1861: À l’Hôtel de Lyon « Introduits dans les beaux appartements qui occupent le premier de l’hôtel, ils se sont mis à admirer comme des enfants les peintures et les dorures ; le premier ambassadeur est resté près d’un quart d’heure en contemplation devant la serrure de la porte du salon. »

La semaine des enfants  du 23 novembre 1861 : « L’impératrice, remarquant le fils du second de ces personnages, enfant à la figure intelligente, l’a embrassé. Le père, touché de ce mouvement gracieux, s’est écrié dans sa langue : « Maintenant, mon fils, tes jours seront à jamais heureux. »

Le Monde illustré du 6 juillet 1861 : « À Siam, les femmes vieillissent vite, il y a des exemples de femmes de trente ans qui sont grand-mères … Les étoffes des femmes du roi semblent prises aux même pièces que celles qui fournissaient à nos grand-mères les rideaux de leurs alcôves et les tentures de leurs boudoirs … »

Le Moniteur Universel du 19 juillet 1861 : « Le puits artésien de Grenelle a fort étonné les ambassadeurs … N’ayant jamais vu de puits de ce genre, ils ne pouvaient tout d’abord se rendre compte de la force invisible qui conduit l’eau à une si grande hauteur … Jamais ils n’achètent un œuf sans qu’on l’ait préalablement cassé pour détruire le germe qui s’y trouve. »

Le Moniteur Universel du 30 juillet 1861 : « Vendredi dernier, les trois ambassadeurs, avec leur suite, se sont transportés à Auteuil, dans l’usine électrométallurgique de Monsieur Oudry (transformation par le cuivrage galvaniques des fontaines de la place de la Concorde). Suivant le désir exprimé par l’un d’eux, une pièce d’ornement en fonte a été mise au bain en sa présence, et l’ambassadeur a pu se rendre compte de l’effet qui se produisait dès qu’elle a été reliée à la pile par un fil conducteur."

Le Moniteur Universel du 13 août 1861  - visite à l’Institution Impériale des sourd-muets : « Ce qui a surpris les assistants, c’est une longue conversation mimique que l’un des attachés de l’ambassade a entretenue avec plusieurs sourds-muets. »

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Pour en revenir au tableau de Gérome, celui-ci chercha à  documenter
parfaitement son œuvre. Pendant le séjour des Siamois, il les fit poser dans son atelier, et sollicita son ami Nadar qui réalisa plusieurs photographies. En 1864, le tableau était achevé et payé 20 000 francs. Quelques méchantes critiques ont ponctué son exposition.

Comment peut-on être Siamois ? À défaut de critiquer le tableau de Gérome, c’est facile, la Thailande n’est qu’à quelques heures d’avion.


Réplique de la couronne des rois de Siam offerte à Napoléon III - Château de Fontainebleau, musée chinois