Création le 14 mars 2016
Dien Bien Phu a eu deux visages : celui de l’armée française, dont beaucoup d’anciens ont témoigné, et celui des combattants du Viet Minh, avec autant de courage, pour s’attaquer à plus forts qu’eux.
Le livre « Dien Bien Phu vu d’en face » rassemble un grand nombre de témoignages d’hommes et de femmes qui, simplement, racontent leur participation à cette bataille. Les journalistes qui ont fait les interviews les ont rapportés dans un excellent français, sans sombrer dans la grandiloquence qui est parfois d’usage.
Ce qui reste du « vrai » Dien Bien Phu, du côté vietnamien : 3976 stèles dont quatre seulement portent un nom. Comme l’a dit dans son introduction Madame Dao Thanh Huyen, « les reconstitutions, le remodelage du site pour accueillir les touristes ne traduisent plus la brutalité des combats ».
Les premiers entretiens étaient hésitants, car « Revisiter l’histoire officielle, cela ne se fait pas ». Mais ceux qui acceptent de se confier émeuvent par leur souci de la précision, leur générosité, leurs angoisses, leur douleur et leur fierté. Après avoir lu le livre, on comprend mieux qui étaient les « petits hommes verts ». Comme l’a dit l’un d’entre eux, un demi-siècle plus tard « La guerre n’est pas une histoire enfantine. Il ne faut pas raconter n’importe quoi. »
Voici donc la recension d’un certain nombre de témoignages, parmi les 88 dans l’ouvrage en français.
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LES DAN CONG (travailleurs civiques)
Plus de 280 000 travailleurs civiques et jeunes volontaires ont participé à la logistique d’encerclement du camp. Les journalistes et les artistes ont eux aussi participé à la galvanisation des troupes.
Dao Thi Vinh - travailleuse civique transporte des munitions à l’aller et des blessés au retour. À l’approche du nouvel an lunaire, son père lui envoie des gâteaux au riz et à la viande de porc. Quand elle reçoit le colis, il pue. Il ne faut rien perdre de cette denrée rarissime. Elle recuit le tout dans de l’eau salée bouillante …
Le Van Tun - conduit un cheval qui porte 50 kg, nuit et jour. On ne dort pas. Parfois, il doit tenir la queue du cheval pour continuer à marcher. Il voit sa femme, également convoyeuse, de temps en temps sur la route. Ils se disent simplement « Salut, je dois partir ».
Lo Thi Khyyn a 17 ans - Elle construit des cabanes qui serviront de halte pour les soldats, ou elle répare des routes ou elle transporte du riz.
Nguen Van Ky est cuisinier. Toutes les nuits il transporte sur son épaule endolorie 40 kg d’équipement et de vivres.
Tran Thi Nga a 15 ans et est artiste. Elle a du mal a supporter les marches incessantes. La nuit, les dortoirs improvisés sont divisés en deux secteurs : les femmes au milieu, les hommes sont autour. Ainsi nous les filles, nous n’aurons pas peur des fantômes !
Le Doan Khoi - artiste - Dans mon groupe, il y a une jeune fille qui m’aime bien. Un jour elle m’offre en cachette quelques bonbons. La cellule du Parti me rappelle à l’ordre tout de suite…
Le Nguyen - journaliste : Nous autres, journalistes, nous nous tenons dans une tranchée, à proximité du champ de bataille. Nous y mangeons et y dormons. Au début, nos abris sont encore secs, mais au fil du temps à cause de la pluie et des eaux usées, ils deviennent très humide, avec de la boue partout. Mon journal « Ahn Dung » (Bravoure) a suivi la division jusqu’à Dien Bien Phu. La machine à imprimer n’est qu’une pierre ayant une surface plate. Nous écrivons à l’envers sur cette surface, nous la couvrons d’encre et nous imprimons sur du papier à base de pâte de paille de riz.
Le Thé Truing - chirurgien - Nous devons sans cesse déménager et creuser de nouveaux abris. Nous comptons le nombre des blessés pour évaluer la violence des combats. Les outils chirurgicaux sont rudimentaires. Nous devons improviser. Les porteurs ne s’occupent pas que des blessés. Ils de récupérer les kits de premiers soins, etc, chaque fois que nous prenons une position ennemie.
HISTOIRES DE SOLDATS
Tran Can - chef de la compagnie 634 : Je dis au camarade Lé : il me semble qu’ils se préparent à sauter en parachute …
Hong Lé - commissaire politique : j’observe les parachutes et vois qu’il y en a trois types : blancs, fleuris et rouges. Comme les rouges sont beaucoup moins nombreux, je pense qu’il s’agit des commandants et ordonne à nos soldats de les éliminer en premier … après une journée de lutte, nous sommes à court de munitions, nous comptons 60 morts et blessés.
Phung Quang Truy - chef adjoint de compagnie - sans riz ni argent, nous atteignons le village de Nuong Bua à la recherche des habitants. Mais l’endroit est désert … nous dormons dans une grotte. La moisson vient de s’achever, du paddy reste dans les champs. Nous en ramassons et le pilons pour récupérer du riz.
Lé Trong Nghia - chef du service des renseignements : Tant le service de renseignement que le Comité militaire central sont surpris du parachutage français à Diên Biên Phù.
Vû Thé Châu - chef de compagnie - Muong Pôn est le combat d’ouverture de ma compagnie à Diên Biên Phù … je suis blessé, je perds beaucoup de sang. Les combats durent jusqu’au lendemain …
Nguyen Viêt - cadre de l’État-major général : des unités de renseignement s’infiltrent dans la vallée de Diên Biên Phù. Il leur faut trouver la réponse à cette question : « Pourquoi l’ennemi déplace-t-il ses troupes dans une zone montagneuse si reculée, sinueuse et moins accessible, alors qu’il les a retirées du robuste camp retranché de Nà San en août 1953 ? » Nous récupérerons de très précieux documents de l’ennemi en nous emparant des parachutes largués sur des rizières et en dehors des barbelés. Nos soldats ramènent un parachute rouge et un autre blanc auquel est accroché un coffret en zinc. La boite contient 24 cartes et 32 photos aériennes de Diên Biên Phù … Ces cartes françaises nous offrent des informations précieuses qui seront utiles plus tard pour nos canons.
Vu Van Vinh - soldat ; division 308 : Nous devons traverser le Fleuve Rouge avec le mortier et les obus. Nous recevons l’ordre officiel de nous diriger droit sur Diên Biên Phù. Les avions ennemis nous pourchassent, bombardent violemment les voies de communication, sans nous empêcher pour autant d’avancer vers le front.
Pham Vàn Nhàm - chef de groupe des dynamiteurs : notre unité est chargée d’acheminer les pièces d’artillerie de 105 mm en position … Chaque compagnie de 120 hommes se charge de tirer une pièce d’artillerie. Les pièces d’artillerie sont acheminée à mesure que le génie construit les routes.
Nguyen Xuân Mai - agent de liaison : je suis petit, mon poids ne dépasse pas les 45 kg. Je prends quand même une charge de 20 à 25 kg. Toutes les nuits, nous marchons jusqu’à 1 h ou 2 h du matin avant de nous arrêter.Chacun doit creuser un trou individuel à l’abri des éclats de bombe. Nous étendons des feuilles d’arbre sur la terre en guise de matelas … il nous arrive souvent de ne manger à la place du riz qu’un bouillon de haricots verts broyé assaisonnés de sel et d’un peu de lard.
Ung Rang - commandant du bataillon du génie, division 351 : chaque compagnie se chargera du réaménagement et de l’élargissement d’un tronçon de 2 à 3 km durant 3 jours environ. La largeur de la route doit atteindre 3 m (plus tard elle sera fixée à 3,5 m), le rayon du détour doit atteindre 9-10 m pour faciliter la circulation des camions GAT qui tirent les canons.
Pham Ngoc Sinh - chef de la compagnie du génie - division 316 : le camouflage lors de la construction des routes constitue une tâche cruciale car les avions ennemis tournent toute la journée au-dessus de nos têtes. Nos hommes se relayent pour aller dans la forêt chercher des feuilles fraîches. Ils les tressent en tonnelles pour couvrir les tronçons de routes récemment aménagés. Les outils de travail ne sont que des barres de fer pointues ayant la grosseur d’un poignet d’homme, de pelles et de pioches.
Tran Thinh Tan - cadre du département Ravitaillement du front : Les habitants du Nord-Ouest fourniront plus de 10 000 tonnes de paddy gluant et des centaines de tonnes d’autres aliments. Ce qui est inestimable, c’est que ces vivres sont collectés dans la région même, diminuant considérablement les frais et les forces humaines dans le transport.
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20 000 vélos |
Bo Sam - artilleur ; division 351 : en 1952, je suis allé en Chine pour apprendre les techniques de l’artillerie. Les ponts enjambant le fleuve frontalier de Nam Thi sont totalement détruits. Les supérieurs choisissent alors de démonter camions et canons. Les pièces détachées sont chargées sur de solides radeaux en bambou. L’acheminement par voie fluviale permettra d’assurer le secret absolu. Le chef de compagnie Pham Nam me demande : »Sais-tu conduire les radeaux ? »
Ung Rang - commandant du bataillon du génie, division 351 : après le dîner, nous nous précipitons sur la route dans l’espoir de voir de nos propres yeux des canons de 105 mm, inconnus jusqu’à ce jour pour nous tous. Les supérieurs nous informent ensuite du passage d’un autre convoi (La DCA) surnommé « caravane des écolières ». On nous relance à l’autre bout du fil « Combien d’écolières avec queue ? », ce qui veut dire : combien de camions remorquant des pièces d’artillerie ? On ne sait pas qui a inventé ce nom de code ridicule. Quelles écolières se rendent à ce théâtre d’opération du si lointain Nord-Ouest ?
Hoang Minh Phung - interprète en chinois du général Giap : le chargé de logistique s’exprime : il nous faut ouvrir le feu rapidement : à Diên Biên Phù chaque jour nos soldats consomment 50 tonnes de riz. Les dan cong marchant depuis Thank Hoa mangent presque tout le riz qu’ils transportent. Il ne reste que 2 kg de riz par porteur ! Le général Giap s’entretient en tête-à-tête avec son conseiller chinois qui lui conseille une attaque rapide. Serait-il raisonnable d’amener ici 50 000 hommes pour les replier ensuite les mains vides ? Le général doit donc admettre l’option d’une attaque éclair. Mais il n’est pas convaincu.
Lê Trong Nghïa - directeur du département du Renseignement : Le 19 janvier 1954, lancement par le général Navarre de l’opération Atlante dans le sud Annam. De son côté, l’armée française connaît le plan d’attaque vietminh grâce au déchiffrage d’un télégramme secret. Giap : « Depuis onze jours et nuits, je me tourmente. Cette nuit, je n’ai pas pu fermer l’œil. Cet après-midi, la bataille va commencer mais les facteurs de la victoire ne sont pas réunis. » Le responsable de la logistique : « Ciel ! Même pour la bataille de trois nuits et deux jours, le riz ne suffit pas ». Giap réplique : « le riz est le commandant ». Mais si on ordonne le retrait, c’est comme si le ciel tombait sur la tête des bo doï ! Après suspension de la réunion, le général tranche : « Respectant l’état d’esprit et la décision de l’Oncle, je déclare reporter l’offensive de ce soir à une date ultérieure. »
Luu Trong Lan - cadre de l’artillerie aérienne : l’ordre de retirer les pièces d’artillerie tombe sur nous comme « un coup de tonnerre foudroyant ». Le repli des pièces est éprouvant. Les feuilles de camouflage sont fanées ; les cordes de treuil pourries et déchiquetées. Il faut de nouveau neuf jours et neuf nuits pour revenir à la base de départ.
Nguyen Quang Thuân - artilleur : les cordes se sont rompues juste au milieu de la pente. La pièce d’artillerie entraîne des soldats dans sa dégringolade, la pièce continue sa glissade et me pousse violemment. Nous arrivons à une falaise, de toutes mes forces, je braque les amarres contre cette falaise, la pièce s’arrête net. Tout le monde croit que je suis mort.
Nguyen Phuong Nam - adjoint de commissaire politique de la division 308 : les Français captant nos échanges radiophoniques croient que la division 308 est toujours au Laos alors qu’elle rentre déjà à Diên Biên Phù. Je brûle d’impatience d’aller à Diên Biên. Une fois arrivé, des supérieurs me demandent pourquoi je suis revenu sans autorisation. Je leur mens en leur disant que les batteries de mon poste sont épuisées. « Prends donc quelques caisses de piles et continue ta mission à Muons Phang. » me disent-ils.
Nguyen Huyen - adjoint de commissaire politique de la division 351 : la casemate pour les pièces de 105 mm est une invention astucieuse des bo doï. on taille un flanc de montagne en falaise verticale, puis on creuse une grotte suffisamment large pour recevoir la pièce de 105 mm. On creuse ensuite une salle de combat pour contenir le canon, les munitions et les artilleurs. L’entrée est camouflée par des paniers de terre qui la couvrent presque entièrement. Après chaque salve de tir, pourrons-nous cacher notre 105 mm et éviter des représailles de l’artillerie adverse.
Do Hai - chef des gardes du PC : vingt huit jours et nuits ont été nécessaires pour que 120 hommes achèvent l’ensemble de l’abri souterrain du PC. Le conseiller chinois Wei Guoqing vient voir le tunnel et les salles, il déclare « Bien, très bien ! » en vietnamien.
Tran Do - chef de section : les abris et tranchées creusés sont camouflés avec des buissons solidement entremêlés pour se protéger des bombardements et des pilonnages. Nous travaillons même quand le jour se lève, tout en observant l’ennemi. Tous ses mouvements se déroulent sous nos yeux : des soldats circulent, abattent un buffle ou une vache. Leur position de tir pour le mortier de 120 mm, leurs camions, leur blockhaus, les barbelés … tout est dans notre champ de vision. Une patrouille ennemie est attaquée. Une demi-heure après, les mortiers de 120 mm ennemis pilonnent la colline et des canons de chars stationnés au pied nous mitraillent. Autour de nous des bruits assourdissants d’explosions se mêlent au bruit des craquements d’arbres brisés. L’odeur de brûlé devient irrespirable … Un sixième assaut commence comme les précédents par des bombardements d’avion puis des tirs d’artillerie. Le napalm incendie toute une étendue de forêt et les feuillages de camouflage. En début de soirée, les Français refluent en désordre.
Dang Duc Song - chef de groupe FM : on l’appelait la colline verte. Plus tard, les pilonnages et les bombardements ennemis ont dévasté tous les arbres, la colline est devenue rouge à cause de sa terre dénudée. Quand je risque un coup d’œil vers le bas de la colline, je vois de nombreux soldats adverses ramper. À 10 mètres de notre position, ils crient « À l’assaut » puis lancent des grenades : j’éjecte en l’air trois grenades qui tombent juste devant le rang ennemi et explosent dès qu’elles touchent la terre. J’entends les hurlements de douleur de quelques uns.
Pham Van Nhâm - chef de groupe des poseurs d’explosifs : (préparatifs pour l’attaque de Him Lam - Béatrice) - La nuit du 11 mars, nous rampons jusqu’à 400 m de la colline et commençons à creuser des tranchées en file indienne. Le sol est rocheux, plein de cailloux. L’emploi de pioches est interdit pour ne pas alerter l’ennemi …
Luu Trong Lan - cadre d’état-major : on pourrait dire que l’artillerie lourde viet-minh a créé la surprise totale en cet après-midi du 13 mars. Ce jour-là, l’ennemi envoie une escadrille d’avions dans la vallée pour soutenir la défense de Him Lam. À peine arrivés, ces appareils sont entourés du rideau de feu de notre DCA …
Pham Van Nhâm - deux heures après le déclenchement du combat, la brèche n’est pas encore ouverte tandis que nous avons épuisé les explosifs … Soudain une voix s’élève derrière nous : « Que les membres du Parti, que les fidèles au Parti s’avancent ! » Les combattants semblent galvanisés.
Nguyen Manh Quan - chef de compagnie de la division 308 : la veille, la division 312 a remporté l’attaque d’ouverture de la campagne en s’emparant de Béatrice. C’est une forte pression psychologique pour nous, la 308, qui engageons le deuxième combat contre la colline Doc Lap (Gabrielle).
Dang Hung Manh - soldat : Nous progressons très silencieusement vers les positions de combat. Si quelqu’un veut tousser, il doit vite creuser un petit trou et y relâcher discrètement sa toux.
Lê Nam Phong - chef de compagnie : ma compagnie de 100 personnes a perdu lors de ce combat les deux tiers de son effectif.
Deng Hung Manh - artilleur : quand il pleut, la boue dans les tranchées est aussi épaisse et consistante qu’une soupe de riz. Les buffles à Diên Biên Phù se regroupent en cercle, leurs têtes dirigées vers l’extérieur, les plus grands entourant les petits. Il faut de l’habileté pour les attraper car, dès qu’ils aperçoivent l’homme, et qu’un seul d’eux se lève, tout le troupeau l’imite aussitôt et se sauve immédiatement.
Tran Quoc Chân - chef de section, division 351 : nos canons deviennent rouges à force de riposter par tirs répétés, les feuilles de camouflage autour des canons s’enflamment comme des torches.
Bui Minh Duc - soldat - division 308 : troisième attaque. Des parachutistes avancent vers nous. Une rafale ennemie, depuis des digues de rizières en face, rase la position de Phuong. Il s’écrie « je suis blessé au bras ! » Je lui dit « Va t’abriter, je tiens bon » J’ai parlé trop vite. Juste un instant après, j’entends un bruit sec et rapide, puis tout s’assombrit. C’est mon baptême du feu et c’est aussi mon dernier combat …
Dugong Van Lam - chef de groupe, division 316 : à partir de mi-avril, il pleut beaucoup. Les tranchées sont inondées. Nous avons de la boue jusqu’aux genoux. Nous devons couper les jambes des pantalons … Nous organisons plusieurs vagues d’assaut. Les Français multiplient aussi les contre-attaques. Si l’on tire en rafales, l’ennemi repère très vite la position et on risque facilement la mort.
Nguyen Kim Lung - chef de groupe, division 316 : il retrouve sur un soldat mort une lettre à sa femme : "Nous avons un enfant. Si tu te remaries, prie ton nouveau mari de bien éduquer notre enfant, pour qu’il devienne quelqu’un de mature. Si tu dois le confier à quelqu’un, homme ou femme, dis à cette personne que le père du petit est mort pour la Patrie, et qu’il leur prie d’élever son enfant pour qu’il devienne un homme bien. »
Bui Xuân Linh - chef de renseignement, division 316 : A1 (Eliane2) est considéré comme l’œil magique à l’ouest du camp retranché. Il nous faut occuper cette colline pour devenir maîtres du champ de bataille. L’adversaire, lui-aussi, est déterminé à tenir à tout prix cette position clé.
Nguyen Dung Chi - chef de bataillon, division 316 : maintenant, avec le recul, je pense que le moment le plus dangereux dans la guerre est celui où, tout autour de soi, les armes se taisent. Pendant le combat, je n’éprouve aucune crainte, mais là, j’ai peur. Il me semble qu’aucun de mes frères d’armes n’a survécu.
Nguyen Dôn Tu - chef de bataillon, division 316 : Le chef de bataillon Kha est touché par les explosions d’obus de mortier de 120 mm. Il n’entend plus rien, ne peut plus parler. Il n’est plus en mesure de commander. Je lui dis d’aller vers l’arrière. Plus tard, j’apprendrai qu’il a été accusé d’abandon de poste de combat et traduit devant la cour martiale. il a été condamné à 10 ans de prison. Beaucoup plus tard, il sera libéré.
Nguyen Huu Chap - chef d’un groupe de mortier, division 312 : nous sommes sur la colline E (Dominique 1) durant un mois et quatre jours, une période très dure. Tension, fatigue, manque de sommeil. Le 13 avril, un groupe de cuisiniers est entièrement tué par des bombardements alors qu’ils venaient nous nourrir.
Phung Van Khâu - chef de groupe d’artillerie, division 351 : je suis illettré ; je ne peux donc pas utiliser les viseurs mécaniques et dois orienter la pièce en regardant la cible à travers la tête du canon. Mais c’est en fait ce qui nous a sauvé la vie : il nous faut percer un petit trou dans le camouflage pour sortir la tête du canon. Mais pour utiliser les viseurs, il faut enlever beaucoup plus de sacs de terre du camouflage.
Le Kim - chef du service propagande, division 308 : notre régiment se voit confier la mission de conquérir le point d’appui 206 (Huguette). Y sont cantonnés des légionnaires aguerris. La saison des pluies a commencé. Les jeunes recrues affirment : « Nous avons déjà creusé des tranchées souterraines pour nous enfuir ». Le chef du régiment les félicite : « Excellente idée. Vous creusiez des tunnels pour vous enfuir. Nous en creuserons maintenant pour attaquer l’ennemi. »
Vu Xuân vinh - chef d’état-major : notre réseau de tranchées souterraines s’approche du point d’appui 206. Plusieurs équipes se relayent pendant des jours et des nuits. Le 22 avril, nos tunnels ont franchi les barbelés de Huguette 1. Puis nos soldats s’élancent des tranchées et passent à l’assaut. En plus d’une heure, nous tuons et capturons au total 117 soldats. Nous contrôlons le 206.
Do Ca Son - cadre de section de renseignement, division 316 : quand certains disent « Piétiner les cadavres ennemis pour s’avancer », c’est de la littérature. Nous, en réalité, nous avons vraiment marché sur le corps de nos ennemis, mais aucun être humain n’est fier d’enjamber le corps inanimé d’un autre.
Nguyen Phu Xuyen Khung, division 351 : nos hommes utilisent des pelles tranchantes comme des lames de couteaux pour creuser les tunnels. Tous sortent de la galerie couverts de terre et de poussière de couleur rougeâtre … On ne sait plus qui est qui, il faut demander « Comment t’appelles-tu ? »
Nguyen Ngoc Tan - chef de groupe, division 316 : nous sommes obligés de travailler vite. Le lendemain l’ennemi vient détruire ce que nous avons fait pendant la nuit. Leurs chars écrasent des trous, leurs fantassins étendent des barbelés et posent des mines.
L’ULTIME OFFENSIVE ET LA FIN ( 1-7 mai 1954)
Nguyen Phu Xuyen Khung : vers le 5 mai, quand la galerie souterraine sous A1atteint la longueur de 38 m, nous recevons l’ordre d’y déposer de la dynamite. Un télégramme. Je lis à haute voix «Aux camarades du génie militaire sur la colline A1. Je vous souhaite le succès. Signé Ngoc ». Ngoc est le pseudonyme de Giap.
Vu Dinh Hoe - commandant du bataillon 249, division 316 : et si le tunnel n’explose pas du tout ? deux soldats préparent la charge qui déclenchera l’explosion ! un bruit sourd se fait entendre; le gros tonnage d’explosif a été mal orienté mais a détruit un blockhaus.
Nguyen Kim Lung - commissaire politique division 351: nous ne réussissons à occuper C2 (Eliane 4) que vers 8 heures du matin le 7 mai. La compagnie 35 a été sérieusement décimée, l’effectif presque complètement anéanti. Ma compagnie 38a essuyé également de lourdes pertes. La 34 qui progressait derrière nous a subi le même sort …
Hoang Dang Vinh - chef de groupe, division 312 : les supérieurs ordonnent de capturer vivant de Castries et ses officiers. À trois, nous rentrons dans le PC. Quand on arrive, il y a une vingtaine d’officiers. Ils se lèvent. Le camarade Luat dit en français « Rendez-vous ! » Seul, de Castries reste assis, silencieux. J’avance vers lui en faisant de gros yeux.
Do Ca Son - cadre, division 316 : les premiers soldats ennemis tendent leur main, je les serre. Des hommes de mon unité me critiquent. Je leur répond : je n’ai pas serré la main de l’ennemi, j’ai serré la main du vaincu.
CONCLUSION
Que conclure ? Voilà le vrai visage de la guerre, au-delà des discours politiques et des manchettes des journaux.