J'ÉTAIS UN KAMIKAZE




Création le 8 juillet 2015

Le titre percute, comme aurait du le faire l’auteur (sur un navire de la flotte américaine). Ses supérieurs hiérarchiques n’étaient vraiment pas contents quand ils ont vu revenir son avion, à la limite de la panne de carburant.

Comment transforme-t-on un étudiant pacifique en bombe volante ? Degré par degré, après avoir bu son verre de saké et crié « Banzaï », il monte de plein gré dans son avion pour la dernière fois.

La traduction du livre a été faite en 1972, et préfacée par Pierre Clostermann. : « À l’histoire du conflit nippo-américain dans le Pacifique, il manquait un grand document humain. Ryuji Nagatsuka nous l’apporte enfin aujourd’hui.
 »


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Ce type d'attaques auraient connu des antécédents lors de la guerre de Shanghai en 1932, une bataille qui oppose pendant plusieurs semaines l'armée japonaise et l'armée chinoise et durant laquelle des jeunes japonais équipés d'explosifs se seraient fait sauter dans les tranchées chinoises. Il semble que ce soit la première fois que ce genre de phénomène soit apparu dans l'histoire de l'humanité.



 Kamikazé (神風, de かみ (kami) « dieu » et かぜ (kazé) « vent ») est un mot composé signifiant « vent divin » en japonais.

La première occurrence du mot kamikazé se trouve dans les Annales du Japon (Nihon shoki 日本書紀) où il désigne le vent qui souffle sur la région d'Ise et le sanctuaire d'Amaterasu. On le retrouve ensuite à l'époque d'Edo, notamment dans L'Histoire du Japon (Dai-Nihon shi (大日本史)) où il désigne des typhons en partie légendaires qui, en 1274 et en 1281, auraient mis en déroute la flotte de Kubilai Khan et stoppé les tentatives d'invasions mongoles.





Pertes consenties par l’État-majot japonais : au moins 14 009 tués rien que pour les unités kamikazes :
    •    2 531 pilotes d'avions (dont 55 sur avion-fusée Ohka et 365 membres d'équipages des Betty porteurs) de la Marine ;
    •    1 417 pilotes d'avions de l'Armée de terre ;
    •    3 751 marins de la 2e flotte engagés dans l'opération Ten-Gō du Yamato ;
    •    1 081 pilotes et 1 446 troupes de soutien des vedettes Shin'yō de la Marine ;
    •    263 pilotes et 1 573 troupes de soutien des vedettes Maru-Re de l'Armée de terre.

(Wikipedia)


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« Nous ne voulons pas que vous décriviez les tactiques kamikazé sous le nom d’attaques suicides. Jusqu’au bout, nous avons cru que nous pourrions équilibrer votre force matérielle et scientifique par nos convictions spirituelles et nos forces morales. »


Ainsi parlait en 1945 à une commission d’enquête américaine le général Kawabe, directeur des opérations kamikaze au Grand État-Major impérial.

C’était un simple étudiant contestataire, se destinant à une carrière de professeur de français et que la guerre va tenter de broyer dans un engrenage infernal. L’amiral Tojo, dans une allocution radiodiffusée invite les étudiants à abandonner momentanément leurs études pour s’engager dans le combat. Conséquence : les sursis sont supprimés, sauf pour les étudiants spécialisés en sciences. Cela suscite une discussion passionnée entre les étudiants sur les bonnes et mauvaises raisons d’avoir commencé et poursuivi la guerre.



Et une anecdote significative sur la guerre des services secrets. Voici comment l’attaque de Midway par la flotte japonaise  en représailles du raid américain sur Tokyo fut éventée par les Américains : le 16 mai 1942, l’amiral Nimitz a vent du projet d’attaque, grâce au déchiffrage du code japonais. Comme il n’arrivait pas à déchiffrer le point A.F. indiqué dans le code, il fit envoyer à tout hasard une dépêche non chiffrée à partir de la base de Midway : « Distillateur de Midway en panne, manquons d’eau potable. » 

Deux jours plus tard, on lui remit une dépêche chiffrée de la marine japonaise : « A.F. manque d’eau fraîche ». Il était évident que ce fameux A.F. désignait l’île de Midway. Ce fut une défaite japonaise : le seul porte avion japonais encore épargné par les bombardiers américains fut coulé par 24 bombardiers en piqué. Le contre amiral Yamaguchi proposa au commandant de monter sur la passerelle pour contempler la lune. C’est ainsi qu’ils disparurent avec leur bâtiment. Ce fut le déclin de la marine japonaise, mais aussi de son aviation : le fameux chasseur « Zero » surclassé, les pilotes japonais harassés …

L’enseigne de vaisseau Takatsu avait raconté cette bataille la rage au cœur, en terminant par ceci : « Une fois déclenchée, la guerre échappe à toute critique. Comme militaire, je ferai de mon mieux pour vaincre. C’est notre seul devoir.» Et l’appel de l’amiral Tojo changeait complètement la donne. Mais la mobilisation commence. Certains permissionnaires évoquent la brutalité des sous-officiers à leur égard. Par exemple, ils doivent répéter cent fois devant eux « Monsieur mon fusil, je vous demande mille pardons de ne pas vous avoir bien nettoyé, car vous m’avez été confié par Sa Majesté ». 


Et pour les civils, le rationnement devenait insupportable, tandis que l’aviation japonaise manquait de pilotes qui mourraient les uns après les autres dans les terribles combats du Pacifique, la « guerre sacrée ». Et l’armée et la marine s’efforçaient de recruter leurs pilotes parmi les étudiants des écoles supérieures … l’auteur se sentait entraîné pas à pas sur le chemin de la guerre.

On l’envoie travailler à l’usine. Il s’agit de bourrer de poudre les obus et les mettre sur la machine qui terminera le travail. Le désir d’être utile et d’échapper à cette vie ingrate l’incite à se présenter aux examens de pilote. Il reçoit son certificat d’admission : « Arriver au détachement le 1er juin à 15 heures. Apporter un sabre, une trousse de toilette. Il est strictement interdit d’emporter d’autres objets, y compris des livres. » Puis il quitte sa famille dans une atmosphère de gravité, il a la sensation vague d’être séparé de ses quatre sœurs par un rideau invisible …

La deuxième partie du livre s’intitule « Tandis que la bouche dit au revoir, le regard dit adieu »

Le commandant du camp fait un tableau très sombre de la situation militaire. Ses yeux brillent d’une profonde amertume. Il termine « Tous nos soldats au front réclament plus d’avions et davantage de pilotes. La victoire dépend de la maîtrise de l’air. C’est vous-mêmes qui êtes chargés de la reprendre. Vous passerez trente jours ici. Bon courage. »

L’entraînement commence par le pilotage de planeurs. Les progrès sont significatifs. Pendant le peu de temps qui leur reste, les aspirants discutent stratégie. Les Américains, qui disposent maintenant de B 29 , les fameuses « forteresses votantes » vont-ils attaquer la base de Saïpan dans les îles Mariannes ? La situation des armées était désespérée. Il fallait trouver de nouveaux moyens pour redresser cette situation, mais lesquels ?

Trois heures du matin. Un soldat court vers moi, me salue, puis me dit :
- Mon aspirant, rassemblement extraordinaire ! En tenue complète.

Le commandant Minami nous attendait, le visage silencieux et tendu, devant le quartier général.
- Saïpan est devenu le point chaud du Pacifique. Pour la première fois depuis le raid de Doolittle (sur Tokyo), le ciel de notre pays a été violé. C’est un fait … Les pilotes ont donc des responsabilités de plus en plus lourdes. J’espère que cela vous incitera à vous appliquer davantage encore à l’entraînement.

Les trente jours d’entraînement paraissent avoir duré dix ansCorps d’entraînement  de l’École d’aviation de Utsunomiya Mibu.

Tout notre temps est consacré au pilotage, exclusivement. Pas de permission. Le plus dangereux pour un pilote est le relâchement à craindre après une permission.



L’entraînement commence dès le lendemain. Lever à 4h 30 pour sortir les avions-école des hangars avant l’appel du matin. Nous sommes tous plein d’entrain. Pendant que nous courrons jusqu’à la tente montée au centre de l’aérodrome, les Akatombo conduits par les moniteurs roulent pour se mettre en ligne sur l’aire d’attente. Le vrombissement régulier  des moteurs excite notre ardeur.

Au cours du vol, j’étais comme hors de moi-même. Pour être franc, je n’avais pas regardé avec calme le tableau de bord. Le moniteur me dit : « Pendant le pilotage, une seconde d’étourderie peut être mortelle. Ne pensez qu’à vos manœuvres, et rien qu’à cela. La mort vous guette toujours. Vos camarades de combat auront la charge de renvoyer à votre famille les objets que vous laisserez … »

Le 9 juillet, l’amiral Spruance qui commandait en chef l’attaque de Saïpan annonça l’occupation de l’île. Sur les 32 000 Japonais, il n’y eut qu’un millier de survivants.

Début août, Âagatsuka est lâché seul sur son avion. Tout se passe bien. Content et fier d’avoir fait un atterrissage parfait, je rends compte :
Aspirant Âagatsuka. Terminé le vol du tour de piste. Tout est en ordre.
- Non ! Le bout de l’aile de ton appareil dépassait la ligne entre la zone de décollage et celle d’atterrissage. S’il y avait eu un avion au décollage, vous vous seriez heurtés de front. Quelle faute !

Puis vient la période des vols acrobatiques. Fin août, réception des familles. Ma mère s’arrête un instant pour me dire avec des larmes dans la voix : » Ton cousin Hidéo est mort au champ d’honneur à Saïpan. Il y a dix jours, les autorités ont communiqué officiellement cette triste nouvelle à ta tante. »

En octobre commence l’entraînement de vol en groupe, en formation de six. Dans le vol en formation, on est obligé de piloter sans jamais quitter des yeux l’avion du chef ainsi que le tableau de bord. C’est là la difficulté.

Un beau jour, rassemblement : « Nos réserves d’essence sont presque épuisées. Cette circonstance malheureuse nous oblige à suspendre l’entraînement de vol jusqu’à nouvel ordre. » Et le nouveau carburant (essence + alcool) cause la perte de plusieurs avions. C’est l’interruption de l’entraînement et en route pour la Corée.

Les attaques de B 29 sur Tokyo reprennent de plus belle. Ironie du sort, le mont sacré Fuji sert de point de repère. Le bilan de la bataille des Philippines est lourd pour les Japonais : 30 navires contre 6 américains. Âagatsuka est affecté à une escadrille de Toryu (littéralement « extermination d’un dragon »). Ce genre d’avion est destiné à combattre uniquement les B 29.



Pour moi, l’image de la mort se traduit par un petit point noir, collé à ma rétine, qui flotte sans cesse devant mes yeux, jour et nuit, comme un moustique infatigable. Et de penser : « La littérature développe l’humanisme, alors que le combat a pour but la tuerie », alors qu’il est passager dans l’avion Ki-45 Kaï qui va s’attaquer au B 29 qui luit au loin comme un sabre. Résultat nul. Deuxième engagement contre les B 29 : les mitrailleuses du chasseur sont impuissante contre la forteresse volante, sauf abattre le pilote dans son habitacle.

Les pertes en avions et en pilotes deviennent de plus en plus lourdes. Malgré ses efforts, Nagatsuka rate toutes ses cibles. Avec ses camarades, il se prend à parler de l’au-delà. L’au-delà boudhiste, il n’y croit pas.

Actuellement, même au Japon, on a l’habitude d’appeler Kamikaze les pilotes de ce genre d’attaque. Mais pendant la guerre, on lui donnait officiellement le nom de Shimpû Tokubetsu. Shimpû signifie le Vent divin et Shimbu le rassemblement des forces courageuses. Tous les caractères japonais  ont une double prononciation : le Vent divin se prononce à la fois Shimpû et Kamikaze. Shimpû est plus solennel et plein de dignité.

Ce fut dans la Marine que le premier corps d’attaque-suicide prit naissance. « Il faut que nous rendions inutilisables les ponts d’envol des porte-avions ennemis au moins pendant huit jours…     

À mon avis seule peut atteindre ce but l’attaque-suicide menée par les Zéro, chargés d’une bombe de 250 kgs. Qu’en pensez-vous ? » Après un accord de principe de tous les pilotes, le jeune Séki de 23 ans, qui vient de se marier, accepte d’être le premier. Pour les suivants, ils votent « oui » ou blanc. Deux blancs seulement. La première attaque est une réussite : deux porte-avions et un croiseurs coulés. On le fait savoir à l’Empereur, puis au peuple japonais.

31 mars 1945 - « Il y a deux heures, notre escadre a reçu l’ordre de former un corps d’attaque suicide … je suis obligé de … de vous demander d’être volontaire pour cette mission. Mais vous êtes libres de choisir. Vous me donnerez votre réponse demain, avant 20 heures. » Cela veut dire, après un mois d’entraînement, la mort.

Nous terminons en hâte notre petit déjeuner. Puis, sous la conduite d’Enomoto, nous nous rendons au bureau du commandant. « Mon commandant, nous vous demandons la faveur de participer à la mission d’attaque spéciale. » Il faut d’abord apprendre à décoller avec une bombe de 250 kilos. Puis au moment de l’attaque choisir soit de foncer en rase-motte à travers le rideau des colonnes d’eau provoquées par les obus américains, soit attaquer en piqué sous le feu de la DCA… Bien veiller à ne pas fermer les yeux …

27 mai - Les mitrailleuses sont enlevées des avions, car elles seront inutiles.

3 juin - Dernière visite à ma  famille, qui devine.


28 juin - Le temps s’éclaircit. Une flotte américaine approche. Encore onze heures à vivre. J’écris à ma famille : Mes parents, je vais quitter définitivement ce monde  demain … Mes sœurs,  adieu ! Nos parents n’ont plus de fils. Vous voilà donc chargées d’être pleines d’attention pour eux durant leur vie. Soyez toujours aimables, dignes d’être des femmes japonaises.

29 juin - 4 heures 30. Le jour se lève. Encore 1h 20 avant le moment fatidique du décollage. 5h 30 - Le lieutenant Uéhara nous verse un peu de saké. Enfin la cérémonie de départ des pilotes-suicide. 6 heures précises, nous décollons. La mer agitée et toute grise s’étend sous mes yeux. Puis nos formations volent dans le coton, et une méchante pluie frappe le pare-brise. À ce moment-là, je vois que les deux premiers avions pivotent pour obéir à l’ordre de retour. Je fais de même, sans en avoir conscience, en automate …

7h 30 - Où est le vrai « moi » ? Je suffoque. Sous le coup du désespoir, pour un peu je laisserais agir le militaire Âagatsuka qui veut encore voler vers l’ennemi. L’étudiant le retient de justesse. C’est une lutte intérieure dans la solitude et personne ne peut venir à mon secours.

8h 05 - Retour à la base. Mon commandant, je vous demande mille pardons ; le mauvais temps et la brume ne nous ont pas permis de découvrir nos objectifs.

Il manque 6 avions. qui n’ont plus de toute façon de carburant. Mon sabre, l’enveloppe qui contenait mon testament, tout est là, sur mon lit.


Quelques minutes plus tard, chez le commandant : « Vous n’avez pas su vous préparer à la mort. À preuve votre retour lâche sous prétexte de mauvaises conditions atmosphériques. Vous êtes des capons, des pleutres, vous avez déshonoré votre escadre et je le déplore. » J’aurais voulu lui expliquer : je n’ai pas peur de la mort, c’est le lieutenant Takagui qui nous a donné l’ordre de retour … J’ouvre vingt fois la bouche pour lui parler, mais je me tais.

Le 9 août, après Hiroshima, c’est Nagasaki. Un nouveau combat aérien oppose Nagatsuka à un chasseur américain. Il est touché. À moitié inconscient, il réussit à poser son appareil dans une rizière, il se réveille à l’hôpital.


Mes parents, ma sœur ainée et mes trois petites sœurs, tous sont là. Je vois les yeux de ma sœur ainée s’inonder de larmes qu’elle s’empresse d’aller cacher dans une chambre.


- Regarde, dit ma mère, en me tendant un dictionnaire « Nouveau petit Larousse illustré - 1940 » J’ai toujours veillé à tes livres. Tu vas pouvoir te remettre à tes études …



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Les deux vidéos documentaires suivantes illustrent bien notre article :