PORTE DE L'ORIENT


Au musée de Port Louis (près de Lorient)

Création le 4 mars 2015

À la fin du XVIème siècle, Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur et de Penthièvre, marquis de Nomeny, baron d'Ancenis, gouverneur de Bretagne, fait partie de la Ligue, mouvement catholique opposé au roi de France. 
 

Pour combattre Henri IV, Mercœur fait appel à des troupes espagnoles et en 1590, 10 000 hommes arrivent à Blavet, ancien nom de la ville de Port-Louis. Ces troupes sont essentiellement composées de mercenaires qui pillent le pays. Ils construisent un fort qui leur assure une solide protection en cas de représailles. Construit sur un escarpement rocheux le long du chenal d’accès  à la rade, ce premier édifice, de forme semi-circulaire, est achevé en 1591.

En 1598, la forteresse est partiellement démolie. Mais ses qualités défensives sont telles que Louis XIII en fait un symbole royal, qui est rebaptisé Port-Louis. Le fort devient une citadelle, dans son aspect actuel.



En ce temps-là, le principal port de la Bretagne était … Anvers ! Pourquoi ? La Bretagne était si prospère qu’elle avait été surnommée « Le petit Pérou ». Principalement à cause de l’exportation des toiles de lin pour la fabrication des voiles des navires et des habits coloniaux. Anvers était devenue la place de transit de nombre de petits ports de la côte nord de la Bretagne. Louis XIV, voulant rééquilibrer la balance commerciale de la France par rapport à l’Angleterre, avait institué une barrière douanière. 

Donc, l’Angleterre en avait fait de même, ce qui avait ruiné la Bretagne, mais avait donné à Lorient toute sa chance pour être le premier port exportateur français en mer océane, grâce à la valeur stratégique de sa rade. Tandis que Nantes et Bordeaux se spécialisaient dans le commerce triangulaire avec l’Afrique et l’Amérique, Lorient devenait la porte de l’Orient et de l’Extrême Orient.



 En 1666, la Compagnie française des Indes Orientales est implantée dans la rade de Port-Louis. La citadelle est considérée comme un poste avancé dans la défense de la rade.



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 Philippe Haudrère est professeur d’histoire moderne à l’Université d’Angers et membre de l’Académie de la Marine. Gérard Le Boueëdec est professeur d’histoire moderne et directeur du Laboratoire SOLITO (Histoire et Sciences sociales du Littoral et de la Mer) à l’Université de Lorient.

Les auteurs nous emmènent à la découverte de toutes les étapes d’un voyage au long cours, depuis la construction des navires et leur armement à Lorient, la traversée de l’Atlantique et de l’Océan Indien vers les comptoirs, jusqu’au retour et aux ventes des soies, cotons, thés, cafés, poivres et porcelaines. Ce commerce est à l’origine de la fortune de Lorient.




La « preuve de vie » de ces aventures est à découvrir au Musée de la Compagnie des Indes sis en la citadelle de Port-Louis. Un musée d’art et d’histoire unique dans un cadre exceptionnel.


 La Compagnie des Indes  a-t-elle besoin de terrains pour s’installer ? Qu’à cela ne tienne : le roi fait preuve de sa « bonté paternelle » envers ladite compagnie en lui faisant don, pour en jouir en toute propriété et seigneurie,  d’une grande surface de terrains à Port Louis et au Féandik (mai 1666). Il a fallu trois ans pour arriver à approuver cette implantation. Mais stratégiquement, le choix est bon face aux Anglais qui sont plus opérationnels dans la Manche que vers la Bretagne sud.

Que faut-il pour faire un navire ? Suit une longue liste à la Prévert. Finalement c’est toute la France et même toute l’Europe qui suit la Bretagne dans la construction et l’équipement d’un navire dont le tonnage moyen grandit peu à peu. En quarante ans, le tonnage double, passant de 600 à 1200 tonneaux. D’abord la Compagnie achète ses vaisseaux, mais ils sont  de qualité insuffisante : elle les construira. La fréquentation des eaux tropicales exige une protection particulière de la coque contre les tarets. C’est que la durée de vie d’un navire marchand n’est pas supérieure à dix ans..

Contre la piraterie, il faut des canons. La Compagnie les achète d’abord à la Marine royale, puis les fabrique elle-même. Il faut ensuite organiser tout ce qui est nécessaire pour la vie des hommes. Au départ, il est embarqué trois sortes de cargaison de nourriture : les « vivres de tables » pour les officiers et les passagers « de distinction », les « vivres d’équipage » pour les hommes, et les « rafraichissements » destinés à la nourriture … des malades. Pour la cargaison, deuxième liste à la Prévert en tête de laquelle figurent les vins et alcools.


 culture du ginseng canadien

Deux éléments attirent l’attention : le ginseng et l’or. Le ginseng est très apprécié par les Chinois. Or on a découvert au Canada une espèce de ginseng abondante et bon marché. Il est encore exporté de nos jours en Chine. Après avoir généré des bénéfices confortables, la spéculation fait chuter les cours. Quant à l’argent qui provenait de l’Amérique espagnole, il est échangé en Chine contre de l’or qui prend le chemin de l’Inde.


Mais ce commerce de métaux précieux, essentiellement à l’avantage de la Chine et de l’Inde, est ruineux pour l’Europe « qui y envoie environ 25 millions par an. » L’Asie devient un gouffre.

Passons aux matelots. La Compagnie a besoin de 1000 à 2000 « gens de mer » chaque année pour ses armements. 87% du personnel naviguant vient de Bretagne. Si la Compagnie éprouve peu de difficultés pour recruter, c’est qu’elle offre des avantages, en particulier le « port-permis », c’est à dire le droit d’embarquer une certaine quantité de marchandises et de la revendre au retour avec un bénéfice permettant de doubler sa solde, ce petit commerce se faisant soit à titre personnel, soit pour le compte d’amis … L’équipage est nourri, soigné à l’œil, et a le soutien de missionnaires qui bénéficient du passage gratuit.


jeton de majong

éventail nacré
Quant aux officiers, leur rôle est essentiel : « joindre à leur talent de leur état de marin un acquis et des connaissances supérieures. » Vaste programme. Il ne faut pas « manquer » la mousson, mais aussi maintenir la discipline, veiller au bon  déroulement des opérations commerciales, et bien entendu défendre le vaisseau contre les pirates.



La Compagnie engage environ 25 officiers par an, en majorité des Bretons. Ils reçoivent une formation pratique : ils doivent faire quatre ou cinq campagnes avant d’être admis dans le « corps » des officiers ; plus une formation théorique dispensée par un maître d’hydrographie. Les carrières sont assez rapides : on peut devenir capitaine à 42 ans. Ils bénéficient aussi du « port-permis » et surtout du commerce de la pacotille d’une importance considérable : « Les vaisseaux de la Compagnie sont pleins de pacotille au point d’en être bondés. »

Les Compagnies disposent de comptoirs, de loges (simples entrepôts) et d’escales. Mais ceci fera l’objet d’autres articles.