ADIEU CAPITAINE KAMIMURA




 Modification 1 le 25 février 2015 - photos et CV

Etsuko Murakami est née à Fukuyama (ville "fidèle au shogun" lors de la guerre civile qui a abouti à la "restauration de Meiji" ( l'empereur, jusque là réduit à un simple rôle sacré)
Le terme shogun, ou shogoun, du japonais shōgun (将軍), signifie « général » ; c'est l'abréviation de seiitaishōgun 征夷大将軍), que l'on peut traduire par « grand général pacificateur des barbares ».. 
 

 


Descendante de Samouraï par son père, et de bonzes par sa mère, elle fait ses études à l’université privée « International Christian University » (ICU), perfectionne son français à Aix en Provence,




revient à Kyoto, 
 


où elle enseigne le japonais à l’Institut de la langue japonaise. Épouse de diplomate, elle évolue dans un monde international …


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Ce livre est une série de « pas japonais » sur votre pelouse. Chaque chapitre en est un : vous suivez le guide, sans trop savoir où vous allez, jusqu’à l’illumination finale, le « satori ». (Satori (japonais 悟り satori ; chinois :悟 wù) est un terme du bouddhisme zen qui désigne l'éveil spirituel. La signification littérale du mot est « compréhension »)

Le début est on ne peut plus classique : « J’étais dans une barque, prête à appareiller avec un vieux pêcheur chinois. Une fillette de six ans, avec des fleurs orange dans les bras vint me demander en anglais si elle pouvait monter à bord. Je lui dis de demander au batelier, qui de la tête fit signe que oui. »

Mais Maki, la petite fille, jette son bouquet à la mer et abandonne - volontairement ? - un cahier noir dans le bateau.

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Changement de décors : le cahier noir est le journal intime de Tokiko, une Japonaise, à la limite de la folie, qui a tiré au revolver sur son reflet  dans un miroir, et se retrouve dans un lit de l’hôpital Sainte Anne à Paris. Ses visions sont en fait des cauchemars. Sa copine Sophie s’est suicidée, son frère ne tourne pas rond - de plus il est spécialiste de Shakespeare - , elle déteste Paris. Le docteur lui a demandé d’écrire pour faciliter son diagnostic de psychiatre …

Quelques flashs :

Tel ce philosophe qui regarde un tableau où un bateau rame sur la rivière. Il se penche un peu trop, tombe dans le bateau qui disparait du tableau.

Ou ces poissons au bord de l’eau du petit lac du jardin - japonais - du grand-père ; quand la pluie a fait déborder le lac, ils se sont échoués sur l’herbe, sans instruction pour le retour au lac en cas de décrue. Le grand-père en est mort de chagrin.

Mais aussi :
« Le château de ma ville natale a été détruit trois jours après la bombe d’Hiroshima. Qu’est-ce qu’il faisait, mon père, officier du Japon impérial, le jour de la bombe atomique d’Hiroshima, à la base de Suidobashi à Tokyo où plus tard Mishima s’est suicidé en se coupant le ventre ? Quant à moi, je n’existais pas encore. »

La jeune femme est mariée avec Pierre, un journaliste et photographe français, qu’elle se doit de quitter afin de retourner seule au Japon. Son père était bien venu en France : « Les Français aiment les lignes verticales et horizontales, tandis que nous, Japonais, aimons les lignes courbes … Au Japon, les dieux sont partout et il est très facile de s’en approcher. » Cependant, il adorait les rosaces de la cathédrale Notre Dame de Paris.




Quelques chapitres plus tard, Tokiko est au Japon, avec son ciel rose. C’est déjà le printemps et les cerisiers en fleur teintent en effet l’air en rose. Elle est libre d’écrire ou de cesser d’écrire.

Il y a aussi son amie Kyôko qui lui confie « Je viens souvent dans ce temple où une dame que j’ai connue jadis est enterrée. Devant sa tombe, je parle des heures entières avec elle et après je m’assois ici devant ce Bouddha jusqu’à ce qu’il sourie. Parfois, il sourit tout de suite, parfois il est de très mauvaise humeur et il met du temps avant de s’y mettre … » Et Kyôko d’ajouter au sujet de la future fille de Tokiko : « Ta fille sera une jolie petite fille. Cette année, c’est l’année du serpent. Pour les filles, le signe du serpent est meilleur que celui du dragon … Le signe du serpent est le seul signe qui soit capable de s’entendre avec celui du dragon. Moi aussi, je suis du signe du serpent, et mon mari est dragon. »

Si le serpent a mauvaise réputation dans les pays chrétiens, dans les pays asiatiques, au contraire, il est réputé et souvent vénéré pour sa sagesse, sa sagacité et sa volonté. L'homme serpent est sentimental et agréable. Il a de l'humour. La femme est belle et réussit souvent par sa beauté (Grace Kelly, Jacqueline Kennedy sont du signe du serpent). Au Japon, quand on veut faire un compliment à une femme et rendre hommage à sa beauté, on a coutume de lui dire : " Ma chère, vous êtes un vrai serpent! ", ce qui est un compliment peu banal et qui risquerait de déplaire dans nos pays de culture chrétienne...



  
Tokiko s’est trouvé un job dans hôtel où elle travaille de temps en temps comme interprète pour les touristes japonais et français. L’hôtel est situé dans une île de rêve en Malaisie. Sa fille, qui a maintenant cinq ans, lui dit qu’un vieux chinois, Lin, les invite à manger le durian, le roi des fruits, alors que c’était interdit à l’hôtel à cause  de son odeur, entêtante et tenace, suave et violente à la fois.

Ce fruit, lui aussi appelé durian, est récolté dans le sud-est de l'Asie mais également en Amérique du Sud, on en trouve par exemple sur les marchés de Guyane fin mars début avril. Il se présente comme une grosse baie ovoïde (parfois plus de 40 cm de longueur), pesant jusqu'à 5 kg, avec une carapace de grosses épines, et poussant en haut de grands arbres. Il est connu pour son goût particulier et sa forte odeur (à tel point qu'il est interdit dans les lieux publics et dans les transports en commun par de nombreux pays d'Asie du Sud-Est).


En 1856, le naturaliste britannique Alfred Russel Wallace donne une description des saveurs du durian :
« Les cinq quartiers du fruit sont d'un blanc soyeux au dedans, et sont constitués d'un amas de pulpe ferme de couleur crème, contenant environ trois noyaux chacun. Une épaisse crème anglaise parfumée à l'amande donne une idée de son goût, mais il y a parfois des apparitions occasionnelles d'une saveur qui rappelle une crème au fromage, une sauce à l'oignon, du xérès et d'autres plats incongrus. La pulpe est d'une texture onctueuse, gluante et épaisse pareille à nulle autre, mais qui ajoute à sa finesse. La chair n'est ni acide, ni sucrée, ni juteuse ; pourtant elle n'a besoin d'aucune de ces qualités, car elle est parfaite en elle-même. Le durian ne produit pas de nausées ou d'autres mauvais effets, et plus l'on en mange, moins l'on a envie d'arrêter. En fait, manger du durian est une nouvelle sensation qui mérite elle-même un voyage vers l'Asie pour en faire l'expérience."



L'écrivain féru de gastronomie et de voyages Richard Sterling a employé des mots bien plus durs :
« … son odeur peut être décrite comme celle des excréments de porc, de térébenthine et d'oignons, le tout garni par une vieille chaussette. On peut le sentir loin à la ronde. Malgré sa grande popularité locale, le fruit est interdit dans certains établissements comme les hôtels, les métros et les aéroports (y compris les bagages à main et autres valises, accompagnés ou non), ainsi que les transports publics du sud-est asiatique."


Tokiko et Maki sont invitées chez Ataï pour fêter la fin du Ramadan. La mère d’Ataï a expliqué en souriant qu’elle était heureuse d’avoir eu beaucoup d’enfants, même si elle était pauvre. Le curry avec le riz cuit dans le lait de noix de coco, le goula malacca, les durians, tout était délicieux.





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Tokiko fait toutes sortes de rencontres dans une île qui n’est pas si déserte que ça. Mais elle s’avoue : « Je vis dans cet hôtel comme un monastère ou un hôpital psychiatrique. Je vis dans un abri. J’ai très peur d’en sortir. » Bref, elle fait la connaissance d’un jeune Japonais Haruhiko, amené à son hôtel par le gouvernement japonais pour enseigner l’agriculture aux habitants de l’île. Le pied du Japonais n’arrête pas d’enfler. Le docteur conseille d’aller voir une vieille guérisseuse, Baba-Tac. Au bout d’une heure et  demie, Haruhiko pouvait marcher sans canne, guéri. Et tout le monde part vers une maison hantée. Suivez le guide ! Une jeune fille transparente est apparue.


 Haruhiko a tout compris (pas vous !). Il se dirige vers un arbuste touffu près duquel git une pierre. Après avoir enlevé la pierre, il découvre une boîte en bois à moitié pourrie. Dedans, il y a un drapeau japonais où sont écrits plusieurs noms. « C’est le nom de mon grand-père ! » disparu pendant la guerre.

Tiens, tiens ! Un bel homme, très fin et distingué et une belle femme en costume traditionnel sont assis autour de la table. Tokiko s’approche.
- Je suppose que vous êtes Madame Kamimura, la fille de Monsieur Kamimura Yoshitaka.
- Oui.
- Je connaissais très bien votre père. C’était un homme, un samouraï loyal et fidèle en amitié. C’était pendant la guerre, à Singapour. J’étais chez un ami chinois. Un soir, juste après le repas, je m’étais retiré dans ma chambre. Deux soldats et un officier entrent. « Bonjour Monsieur, je suis le capitaine Kamimura de l’armée impériale du Japon. Je voudrais vous demander quelque chose. Pourriez-vous me prêter le livre qui est sur votre bureau pour ce soir. Je viendrai demain vous le rendre."








 C’était un livre sur le théâtre de Shakespeare. Le capitaine a attendu la fin de la guerre pour rendre le livre. Mieux, l’hôtel où habite Tokiko, c’est le capitaine Kamimura qui l’a fait construire ! Une étoile filante passe à l’horizontale … Tokiko se fait montrer quantité de photos inconnues de ses parents.


L’ami Richard explique à Tokiko :
- Tokiko-san, j’ai toujours peur de m’approcher de vous parce que vous êtes la fille du capitaine Kamimura … Si nous quittons les ancêtres, nous perdons tous nos biens. Nos ancêtres nous ont ainsi piégés … Moi j’ai hérité de la plantation de mon père, vous de l’esprit des samouraï. Moi, je n’arrive pas à vendre la plantation, et vous, vous ne pouvez pas  vous défaire de votre orgueil Kamimura."

La vie banale continue, la petite Maki a disparu avec une copine au milieu de la jungle. On les a retrouvées : elles jouaient à la dînette. Et Pierre, le mari français, est réapparu pour accélérer les formalités du divorce. Ils sont allés piqueniquer dans une petite île avec le vieux Lin. Alors que Pierre est parti avec Maki, Lin dit tout-à-coup :
- Écoutez bien ce que je vais vous dire. Surtout, ne bougez pas et ne faites pas de bruit. Il va partir. Vous avez un cobra à gauche de vous. Vous lui demandez intérieurement, sans prononcer un mot, de partir. Vous lui dites que vous êtes gentille et que vous offrirez une noix de coco en rentrant chez vous. »
 

Après un instant interminable, le serpent bouge vers le rocher au bout de la plage. Lin dit alors avec le plus grand sérieux :
- Il faut absolument que vous fassiez l’offrande d’une noix de coco dans un temple hindou qu’on appelle le temple des cobras. Il se situe dans une grotte sur la petite colline."


Ataï, amoureux de Tokiko, lui offre un collier de corail rose. Elle le regarde partir sans un mot ; son sang de samouraï : « Pour être un bon guerrier, il ne faut jamais oublier le sang-froid. Il ne faut jamais se laisser ébranler par quelque sentiment que ce soit. Il faut toujours contrôler ses sentiments, et choisir la voie de la raison. » Et puis : »Je hais l’orgueil des familles de samouraï ».

Le cahier noir est presque terminé. « Pourquoi j’écris en français, je l’ignore. La seule chose certaine, c’est que si j’écrivais en japonais, je n’aurais pas écrit la même chose. Je me serais sentie beaucoup moins libre. »


Tokiko revient à Paris pour terminer le divorce. Maki est du voyage : « Maman, à Paris, il n’y a que d’énormes rochers de bâtiments. Pas de plantes, pas de terre, pas de papillons, pas de mer, pas de poissons, pas d’oiseaux. Les maisons sont trop hautes comme si elles voulaient nous empêcher de voir le ciel. » 


Maki tombe malade. Le moral de Tokiko est aussi bas que les nuages de Paris. Elle a sorti de son sac le collier qu’ Ataï lui avait offert et elle a commencé à prier Dieu en égrenant le collier. Sa grand-mère lui disait toujours : « Quelque religion que l’on choisisse, peu importe. Un Dieu existe : il faut toujours avoir la foi. » Maki est guérie.
 

De retour dans son île, Tokiko  est sur le sommet de la colline. Elle entend les sabots du cheval. Sur l’autre sommet de la colline, un soldat en uniforme kaki la regarde intensément. Il tient dans la main droite un grand drapeau qui flotte dans le ciel bleu. Trois feuilles de paulownia sur le drapeau, l’emblème de la famille Kamimura. Sur son cheval gris, il a fait le salut militaire. Elle voulait s’en approcher, mais il lui a fait signe de ne pas le suivre et il a tourné les talons. Avec lui, le drapeau, la famille Kamimura et son orgueil s’en sont allés.




 Le journal s’arrête peu après. Le vieux Lin raconte :
- Ataï, qui était amoureux de Tokiko san s’est suicidé. Elle s’est levée sans un mot, et a commencé à marcher dans la direction de la plage. Je l’ai vue marcher très loin. Je ne peux même pas dire si elle était dans l’eau ou sur l’eau. Son foulard et ses cheveux ondulaient longtemps près de l’eau. Et tout à coup ils disparurent. J’ai entendu Maki crier « Maman! Maman! ». On l’a cherché en vain pendant un mois. Pour moi, elle est toujours vivante. »
 

Les fleurs orange flottaient autour de notre bateau et comme il se déplaçait petit à petit, les fleurs s’alignaient perpendiculairement à l’horizon, comme si elles nous indiquaient le chemin vers le soleil qui leur donnait cette couleur d’or ...



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