LECLERC ET L'INDOCHINE


Modification 1 le 1 janvier 2015

La conférence de Potsdam, organisée par les puissances alliées (moins la France), s'est déroulée du 17 juillet au 2 août 1945, pour fixer le sort des nations ennemies. Londres et Washington s'entendent pour concéder une zone d'occupation de l'Allemagne à la France libre du général de Gaulle . Mais, concernant l'Indochine française, intégralement contrôlée par les Japonais depuis le coup de force du 9 mars 1945, les Alliés décident, sans consulter la France, de confier le rétablissement de l'ordre au Royaume-Uni et à la République de Chine, les Britanniques devant administrer le sud et les Chinois le nord, les zones d'influence étant délimitées par le 16e parallèle.

Après avoir jeté un voile pudique sur les comportements des Etats-Unis et de l'URSS vis à vis de la France, on en viendra à la question principale concernant l'Indochine : que faire ? Les éléments de l'armée française qui y sont présent sont au mieux prisonniers, désarmés. De plus les nationaliste indochinois, sous la conduite de Ho Chi Minh, revendiquent une indépendance immédiate, particulièrement au Tonkin, avec l'accord tacite ou effectif des Etats-Unis.



Le Général de Gaulle décide d'envoyer un corps expéditionnaire, quitte à négocier avec le Viet Minh un "self gouvernement" dans le cadre de l'Union française. Le 16 août 1945, il nomme Haut-commissaire de France et commandant en chef pour l'Indochine l'amiral Georges Thierry d'Argenlieu (en religion : père Louis de la Trinité), un dogmatique à l'autoritarisme cassant, avec pour mission de rétablir l'ordre et la souveraineté française dans les territoires de l'Union indochinoise.

Le général Leclerc, après l'épopée de la Deuxième Division Blindée, songeait à reprendre du service au Maroc du début de sa carrière ( http://marockersco.blogspot.fr/search/label/a%2010%20LECLERC%20AU%20MAROC ) Mais le général de Gaulle décide de l'envoyer en Indochine diriger les opérations militaires. Leclerc est un entrepreneur guerrier pragmatique et victorieux. On peut se demander pourquoi de Gaulle a concocté un si curieux attelage, et quelles en ont été les conséquences ?

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Axel Rappoli, Saint-Cyrien, docteur en Sciences Politiques de l'Université de Paris 1, a écrit sur le sujet le livre "Leclerc et l'Indochine" avec le sous-titre : "Stratège militaire et génie politique". C'est tout dire.

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 1940. L’affaiblissement de la métropole rendant le maintien du contrôle français sur l’Indochine hasardeux et difficile, le Japon obtient du gouvernement français de Vichy l'autorisation d'installer des troupes en Indochine, suite à la prise de Lạng Sơn (offensive des 22-25 septembre 1940). 



Staline, Roosevelt, Churchill à Potsdam

Après l’attaque de Pearl Harbour en décembre 1941, l’organisation des Alliés contre le Japon comprend aussi la Chine. Et Chiang Kai-Shek insiste pour que la péninsule indochinoise reste dans l’orbite chinoise. Mountbatten obtient un « gentleman agreement » : l’Indochine sera sous influence chinoise au nord et britannique au sud. Quant au président Roosevelt, il a la volonté de séparer l’Indochine de la France par le biais d’un système de tutelle internationale. sous le prétexte que « Les Français avaient exploité et mal gouverné les populations autochtones ». La Grande Bretagne est le seul allié à accepter le retour de la France en Indochine. Et Staline a même déclaré qu’il ne pouvait imaginer le retour du système colonial français. Quant au général américain Chennault, il dira : « J’ai appliqué les ordres à la lettre, sans pouvoir me faire à l’idée que je laissais des Français se faire massacrer dans la jungle tandis qu’on m’obligeait officiellement à ignorer leur sort. » Le résultat concret est que la France perdra la face devant la population indochinoise.

Mais Truman succède à Roosevelt, et opère un revirement de la politique américaine vis à vis de l’Indochine : il reconnait le bien-fondé de la position française, tout en se préoccupant du futur des populations de l’Indochine.


Le colonel Leclerc, dont la colonne est montée du Tchad vers Tunis via Koufra, a tenu son serment.

http://tunisiekersco.blogspot.fr/search/label/9%20-%20LA%20COLONNE%20LECLERC%201

Dans ces conditions, il arrive à Saigon le 5 octobre 1945 grâce à Mountbatten. Pour autant, il découvre que la souveraineté de la France en Indochine n’est pas reconnue de facto.

Or De Gaulle veut nommer Thierry d’Argenlieu, un fidèle, au poste de Haut Commissaire en Indochine, alors que ce dernier avait servi sous les ordres de Leclerc. Souci de ménager Leclerc face aux difficultés asiatiques pour en faire un successeur éventuel, ou souci de se débarrasser d’un rival potentiel en le faisant brider par Thierry d’Argenlieu ? Le 16 août, De Gaulle interrogera d’Argenlieu : « Leclerc est-il calmé ? » Le lecteur appréciera.

Quoiqu’il en soit, les deux homme n’apprécient pas vraiment de la même manière la stratégie à adopter dans une situation politique mouvante. Leclerc est sur le terrain, De Gaulle et Thierry d’Argenlieu sont plus lointains. Leclerc finit par considérer qu’il faut une entente sérieuse avec les nationalistes annamites représentés par Ho Chi Minh, mais en position de force, c’est à dire en faisant admettre un débarquement militaire au Tonkin pour prendre la relève des troupes chinoises, et en désarmant le reliquat des troupes japonaises.

Le 2 mars 1946, Leclerc écrit au général commandant les troupes chinoises de la région de Haiphong pour le prévenir de l’envoi d’une mission d’officiers supérieurs afin de déterminer les conditions de débarquement et d’installation des troupes françaises de relève. D’autre part il dirige Sainteny au cours des négociations avec le Vietminh et les Chinois. Enfin il a recours à Salan pour régler avec les Chinois les détails du débarquement. Ceux-ci avouent avoir reçu l’ordre de retarder la date du débarquement jusqu’à la décision de Mac Arthur. 


Français et Chinois obligent Ho Chi Minh à émettre des propositions. Leclerc est à bord du croiseur Émile Bertin. Pour la petite histoire, le nom du croiseur vient du Français Louis, Émile Bertin , ingénieur général du Génie maritime, École polytechnique, a créé la première marine militaire du Japon en 1886.

Pour calmer le jeu, la délégation française (Sainteny) rédige le texte suivant : « Le gouvernement français reconnaît la République du Vietnam comme un État libre. Le gouvernement du Vietnam se déclare prêt à accueillir amicalement l’armée française … faire cesser sur le champ les hostilités et créer le climat favorable nécessaire à l’ouverture immédiate de négociations amicales et franches. Hanoï, Saigon ou Paris pourront être choisis comme siège de la conférence."

Rien ne se passe comme prévu : les Chinois canardent la flotte française qui remonte la rivière d’Haiphong en ayant reçu l’ordre formel de ne pas riposter. Cela se traduit par une trentaine de mort et une centaine de blessés du côté français. Leclerc donne enfin l’ordre de riposter, ce qui ramène les Chinois à la raison, car ils seront réputés avoir été les agresseurs. 


À Hanoï, Ho Chi Minh accepte les conditions proposées, et le 6 mars 1945, une très importante convention franco-vietnamienne est signée. L’annexe indique qu’une force de relève comprendra 10 000 Vietnamiens et 15 000 Français (d’origine métropolitaine), sous commandement français et un état-major franco-vietnamien.

Mais le gouvernement français, et D’Argenlieu qui lui emboite le pas, ne sont pas satisfait de l’annexe. Ils ne veulent pas de Paris comme lieu de la conférence, alors que Paris est le meilleur choix pour Ho Chi Minh pour asseoir sa notoriété vis à vis de ses extrémistes. Il leur fait savoir : «  Je jure que je ne vous ai pas vendu ». Et Giap : « Nous faisons la paix avec la France pour gagner du temps, préserver nos forces et maintenir notre position afin d’accéder plus rapidement à l’indépendance. » Et dans ses souvenirs, il écrira que « la signature fut la première convention signée par la République du Vietnam avec un pays étranger. » La Chine est satisfaite. Les États-Unis presque. De nombreux télégrammes et lettres privés arrivent à Paris exprimant leur soulagement à l’annonce de la signature des Accords du 6 mars. Les Américains de Hanoi célèbrent ces accords comme une « French Victory » ! Reste à s’entendre avec les autorités chinoises sur les modalités de la relève. Encore que Chiang Kai-Shek estime que « La France généreuse avait su, une fois de plus, donner l’exemple ».

Après la signature des accords du 6 mars, Sainteny exprime sa satisfaction, et Ho Chi Minh lui répond :
- Moi, j’ai de la peine, car au fond, c’est vous qui avez gagné. Vous savez bien que je voulais plus que cela. Enfin je comprend que l’on ne peut pas tout avoir en une seule fois.

 
Puis il embrasse Pignon et Sainteny en déclarant :
- Ma consolation, c’est l’amitié.

Tout semble donc aller pour le mieux, mais … alors que Leclerc veut jouer franc jeu avec les Annamites, D’Argenlieu ergote déjà sur la désignation de Paris comme lieu de la conférence. Leclerc interroge Ho Chi Minh sur la possibilité d’une prise d’armes franco-vietnamienne. Et Ho Chi Minh de répondre : « Tout à fait d’accord, mais seulement quand nous aurons reçu la réponse au sujet de Paris. » Leclerc approuve : « Il est indispensable de leur donner la satisfaction, promise par Sainteny, de négociations à Paris. »



Leclerc entre à Hanoi au milieu d’une foule en liesse. Le 19 mars 1946, à la citadelle, il rend hommage aux troupes françaises. Il rencontre à nouveau Ho Chi Minh, qui déclare à Simpson Jones * après l’entretien : « Je suis sûr que si ces deux hommes (Leclerc et Sainteny) conservent l’appui de leur gouvernement et si les conditions sur lesquelles nous nous sommes mis d’accord sont respectées, nous pourrons trouver la paix et construire un avenir, ici en Indochine au sein de l’Union française. »
* Peter Simpson Jones « Je fus nommé à Hanoi de fin octobre 1945 à juin 1946. J'étais lieutenant- commandant dans la Royal Navy, attaché au personnel du Captain Allan Hillgarth qui était le Chief of British Naval Intelligence, Eastern Theater. »

Puis a lieu la revue de l’escadre française en présence de d’Argentier, Leclerc, Ho Chi Minh. Colère de d’Argentier à propos de Leclerc : « Je ne veux pas courir à un Munich indochinois ». Le désaccord entre les deux hommes grandit et d’Argenlieu demande le renvoi de Leclerc et de Salan. Juin, en tournée d’inspection en Asie du Sud-Est est saisi de ce désaccord et n’ose pas trancher. S’il l’avait fait, la guerre d’Indochine n’aurait vraisemblablement pas eu lieu. Le 19 juillet 1946, Leclerc, nommé général quelques jours auparavant, quitte l’Indochine.

De retour à Paris le 12 janvier 1947, Leclerc rend compte immédiatement à Léon Blum de la mission qu’il a faite du  28 décembre 1946 au 9 janvier 1947 : « Il ne fallait pas provoquer la guerre, il fallait chercher une solution politique. » Blum lui propose de remplacer l’amiral d’Argenlieu. De Gaulle à qui Leclerc se confie, reconnait l’imbroglio qu’il a lui-même créé : « Rappeler d’Argenlieu en ce moment serait une nouvelle sottise et une nouvelle lâcheté quel que soit son remplacement, et même si c’est Leclerc, le monde entier conclura que nous nous désavouons nous-mêmes. » Suite à la diffusion de son rapport, de très nombreuses personnalités de toutes tendances politiques supplient Leclerc de repartir en Indochine. En fin stratège, celui-ci flaire l’impasse et pose ses conditions : être proconsul, avec l’appui total du gouvernement français pour : soit négocier une indépendance totale, soit mener une reconquête totale mais avec un corps expéditionnaire de 500 000 hommes. Bien entendu, Leclerc ne reçoit pas satisfaction, et refuse de repartir, encouragé par De Gaulle lui-même. Dans le cas contraire, il lui eut fallu franchir un Rubicon, ce qui n’était pas dans ses valeurs.

Finalement, ce sont les demi-solutions qui sont adoptées : D’Argenlieu est remplacé. Sainteny est rappelé en France. Ho Chi Minh lui écrit : »Je vous connais assez pour vous dire que vous n’êtes pas responsable de cette politique de force et de reconquête. Malgré ce qui est arrivé, vous et moi restons amis, et je peux vous affirmer que nos deux peuples restent aussi amis … Il suffit que la France reconnaisse l’indépendance et l’unité du Vietnam et immédiatement les hostilités cesseront. »

Le général Leclerc entame ensuite une série de missions au Maghreb où il harangue les troupes avec la plus grande des lucidités.

Le 28 novembre  au matin, il assiste à une prise d'armes à Arzew, puis rejoint l'aérodrome de La Sénia où l'attend son avion personnel, un B-25 Mitchell baptisé Tailly 2 (Tailly est le nom de la commune de la Somme d'où est originaire Leclerc) qui doit le conduire à Colomb-Béchar où il doit passer la journée. L'avion décolle à 10 h 15 avec une météo peu favorable : une tempête de sable est annoncée sur Colomb-Béchar.


L'atterrissage, prévu à 11 h 45, est repoussé deux fois d'un quart d'heure par l'équipage. Le dernier message du B-25 disait : « Tout va bien à bord, sommes à dix minutes du terrain de Colomb-Béchar ».


Une heure plus tard, la rumeur d'un accident commençant à se propager à Colomb-Béchar, une colonne de la 1re compagnie saharienne portée de légion se met en route vers le Nord en longeant la voie ferrée. Ils découvrent les débris du bombardier éparpillés de part et d'autre du remblai de la voie ferrée.
Les légionnaires et secouristes commencèrent l'identification des corps dans l'après-midi du 28 sur la zone de l'accident. Toutes les victimes ayant été décapitées au contact avec le sol, ce sont les troncs qui ont été identifiés sur la base des uniformes, des grades et des papiers personnels. Une fois les corps transportés à la morgue de l'hôpital de Colomb-Béchar dans la soirée, ce sont treize corps qui seront formellement dénombrés par les médecins, alors que l'avion ne transportait que douze hommes.

Les douze corps identifiés arrivent à Paris le 6 décembre. Leclerc est inhumé aux Invalides aux côtés de Foch, Turenne et Vauban après une journée de deuil national.
Le rapport officiel conclura à l'imprudence du pilote François Delluc, malgré son expérience et ses états de service extrêmement brillants, et à l'obstination du général Leclerc qui aurait ignoré la météo défavorable.


Le B-25 de fabrication américaine avait été aménagé d'une manière imprudente par l'Armée de l'air en ajoutant une couchette à l'arrière qui a pu faire contrepoids et causer l'accident. Aucun autre B-25 n'a jamais été utilisé pour transporter autant de passagers.
(source Wikipedia)


Leclerc aura des obsèques nationales, et sera fait maréchal de France. Rarement un Français n’aura mérité une telle unanimité.

On pourra aussi consulter avec intérêt l’article du site :
 

http://www.anai-asso.org/NET/document/le_temps_de_la_guerre/la_guerre_dindochine/leclerc_en_indochine/index.htm