LES PORTUGAIS A GOA




Création le 7 juin 2014

Spécialiste reconnu, de l’« extrême Asie » depuis près d’un demi-siècle, ayant d’abord travaillé dans l’armée, puis l’administration, avant de créer sa propre société d’ingénierie en Inde, auteur de nombreux ouvrages, Jean-Marie de Beaucorps  entend braquer ses projecteurs sur une partie du monde encore (trop) mal connue des Occidentaux.

D’où la création de 
www.kergour.com 

qui, à la différence d’autres plates-formes en ligne se contentant d’un survol des différentes problématiques, apparaissent comme une mine de renseignements et propose analyses exclusives et commentaires politiques, économiques et culturels.



Jean-Marie de Beaucorps a bien voulu nous autoriser à publier celui des livrets correspondant au thème suivant :


LES PORTUGAIS et LA VICE-ROYAUTE de GOA

EXERGUE :


« Il n’y avait pas quarante mille Portugais sous les armes et ils faisaient trembler l’Empire de Marve, tous les barbares d’Afrique, les Mammelouks, les Arabes, et tout l’Orient, depuis l’Isle d’Ormuz jusqu’à la Chine. Ils n’étaient pas un contre cent. Quels hommes devaient donc être alors les Portugais et quels ressorts extraordinaires en avait fait un peuple de héros ? ».

( Histoire philosophique et politique des établissements et du
commerce des Européens dans les Indes  - Abbé Guillaume RAYNAL – 1770 )

 
Et le célèbre historien portugais de BARRIOS écrit :
« Ils ( les Portugais ) combattent les Maures plutôt comme les ennemis de leur foi que comme les envahisseurs de leur pays …. Le royaume du Portugal a été fondé dans le sang des martyrs, et par ses martyrs, s’est étendu dans le monde entier ».


Au 15ème Siècle, les Européens sont devenus riches et de plus en plus « demandeurs » de produits de luxe : soies, cotonnades, pierreries et aussi épices, lesquelles jusqu’alors sont acheminées par terre et par mer d’Inde vers l’Arabie et l’Egypte où Génois et Vénitiens les prennent en charge pour les distribuer à grands prix dans le monde méditerranéen et en Europe de l’Ouest.


Mais ces Européens-consommateurs sont aussi de plus en plus conscients qu’ils payent ces produits très cher, trop cher et naturellement, ils rêvent de trouver un accès direct à l’Inde.
 


Les Portugais comprennent qu’il y a là une intéressante opportunité, et ils vont se donner pour mission d’ouvrir une voie maritime vers l’Est, vers l’Inde. Pendant tout le 15ème Siècle, ils vont progresser le long de la côte Ouest de l’Afrique. Ils iront de succès en déboires mais ils persévèreront et en 1488, DIAZ de NOVAES double le Cap situé à la pointe Sud de l’Afrique, le Cap dit « de Bonne Espérance » et aborde la Côte Est de l’Afrique.

L’Océan Indien est désormais accessible et la route maritime de l’Inde est ouverte. Immédiatement, les Portugais préparent une grande expédition qui empruntera la voie Est de l’Océan Indien vers l’Inde. C’est alors qu’en 1492, tombe une extraordinaire
nouvelle : Christophe COLOMB qui recherchait par l’Ouest une voie vers l’Inde, a découvert l’Amérique. C’est le coup d’arrêt au projet portugais.


Il faut attendre et évaluer ce que représente la découverte de COLOMB. Très vite, on va le savoir : les nouveaux territoires
découverts ne produisent ni épices ni tissus précieux... 


Les Portugais, tranquillisés, reprennent leur projet et en juillet 1497, VASCO de GAMA, à la tête de trois navires et avec 200 hommes d’équipage, vogue vers l’Inde, bien sûr à la recherche des épices et autres produits orientaux, mais aussi avec l’espoir de trouver le mythique ROI DAVID qui, selon les légendes, règne sur des millions de chrétiens quelque part « en Inde ».


Il touchera terre le 20 Mai 1498 à CALICUT, un port important de la Côte de Malabar (Côte Sud-Ouest de l’Inde).
Les Portugais sont donc les premiers Européens à prendre pied dans la Péninsule Indienne depuis ALEXANDRE le GRAND.


À CALICUT, GAMA se heurte, dès qu’il débarque, à l’hostilité des commerçants arabes solidement établis dans ce port comme ils le sont dans tous les ports de l’Océan Indien et qui vont tout faire pour l’empêcher de s’implanter sur place. Cependant, il
réussit à nouer des relations amicales avec le ZAMORIN, le souverain hindou de CALICUT et à obtenir de lui la concession de droits commerciaux. Malheureusement, cette concession
est équivoque et les commerçants arabes en profitent pour intensifier leurs pressions sur le ZAMORIN qui décide que GAMA doit entreposer sur place toutes les marchandises qu’il
transporte au titre de garantie de la bonne exécution de la concession obtenue. GAMA refuse, quitte alors CALICUT et vogue vers le Portugal, non sans avoir laissé derrière lui une dizaine de Portugais avec pour mission d’établir un « Comptoir Commercial ».


Ces Portugais rencontreront des difficultés considérables, mais finalement réussiront à créer un petit « Comptoir » qui sera le premier comptoir européen implanté en Inde.

En 1499, GAMA arrivera au Portugal où le Roi MANUEL 1er, après l’avoir longuement entendu, ordonnera de préparer une deuxième expédition vers l’Inde. Cette expédition sera confiée à un jeune noble portugais Pedro Alvarez CABRAL qui quittera
LISBONNE le 9 Mars 1500 à la tête d’une flotte de 13 caravelles.



Par suite d’erreurs de navigation, CABRAL, le 22 Avril 1500, touche les côtes du Brésil dont il prend possession au nom de son Roi. Repartant vers l’Est, il réussit à doubler le Cap de Bonne Espérance et parvient le 13 Septembre 1500 à CALICUT. CABRAL est un homme dur et arrogant. Très vite, il entre en un violent conflit avec le ZAMORIN et il décide de fermer le comptoir commercial portugais de CALICUT. Il
se replie alors sur COCHIN qui est le meilleur port naturel de la côte de Malabar, où il a noué d’étroites relations avec le souverain local, le RAJA de COCHIN qui lui concède un
excellent traité commercial.


En 1501, CABRAL fonde un important « Comptoir » à COCHIN qui devient le Quartier Général du Portugal en Inde.
CABRAL retournera au Portugal en 1502 avec six caravelles chargées d’épices et de soieries, dont la vente paiera non seulement tous les frais de son expédition, mais rapportera des bénéfices monumentaux. Le courant est ainsi amorcé et les expéditions portugaises vont aller se multipliant.

 

En 1505, Francisco de ALMEIDA est fait Vice-Roi des possessions portugaises en Inde. ALMEIDA, dès son arrivée à COCHIN, doit faire face à une situation difficile. Les Arabes qui sont, depuis cinq siècles, les maîtres absolus de l’Océan Indien, ont en effet pris conscience de ce que l’implantation portugaise à COCHIN était sérieuse et dangereuse et il est évident qu’ils ne peuvent tolérer une telle intrusion dans leur domaine.
 
Les affrontements entre navires arabes et portugais sont devenus fréquents et sont d’une violence inouïe. De part et d’autre, on fait assaut de brutalité et de cruauté. Les Portugais sont très éprouvés, leurs navires sont coulés, brûlés, les équipages massacrés dans des conditions ignobles. Mais les Portugais « tiennent » et réussissent même à porter des coups sérieux à leurs adversaires.


ALMEIDA est un vrai homme de mer et un bon stratège. Il sait que toute implantation terrestre, loin de la Mère-Patrie, est sans avenir, si elle n’est pas soutenue par une flotte capable de sécuriser ses lignes de communications maritimes et de protéger ses ports de l’attaque des flottes ennemies. Et ALMEIDA veut créer une telle flotte. Il obtient de LISBONNE huit navires « de ligne » et il acquiert des « ghurabs » des navires locaux de 200 tonnes qu’il fait armer de 30 canons de 12 pouces.

Ainsi ALMEIDA se bat. Les Arabes, à leur tour, souffrent mais les Portugais continuent d’essuyer des revers. En Mars 1508, une petite flotte portugaise est surprise à CHAUL (BOMBAY) par une puissante flotte arabe. Elle est anéantie et le fils d’ALMEIDA qui servait sur un navire portugais, est tué.
ALMEIDA devra attendre Février 1509 pour connaître son « heure de vérité ».


2 et 3 Février 1509 : c’est la bataille navale de DIU. Nous, Occidentaux, ignorons cette bataille bien que, aujourd’hui, non seulement les historiens asiatiques mais certains historiens anglo-saxons, considèrent qu’elle revêt une importance majeure dans « l’Histoire » en marquant le début de la domination européenne sur les Mers d’Asie : DIU est le « LEPANTE » de l’Extrême-Orient. DIU – en 1509, un port et une petite ville
fortifiée sur la côte Sud du KATHIAWAR (aujourd’hui
SAURASTRA).



Les adversaires :
 

- la flotte dite « musulmane » comprend une flotte égyptienne (mamelouk) à équipages ottomans, une flotte du sultanat du GUJARAT (indien), des navires du ZAMORIN de CALICUT. Cette flotte a reçu une aide technique considérable de la République de VENISE qui a organisé le démontage des galères ottomanes à ALEXANDRIE, leur transport en « pièces détachées » par terre jusqu’à SUEZ et leur « réassemblage » en
Mer Rouge. Cette flotte comprend 12 navires de ligne importants, 80 galères, 30 navires armés divers et 4 000 hommes. Elle peut compter sur l’appui des batteries d’artillerie côtières de DIU. Le commandant de cette flotte est le Turc AMIR HUSSAIN AL-KURDI, assisté de l’Amiral ottoman SELMAN REISS et du Gouverneur du GUJARAT MALIK EL-HISSA.


- la flotte portugaise comprend 19 navires de ligne, 1 300 Portugais et 400 Indiens de COCHIN. Elle est sous les ordres du Vice-Roi ALMEIDA.




Déroulement de la Bataille :

Le 2 Septembre, la flotte portugaise est maintenue « à distance » par le tir précis des batteries côtières de DIU. Dans la nuit du 3 Septembre, un vent favorable s’étant levé, la flotte portugaise
fonce en pleine nuit sur la flotte musulmane. Les combats dureront toute la journée. Au soir, la flotte musulmane a perdu tous ses navires de ligne (2 coulés et 10 capturés) et la moitié de ses galères. Sur 4 000 hommes, seulement 220 ont survécu.
Les pertes portugaises sont négligeables. Les Portugais se sont révélés « techniquement » supérieurs et ont fait preuve d’une valeur et d’un courage inimaginables lors des abordages. Ils ont aussi fait preuve d’une grande brutalité en ne faisant que peu de prisonniers.


Le 4 Février, le Gouverneur du GUJARAT, seul survivant des commandants de la flotte musulmane, demandera la paix au Vice-Roi ALMEIDA qui l’acceptera, contre l’engagement du
Sultanat GUJARAT de ne plus collaborer à l’avenir avec les forces arabes et contre la remise de 30 galères en état de naviguer. Quant aux prisonniers musulmans embarqués sur les navires portugais, ils seront presque tous exécutés lors du retour de la flotte portugaise vers COCHIN, pendus ou foudroyés après avoir été attachés à la bouche des canons.

 

Dès son retour à COCHIN, en fin Septembre 1509, ALMEIDA quitte sa Vice-Royauté et est remplacé par Alfonso de ALBUQUERQUE. ALBUQUERQUE est un navigateur connu et un grand homme de guerre. Il est déjà venu en Inde en 1503 avant d’occuper en 1506, une île d’une très grande importance
stratégique : SOCOTRA au débouché de la Mer Rouge.




ALBUQUERQUE est convaincu que si le Portugal veut devenir une grande puissance asiatique, il ne peut se contenter de posséder en Inde quelques comptoirs commerciaux et de disposer d’une flotte comme son prédécesseur ALMEIDA le préconisait. Selon lui, on ne peut être une puissance que si l’on possède des « points forts » sur terre et de suite, il entreprend d’appliquer cette théorie.
 
En tout premier, en 1510, il enlève au Sultanat de BIJAPUR, le port et la ville de GOA ainsi que les territoires qui la bordent à l’Est, soit environ 4000 km2. De suite, il entreprend d’agrandir le port, de développer la ville et de construire de puissantes
fortifications. GOA remplace alors COCHIN comme siège de la Vice-Royauté portugaise. Puis il entreprend de choisir sur la Côte Ouest de l’Inde les emplacements les plus appropriés pour être à la fois de bons ports et des places fortifiées. Il choisira ainsi CHAUL, BASSEIN, DAMAN puis évidemment DIU et COCHIN.


En 1515, après avoir pendant trois ans recueilli toutes les informations possibles sur les côtes Sud de l’Arabie du Yémen à MASCATE, il rejoint l’île d’ORMUZ qu’il occupe et qu’il entreprend de puissamment fortifier. ALBUQUERQUE a alors accompli et bien accompli la mission qu’il s’était donnée : avec SOCOTRA et ORMUZ, le Portugal contrôle efficacement la Mer Rouge et le Golfe Persique. ALBUQUERQUE mourra, on peut l’espérer sereinement, en mer, en rentrant d’ORMUZ à GOA.


À partir de 1525, GOA va faire montre d’une intense activité. Et tout d’abord, se comportant en état souverain, elle noue des relations avec les Sultanats musulmans du DECCAN, notamment avec AHMADNAGAR et BIJAPUR qui sont ses voisins – puis ses envoyés rendent visite au Nord, au Sultanat de GUJARAT. Ces premiers contacts seront difficiles mais assez vite on en viendra à négocier.

La bataille de DIU a, dans toute l’Inde et plus particulièrement au DECCAN, auréolé les Portugais d’un très grand prestige. La réalité est qu’ils sont présents et qu’ils contrôlent la mer et donc le trafic côtier dont l’économie indienne est dépendante. Bien sûr, on aimerait les chasser mais aucun état du Centre et du Sud n’est capable de le faire. BIJAPUR sera le premier à se montrer « compréhensif ». Il reconnaît l’occupation de GOA et accepte de délimiter une frontière entre les deux états.
AHMADNAGAR de son côté, cède CHAUL et enfin le GUJARAT reconnaît la présence du Portugal à DAMAN, BASSEIN et DIU et y autorise officiellement par traités l’établissement de comptoirs fortifiés.


Les succès que les Portugais viennent d’obtenir par la voie diplomatique sont d’une extrême importance. GOA est désormais reconnu comme un État indien et les comptoirs deviennent des concessions officielles. Les Portugais, en un mot, sont légitimés et cela n’a pas de prix.

À la même époque, les Portugais décident :
- d’assurer la sécurité de tous navires navigant dans l’Océan Indien en échange de droits levés selon des barèmes dûment établis,
- de réprimer et, si possible, supprimer la piraterie.


Cependant, les Arabes n’ont pas encore renoncé et SOLIMAN le MAGNIFIQUE, en 1538, rassemble une flotte de 60 navires et 7 000 hommes en Mer Rouge sous le commandement de HUSSEIN PACHA. Mission : reconquérir DIU où la population
s’est révoltée contre les Portugais. Le 14 Septembre 1538, HUSSEIN est devant DIU et débarque 700 Janissaires d’élite qui sont écrasés par des tirs de batteries côtières. C’est alors qu’une violente tempête éclate, obligeant la flotte musulmane à s’éloigner de la côte. Elle reviendra 22 jours plus tard, le 4 Octobre, pour concentrer un feu intense d’artillerie sur les fortifications portugaises. Des brèches sont ouvertes et HUSSEIN lance assaut après assaut. Au total, HUSSEIN lancera 11 assauts qui, tous, seront repoussés par les Portugais au cours de combats héroïques. Les pertes des Musulmans sont énormes et leur moral flanche. HUSSEIN, le 31 Octobre, décide de se retirer. Les forces portugaises étaient alors réduites à 40 hommes valides sur 700 au début des combats. Un dernier assaut musulman les aurait submergés … mais cela HUSSEIN ne le savait pas. Ce sera là la dernière tentative des Musulmans pour reconquérir leur place dans l’Océan Indien.
 


À partir de 1515-1520, la position dominante dont ils jouissent dans l’Océan Indien, donne aux Portugais un quasi-monopole du commerce de l’Inde avec l’Europe ; les convois commerciaux Inde-Europe se succéderont régulièrement au rythme des moussons.

Le problème principal rencontré dans ce domaine est celui des équipages des navires de commerce. Ces équipages sont de plus en plus difficiles à recruter car les conditions de vie au cours de ces longs voyages sont extrêmement dures. Non seulement, des
navires sont perdus corps et biens (on dit 1 sur 4) mais les morts parmi les équipages sont fréquentes. Sur un voyage aller et retour, on peut perdre jusqu’à 10%, quelquefois même 15% des effectifs. En plus, sur la voie du retour, des bagarres sanglantes éclatent souvent à bord pour la possession de marchandises de prix, augmentant encore les pertes humaines.

 

En 1530, la Vice-Royauté décide donc de recruter des « indigènes » auxquels une solide formation de marin « à la portugaise » est donnée. Ces mesures portent leurs fruits
et, petit à petit, les navires commerciaux portugais intégreront des Indiens dans leurs équipages. C’est là un premier exemple de « l’approche portugaise » à l’égard des populations locales. 


Bien sûr, les Portugais, en priorité, veulent apporter et apporteront à ces populations la foi chrétienne, mais ils leur apporteront aussi des « éléments de vie » qui leur sont propres.
Dans le cas présent, ils transmettront aux Indiens leur incontestable connaissance de la mer et leurs techniques nouvelles de navigation … En somme, ils veulent « associer » les indigènes à leur vie et à leurs travaux…. Il en sera de même dans le domaine des constructions ou non seulement ils formeront des ouvriers indiens à leurs techniques, mais aussi formeront des architectes à leur « style ». Et que dire de l’agriculture, de l’irrigation, des méthodes de croisement ….

 

Comme nous l’avons vu, ALBUQUERQUE, tout de suite après avoir occupé GOA, s’intéresse personnellement à son développement. Non seulement, il lance des travaux structurels tels que l’aménagement du port et la construction de puissantes fortifications, mais il redessine la ville pour faire place à églises et chapelles ainsi qu’à de somptueux édifices administratifs, sans oublier les résidences et palais des dignitaires de la Vice-Royauté…. ALBUQUERQUE veut faire de cette ville, un miroir de la civilisation portugaise et même européenne. Rien n’est trop beau, trop luxueux pour GOA qui doit devenir la « Perle de l’Orient ».

Les successeurs d’ALBUQUERQUE feront de son rêve, une réalité. Au 18ème siècle, GOA sera une cité resplendissante de cent cinquante à deux cent mille habitants où se côtoient Européens de toutes origines et Orientaux eux aussi de toutes origines. Grâce aux profits générés par un commerce florissant et aux droits levés sur les navires parcourant l’Océan Indien, les revenus de GOA sont exorbitants. GOA est riche et
extraordinairement riche ; ostentatoirement, elle affiche cette richesse à la face du monde. Et GOA vit. Les fêtes du Vice-Roi sont célèbres jusqu’en Europe. Les cérémonies et processions religieuses sont sans égal même dans les vieux pays chrétiens
comme l’Espagne ou la France. Les marchés croulent sous les marchandises venues du monde entier.


 

Les palais de GOA, résidences « des grands » et les édifices du Gouvernement sont grands, trop grands, trop lourds, bâtis pour « impressionner ». Ils débordent de richesses venues du monde entier : Chine, Inde, Europe… Plus de 60 grandes églises dont certaines sont des chefs-d’oeuvre de style manuélin, le gothique flamboyant portugais à l’intérieur desquelles on trouve des retables et des autels admirables en bois précieux, sculptés, dorés et incrustés de pierres précieuses, des sarcophages d’argent, des tableaux « à l’espagnol » ruisselant d’ombres et flamboyant de couleurs vives.



 

Les premiers arrivants portugais en Inde étaient bien conscients de la mission sacrée qui leur avait été confiée : convertir les populations locales au christianisme, mais ils
n’eurent pas la possibilité de se consacrer à cette mission car ils ne vivaient pas sur place et n’avaient que peu ou pas de contacts avec les indigènes. Il faut attendre 1510 et la conquête de GOA pour que les arrivants s’établissent vraiment en terre indienne et fréquentent les populations locales. À partir de là, commence le vrai travail de prosélytisme et assez vite, les conversions se multiplient.


Nous l’avons vu, ces conquérants portugais sont des hommes durs, même violents. De plus, ils sont des hommes de foi convaincus de la grandeur de leur religion. Usèrent-ils de pressions physiques sur les indigènes pour les amener à la conversion ? C’est probable mais il ne semble cependant pas qu’il y ait eu de massacres. Avec « l’explosion » de GOA dans les années 1530-1540, les conversions vont augmenter au point d’avoir été qualifiées de « massives » par certains historiens. En effet, l’État goanais se structure, il lui faut de plus en plus d’agents et de commis. Or, il n’emploie que des Chrétiens. De même, sur le plan économique, dans le commerce, dans les mines, dans l’artisanat etc. etc…, le maître qui est toujours un Portugais, ne recrute que des Chrétiens.

Ces conversions vont avoir d’importantes conséquences sociales. En premier, les « arrivants » portugais et les convertis indiens-goanais vont se retrouver aux mêmes offices religieux, ils apprennent à se connaître mieux et à développer des relations fraternelles. En second, et cela est primordial, les femmes converties vont pouvoir, en toute honorabilité, épouser des Portugais alors que jusque là, les Portugais ne pouvaient que « concubiner » avec une femme de religion hindoue ou musulmane. Des familles chrétiennes se créent ainsi, des familles reconnues socialement et qui vont être à l’origine d’une population nouvelle, les Goanais chrétiens dont beaucoup
encore aujourd’hui assument et leur foi chrétienne et leur nom portugais. Là est probablement une des plus belles « mixités » de l’Histoire Universelle.


Ces succès incontestables de la Conversion ont une contrepartie et le problème, toujours le même, se pose : ces convertis sont-ils des Chrétiens sincères et loyaux ou n’ont-ils adopté la nouvelle religion que par intérêt et ne continuent-ils pas, en secret, à pratiquer leurs religions originelles ?

Dès 1540, la Vice-Royauté a suggéré à LISBONNE d’ouvrir à GOA un Tribunal de l’Inquisition avec juridiction sur GOA, DIU et sur les autres établissements portugais en Inde. LISBONNE tergiverse et ce sera finalement ST-FRANCOIS XAVIER, débarqué en 1542 à GOA qui obtiendra l’instauration d’un Tribunal de l’Inquisition qui sera un des plus redoutables du Portugal, en poursuivant sans relâche les convertis juifs, musulmans et hindous sous le moindre soupçon de continuer à pratiquer leurs anciennes religions. ST-FRANCOIS XAVIER n’en sera pas moins considéré comme l’Apôtre des Indes. Il mourra dès 1552. Son sarcophage d’argent, un chef-d’oeuvre, sera placé dans l’admirable basilique du Bon Jésus en 1594. Si la religion catholique est incontestablement le facteur le plus important de la mixité portugo-goanaise, elle n’est pas cependant le seul. 


Dans le domaine de la construction (églises, édifices divers), les Portugais apporteront leurs styles et des techniques ignorées des Indiens, alors que ceux-ci vont apporter aux Portugais leur tradition des bois sculptés dont ils feront de magnifiques retables rutilant d’or, des sarcophages, des statues éclatantes de couleurs à la mode indienne. En littérature, les Portugais apportent et vulgarisent l’imprimerie, amenant leurs sujets qui, comme tous les Indiens, sont attachés à la tradition orale, au respect puis à l’amour de l’écrit. Ne parlons pas des cérémonies religieuses et des processions auxquelles Portugais et Goanais sont également attachés et au cours desquelles ils rivaliseront d’extravagance.



Que dire de détails tels l’habillement et la nourriture ?
La « mixité » est partout, non seulement dans la société, dans la religion mais aussi dans la vie courante. En 1537, la Vice-Royauté décide de s’intéresser à la côte Est de l’Inde, la Côte de Coromandel … et un « établissement » est implanté sur l’Hooghly au Bengale. Ce sera là le dernier geste, le dernier acte de « conquête » du Portugal en Inde.


GOA va désormais vivre la vie d’un État « bienséant », trop riche et quelque peu endormi. Le Vice-Roi se prend pour un souverain d’importance et traite avec l’Empereur moghol de DELHI sur un pied de relative égalité. En 1578, il enverra un ambassadeur à AKBAR à DEHLI. Cet ambassadeur se rendra odieux et ridicule en ne cessant de rappeler la grandeur de son roi. Par contre, les Jésuites portugais entretiendront à DELHI, à la cour des Empereurs Moghols, des missions de 1560 à 1595. Ces missions n’obtinrent aucune conversion comme elles l’avaient un temps espéré mais eurent le mérite de jeter des ponts entre Ouest et Inde.


Dès les années 1580, apparaissent dans l’Océan Indien, des « aventuriers » hollandais. Aussi bons navigateurs que commerçants compétents, ils s’approprient rapidement des parts importantes du commerce au détriment direct des Portugais qui, sortant de leur torpeur, vont leur mener une guerre sans pitié. Les affrontements sont sanglants et les Portugais se distinguent par leur férocité. Mais les Hollandais tiendront.


Et ce sera au tour des Anglais qui apparaissent à leur tour à partir de 1600. Les Portugais, eux aussi, les attaquent sans pitié. La conclusion viendra vite : à SURAT, le 30 Novembre 1612, quatre navires de l’ « East India Company » anglaise livrent bataille à une flotte portugaise. Les Portugais sont défaits et perdent tous leurs navires. Cette bataille est connue sous le nom de « Bataille de SWALLY ». Elle sonne le glas de la domination portugaise dans l’Océan Indien et la fin de leur quasi-monopole commercial.


Après SWALLY, GOA sombrera à nouveau dans une torpeur maladive. L’Empereur SHAH-JAHAN en 1632, sans ménagement, lui enlève ses établissements sur l’Hooghly au Bengale et les Marathes, entre 1650 et 1700 annexent tous les petits territoires entourant les établissements de DAMAN, DIU et BASSEIN, réduits du fait même aux murs de leurs fortifications. GOA ne survit que grâce à sa population active et industrieuse.


En 1947, la Partition de la Péninsule crée l’Union Indienne dont les territoires vont enserrer étroitement GOA et les établissements portugais sur la Côte Ouest de l’Inde. L’Angleterre qui avait toujours reconnu la souveraineté du Portugal sur GOA et ses établissements, n’a pu transférer aucune autorité à l’Union Indienne sur ces territoires. 


L’Union Indienne va, pendant dix ans, négocier avec le Portugal le retour de ces territoires dans le giron indien. Négociation vaine. Le Portugal ne veut rien entendre, il est là depuis 400 ans et il y reste. Des militants non violents, les Satyagrahis, à de multiples reprises, essayeront d’occuper pacifiquement les territoires mais ils seront repoussés. Finalement, en 1961, le Gouvernement de l’Union Indienne décidera d’intervenir militairement et, en trois jours, occupera les territoires qui seront dès lors administrés par DELHI. Ainsi la Saga Portugaise en Inde prend fin.


 Et pour conclure, nous dirons que, ici à GOA, et moindrement dans les établissements portugais situés sur la côte Ouest de la Péninsule, nous sommes bien en Inde, mais dans une autre Inde. Pendant plus de quatre siècles, les mondes européens, portugais et indiens ont étroitement oeuvré ensemble – sur ce petit bout de terre de l’immense Péninsule Indienne. Ils ont tout partagé. Ils se sont liés par la chair et par leurs enfants, produits de cette chair, ils ont partagé une religion qui a su ne pas éradiquer les racines d’un hindouisme ancestral. Ils ont
partagé le pain, le vin … et les épices. Ils ont créé une façon de vivre qui leur est propre. En somme, ils ont créé leur propre société représentée aujourd’hui par quelque 15 millions de chrétiens qui ont su trouver leur place dans l’Union Indienne dont ils sont des citoyens modèles.