OMBRES MILLÉNAIRES EN AFGHANISTAN




 
Modification 1 le 8 juin 2015

Vouloir faire la recension de deux "beaux livres" en même temps sur l'Afghanistan, c'est un défi : conjuguer le passé et le présent, la guerre et la religion, l'ancien et le nouveau, la démocratie et la théocratie, le tout au "royaume de l'insolence" un pays dont on revient sans avoir vraiment connu ni les hommes, encore moins ni les femmes.

Nous aurions aimé interviewer Alexandre le Grand, c'est trop tard. Et pourtant, il voyait les mêmes peuples vivre dans les mêmes montagnes.

Nous nous sommes limité à choisir quelques photos, un choix difficile, pour éviter l'inflation. Avec tous nos remerciements aux auteurs.

Bernard Dupaigne est Docteur en études extrême-orientales (Paris, École des hautes études en sciences sociales, 1987), Professeur au Muséum national d’histoire naturelle (musée de l’Homme), etc.



 Il  est donc très bien placé pour détailler l'histoire millénaire de l'Afghanistan, que personne ne 
 ne connaissait jusqu'au 11 septembre 2001. ( Sauf les armées grecques, anglaises, soviétiques, et ce à leurs dépens … ).

Sylvain Tesson et Thomas Goisque sont deux aventuriers qui vous font découvrir l'univers - leur univers - les pieds dans vos pantoufles, le premier par l'écriture, le second par l'image.










Commençons par le commencement : Les monuments millénaires de l'Afghanistan.







Loin de toute mer, l'Afghanistan constituait depuis des millénaires une étape du commerce terrestre entre l'Est ( Inde, Asie Centrale ) et l'Ouest ( l'Égypte, la Grèce et Rome, par la Perse ). Vers 1800 avant notre ère, la disparition des grandes cités de la Vallée de l'Indus met un frein aux échanges, qui reprendront avec l'extension de l'empire perse de Cyrus, et surtout  avec la fabuleuse expédition d'Alexandre le Grand. Pas de problème pour choisir le nom des villes qu'il fonde : ce sont toutes des Alexandrie-Alexandra !


 
Une pierre de Rosette-bis en grec et en araméen, découverte en 1958 par un instituteur afghan, montre "la langue et les expressions de la philosophie grecque au service d'une pensée morale indienne." Mais les invasions de nomades, les Youe-Tche et les Scythes font le vide.

Le palais royal d'Al Khânom ( dame lune ), dominait une cité stratégique qui verrouillait une porte ouverte au flanc de la Bactriane, et qui était une cité prospère autour de -250, périclite vers -145 par le pillage et l'incendie. Parmi les rares inscriptions, celle-ci vous plaira surement : "Enfant, apprends les bonnes manières ; adolescent, contrôle tes passions ; à l'âge mûr, sois homme de justice ; vieillard, sois de bon conseil ; et meurs sans regrets". Les chasseurs de trésor et les récupérateurs de pierre ont achevé l'œuvre du temps.





FOUILLES À BALKH

Les Arabes ont donné à Balkh le surnom de la "mère des cité". C'était une formidable tour destinée à combattre Dieu. Ce dernier fut magnanime et se contenta de faire emprisonner l'impudent. C'était aussi le lieu de naissance du prophète Zarathoustra. Ce fut enfin la ville où Alexandre épousa la princesse Roxane, "la resplendissante" : " En ce qui concerne Roxane, Alexandre agit par amour, car il l'avait trouvée belle et fraîche en la voyant dans un chœur de danse après un festin …". Bakh a été une plaque tournante du commerce international. Les Youe-Tche ( toujours eux ) ont mis fin à tout cela. Mais il y a un siècle, les vieilles pièces de monnaie étaient encore admises en paiement au bazar ! Les chasseurs de trésor et les récupérateurs de pierre ont achevé l'œuvre du temps.

Les Kouchâns, descendants des Youe-Tche ( encore eux ), perdurent du 1er au 5ème siècle. Selon la tradition, les rois et les princes défunts sont ensevelis sous des tumulus coniques, excellente pioche pour les chasseurs de trésor. Une trouvaille fortuite est de la plus haute importance : toute une colline est urbanisée et coiffée par un temple dédié au culte du feu ( mais pas du culte mazdéen ). Les chasseurs de trésor et les récupérateurs de pierre ont achevé l'œuvre du temps.

Kâpîsâ ( Bagrâm ), ex Alexandrie du Caucase,  sera délaissée au profit de Kaboul à la fin du VIII ème siècle, mais reste le palais d'été du royaume. Une fabuleuse découverte en 1937, dans deux chambres murées : "Une collection de bols et de vases en verre taillé aussi beaux que ceux de Murano. Ils voisinaient avec des verres peints représentant des personnages en costumes grecs, avec des poissons décoratifs en verre soufflé et avec des bols canelés teintés au cobalt."


lLE BOUDHISME DU GÂNDHÂRA AU MOYEN ÂGE

L'art du Gândhâra provient de la rencontre des représentations de Bouddha et de la descendance de l'art grec. Avec le temps,  ces représentations de Bouddha s'éloigneront des modèles grecs, et les artistes réaliseront des chefs-d'œuvre de finesse et de délicatesse. L'arrivée de l'Islam marquera la fin de cet art, en même temps que celui du bouddhisme.





STUPPA DE HADDA

La ville de Hadda a été particulièrement vénérée et fréquentée, car on y conservait une précieuse relique :  un os du crâne de Bouddha. L'ensemble des monuments qui entourent cette relique éblouissaient le voyageur "Elle est entièrement dorée et revêtue de toutes sortes d'ornements précieux … Chaque jour, après le lever du soleil les gens de la chapelle montent sur un pavillon élevé. Là, ils frappent de gros tambours, sonnent de la conque et font retentir les cymbales de cuivre." Le site s'étend sur une quinzaine de kilomètres carrés. Les fouilles commencent. Elles sont dévastées par la population menée par un mollâ local. Après 1979, la province est en rébellion contre les pouvoirs communistes, et les sites sont de nouveau pillés et détruits. C'est l'un des plus beaux exemples du patrimoine archéologique de l'Afghanistan et de l'art bouddhique qui a été réduit en poussière.



LES BOUDDHAS EXPLOSÉS DE BÂMYÂN




Les deux bouddhas géants ne sont plus qu'un rêve, les fines peintures à sujets religieux ont été martelées, voilées ou noircies de fumée. On les a enduites de goudron et on y a mis le feu. Et même, lorsque le gouvernement afghan avait émis un timbre représentant ce même Bouddha, il avait du être retiré de la circulation, car cette représentation de la forme humaine choquait. Début 1999, la tête de la statue de 38 mètres a été détruite par des explosifs, son bras droit a disparu comme une partie de drapé de stuc sur son corps, suite à l'entraînement des tankistes tâlebân. Le mollâ Omar décrète que toutes les statues non islamistes doivent être détruites car ce sont des sanctuaires d'infidèles. Puis il fait sacrifier cent vaches pour se racheter auprès d'Allah du retard qu'il a pris dans la destruction …



L'ISLAM MÉDIÉVAL

Les armées arabes en route pour leurs conquêtes orientales ont mis un terme à l'empire des Sassanides d'Iran en 651 après J.-C. Mais les califes arabes omeyyades doivent envoyer régulièrement des troupes fraîches contre les rois des steppes, alliés aux rois hindous de Kaboul, qui refusent de se soumettre. Balkh devient la tête de pont de la pénétration lente de l'Islam


Les ruines de très nombreux ouvrages sont décrites dans ce livre. Nous n'en retiendrons qu'un, le pont Pol-é mâlân à la sortie sud d'Hérat, parce qu'il a été "bâti par un mage", abîmé n fois par les crues et sitôt réparé. 


Mais il y a aussi des forteresses, souvent en terre crue, des mausolées, des tours de guet ou des minarets, en briques cuites, tout cela en cours de destruction ou de restauration, c'est selon. Mais tous les cas sont extrêmement bien documentés en texte et en photo.



DES SAFAVIDES AUX GRANDS MOGOLS

Hérat, capitale de l'empire des Timourides est convoitée par les Ouzbeks sunnites, et par l'empereur safavide chiite. C'est le début du déclin, d'autant plus que la route de la soie, dont Hérat était l'un des entrepôts, est délaissée au profit des comptoirs portugais à l'entrée du golfe Persique. Mais cela n'empêche pas les gouverneurs d'améliorer son urbanisme : quatorze citernes et quinze bains publics sont construits. Tout cela est plus ou moins à l'abandon.





Madrassa



Herat avant restauration


LES ROIS AFGHANS DE 1747 À 1919

Profitant de la déliquescence de l'empire perse safavide, un de ses officiers turcs se saisit du pouvoir en Perse en 1732 et se dirige vers l'Inde. Mais dès son assassinat, en 1747, par sa garde prétorienne, son empire se dissout … L'un de ses officiers pachtouns, prend alors Kandahar, où il est proclamé émir. Après sa mort, il est reconnu "père de la nation" sous le nom d'Ahmed Chah.





Le nouvel émir ayant reçu des envoyés russes dans sa capitale en 1878, le gouvernement des Indes exigea qu'un accueil identique soit réservé à une mission britannique. Refus. Ultimatum. Le lendemain, les troupes britanniques entrèrent en Afghanistan. En 1879, la garnison de la Résidence britannique est massacrée par les Afghans. Puis les troupes afghanes sont défaites et l'émir est envoyé en exil. Les troupes anglaises quittent l'Afghanistan en 1881 …



Abd or-Rahmân, véritable créateur et stabilisateur de l'Afghanistan moderne marqua son règne ( 1880-1901 ) par la construction de bâtiments imposants qui existent encore à Kaboul. Le palais et les jardins des quarante colonnes  ( tchehel sotoun ) est presque entièrement en ruines. ( Quarante veut dire "beaucoup" en farsi : il existe à Esphahan un palais des quarante colonnes dont la moitié est le reflet des vraies colonnes dans le bassin. )

Autre description pittoresque : la mosquée du "roi aux deux sabres". Cette mosquée fait référence à une légende du temps de la conquête islamique. Un général musulman fut tué en tentant de s'emparer d'un temple hindou. Sa tête tranchée au cours de la bataille, il continua de mener ses troupes à l'assaut,  un sabre dans chaque main. Une mosquée fut alors bâtie à l'emplacement du temple conquis.






L'Afghanistan n'a pas fini d'étonner, grâce au livre de Bernard Dupaigne.







 D'OMBRE ET DE POUSSIÈRE


"Entre 1997 et 2012, nous avons séjourné à plus de vingt reprises en Afghanistan, ce pays à qui l'Histoire refuse la paix depuis plus de trente cinq ans … À partir de l'année 2005, nous avons suivi le déploiement des soldats français dans les vallées afghanes, retournant plusieurs fois par an sur les théâtres d'opérations. Nous avons partagé le quotidien de ces hommes, d'abord en plaine de Chamali, puis dans le Wardak, en Surobi et en Kapisa.

Nous les avons accompagnés de longues semaines, les avons vus à l'œuvre lors des combats, les avons suivis en patrouille. Nous avons été héliportés de nuit sur les crêtes, nous avons passé d'interminable jours sur des pitons rocheux, partagé les rations de combat et marché en colonne dans les steppes d'altitude.

Nous avons veillé sous des ciels étoilés en scrutant la nuit, aux aguets du moindre mouvement. Nous avons assisté au redoutable travail des démineurs, retenu notre souffle avec eux, avalé des centaines de kilomètres dans les véhicules blindés.

Mais surtout, nous avons côtoyé quotidiennement ces hommes dans la servitude et la grandeur de leur mission, dans le temps dilaté de la vie au camp ou dans l'accrochage.

… Ce livre ne prétend pas expliquer le conflit … Ce livre est un simple témoignage de ce qui se passe depuis 2001 du côté des forces françaises engagées en Afghanistan."


Thomas Goisque & Sylvain Tesson