90 ANS D'AMITIE FRANCO AFGHANE 1


 Le roi Âmânoullah

 Création le 12 juin 2013

"C'est par la culture que le mouvement dans les relations franco-afghanes a commencé, car tout procède de l'Esprit" (Charles de Gaulle, Président de la République, 1965)

Le Centre d'Études et de Recherches sur l'Afghanistan (CEREDAF) organise tous les deux ans un colloque sur un aspect particulier de l'histoire, de la culture ou de la société afghanes. Le thème choisi pour 2012 se proposait d'évoquer quatre-vingt-dix ans de relations entre la France et l'Afghanistan. Ces années peuvent se diviser en quatre périodes : la coopération dans l'enseignement secondaire et l'archéologie, l' "âge d'or" démocratique, la décade douloureuse où seules œuvraient en Afghanistan les associations d'aide humanitaire, désignées sous le nom génériques de "French Doctors", et enfin la période actuelle, avec son cortège d'interrogations et d'incertitudes.

1 - Le 8 mai 1919, l'Afghanistan recouvrait sa souveraineté. Moins de deux ans plus tard, Alfred Foucher, ancien directeur de l'École française d'Extrême-Orient, négociait avec le roi Âmânoullah une première convention archéologique. Les membres de la famille du roi Nader Châh proclamé roi en 1929 ont presque tous vécu ou étudié en France …

2 - En 1965, le roi Mohammed Zâher Châh effectue une visite officielle en France. À sa demande, le Général de Gaulle s'engage à faire entièrement reconstruire le lycée Esteqlâl … En 1973, un coup d'État met fin à la monarchie … En 1978, c'est le coup d'état communiste.

3 - Le temps des "French Doctors" : l'action des différentes organisations est facilitée par tout un réseau d'Afghans francophones réfugiés en France. Après le départ des Soviétiques, l'Afghanistan est exsangue, et subit l'influence des Tâlebân. L'assassinat d'Ahmad Châh Massoud, et quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001 déclenchent l'opération "Enduring Freedom" …

4 - Le traité d'amitié franco-afghan, signé le 27 janvier 2012, va-t-il prolonger une coopération presque séculaire, voire ouvrir de nouvelles perspectives ? … Cette perspective est commentée par son Excellence Assad Omer, Ambassadeur de la République Islamique d'Afghanistan, qui fait l'apologie de l'Afghanistan "nouveau", en comptant sur ses partenaires français pour maintenir cet élan pour la consolidation de la paix, de la stabilité et de la prospérité.

Nous ne résumerons pas le livre : il est à lire dans son intégralité, pour quiconque veut être au fait du pourquoi et du comment des relations franco-afghanes. Mais nous commenterons quelques interventions pour exposer ces relations. Voici les "Tableaux d'une exposition" :

PREMIER TABLEAU : La politique de désenclavement du roi Amânullâh (intervention du Prince Ehsan Ullah d'Afghanistan, fils du roi Amânullâh) :



 

Lettre adressée en 1921 au Président de la République française : " Mon désir est qu'après s'être familiarisés avec les essentiels de la science et  de la civilisation française, ces jeunes gens reviennent en Afghanistan pour servir de trait d'union entre nos deux pays."

Et en s'adressant à cette jeunesse : "C'est sur vous que moi je compte. Vous serez les piliers de la nation future … Ce sont les jeunes, les intellectuels, les gens instruits et un certain nombre de femmes modernes, dont votre reine, … qui considèrent qu'il faut aller de l'avant et progresser rapidement … De tout temps, il n'y a eu qu'une petite élite qui a traîné derrière elle tout un peuple. Et cette élite, elle ne peut être que vous ! ".

… Le collège franco-afghan n'est pas un lycée français à l'étranger, mais un collège afghan de langue française … L'enseignement est gratuit, ainsi que les fournitures scolaires. Le fonctionnement et l'entretien de l'établissement sont assurés par le gouvernement afghan qui rémunère aussi les professeurs français … (L'Illustration du 28 janvier 1928)

Entre autres, citons l'étonnement des Suisses :
- Où avez-vous appris si bien le français ?
- Au lycée franco-afghan de Kaboul.
- Avez-vous perfectionné votre français en voyageant en France ?
- Non, c'est la première fois que je quitte mon pays.


 

DEUXIÈME TABLEAU : La fondation des relations franco-afghanes (intervention de Ravân Farhâdi, ancien ambassadeur d'Afghanistan en France - 1973)



 

Mahmoud Tarzi accompagne son père en exil, et à travers des publications turques qu'il fait connaissance de la culture européenne : il lit la traduction turque des œuvres de Victor Hugo, traduit Jules Verne en farsi (persan), ce dont l'effet sur les lecteurs afghans est considérable. Il devient un conseiller éminent du roi Amânullâh et contribue en tant que ministre des Affaires Étrangères à la signature, en 1922, au premier traité d'amitié franco-afghan.

Dans les archives du Quai d'Orsay, rapport d'un haut fonctionnaire, Peretti :
4 - le gouvernement afghan, enfin, désire se procurer des armes et des munitions pour pouvoir défendre en cas de besoin son existence et son indépendance. Mahmoud Tarzi désire entrer en relation avec des fabriques françaises. Il demande au gouvernement français d'intervenir.

Oui, mais … peu après, les Anglais arrêtent à Bombay une cargaison d'armes en provenance de France et destinée à l'Afghanistan. Raymond Poincaré, Président du Conseil, demande au Journal parisien "Le Matin" d'interviewer à ce sujet Mahmoud Tarzi . Celui-ci déclare : "L'Angleterre parle toujours de la liberté. Elle est cependant la première à l'étouffer." Les Anglais finiront par débloquer l'armement séquestré (!!).

Ministre plénipotentiaire à Paris, Mahmoud Tarzi revient à Kaboul en 1924. Il déploie des efforts continus pour renforcer l'amitié entre les deux pays. Il sera fait grand officier de la Légion d'Honneur.



TROISIÈME TABLEAU : L'archéologie (intervention de Françoise Olivier-Utard, Maître de conférences à l'Université de Strasbourg)



Le roi Amânullâh dispose d'un atout majeur : accorder l'autorisation d'entreprendre des fouilles archéologiques sur un territoire vierge d'investigations. L'Afghanistan est un objet de fantasmes : l'empire d'Alexandre le Grand. Nombreux qui souhaitent y accéder. Amânullâh apprécie la manière dont la France assure une présence scientifique au Proche Orient et en Indonésie, s'étant dotée d'une administration de la coopération universitaire et culturelle qui lui permet d'agir vite, de nommer du personnel, de financer des missions.

En 1921, via l'ambassadeur de France à Téhéran, l'Afghanistan propose de favoriser une mission française désireuse de visiter les localités antiques. La proposition est inattendue, mais immédiatement acceptée et surtout tenue secrète. Alfred Foucher, spécialiste de l'art gréco-bouddhique, saute sur l'occasion. Pour éviter la curiosité des Anglais, il prend la route de Kaboul via Téhéran ! Foucher et son épouse quittent Calcutta, passent par Bombay, Bouchir, Chiraz, Téhéran, Meched, l'interprète tombe malade, le voyage continue en voiture tirée par  des chevaux. À l'arrivée à Hérat, l'accueil est imposant : 200 cavaliers les accompagnent jusqu'à la demeure du gouverneur. Foucher attrape la malaria, il reste encore 700 kilomètre à parcourir. Le voyage aura duré un an !

Foucher décrit l'atmosphère dans son rapport au Ministère des Affaires étrangères :
" … Nous mesurons à chaque instant le degré de l'impopularité britannique à l'air de soulagement avec lequel les gens de toute condition, jusqu'aux domestiques, apprennent de la bouche des personnes qui nous accompagnent, que nous ne sommes pas des Anglais, mais des Français …"

Alfred Foucher se rend compte que l'objectif prioritaire des Afghans est la création d'un collège. Il comprend que la création d'un collège français est le prix à payer pour la future négociation archéologique. Mieux : le modèle recherché est celui de l'école laïque de Jules Ferry. Tope là : le collège ouvre un mois plus tard et accueille 300 garçons, tous internes ! Une école de fille est aussi ouverte : une trentaine d'élèves dont les résultats sont parfois meilleurs que ceux des garçons, tant leur motivation est forte. L'obstacle majeur ( ! ) est tout simplement la difficulté d'acheminement des professeurs français.

La négociation archéologique se fait sur la base d'une convention : le monopole des fouilles est concédé à la France - à l'exclusion des lieux saints - , à ses frais, et à son initiative. Mais l'intelligence de Foucher ne va pas défendre ce privilège "unguibus et rostro" vis-à-vis de ses collègues étrangers.

Le partage des trouvailles est réglé : les trésors d'or et d'argent iront au gouvernement afghan, ainsi que les objets uniques. Le reste sera partagé en deux. Mais deux points n'ont pas été abordés : la conservation et la restauration des monuments et des sites mis à jour. Et le monopole devient caduc en l'absence prolongée de travaux.

Mais l'archéologie est une discipline neuve, où les Anglais excellent. Et la population, parfois non avertie, montre des signes d'hostilité envers les étrangers. Faute de pouvoir élaborer une "Archeological survey" comme les Anglais en Inde, Foucher s'en remet à la chance … qui lui sourit. Il se fie aux récits de voyage, plus qu'aux pressions constantes. Il restera dix-huit mois à Bactres : le musée Guimet voit affluer des sculptures de grande qualité. À son tour, l'Afghanistan se dotera d'un service des Antiquités en 1967 et s'émancipera de la tutelle étrangère.

QUATRIÈME TABLEAU : Le Musée Guimet et l'Afghanistan  (intervention de Pierre Cambon, Conservateur en chef du Musée National des arts asiatiques)




L'auteur de l'intervention, Pierre Cambon, justifie le droit d'aînesse au Musée Guimet, face au département d'Extrême Orient au Louvre. D'ailleurs, Joseph Hackin, conservateur du musée, se porte volontaire, quitte à abandonner ses études tibétaines. Fouilles à Kâpissâ : découverte d'un Bouddha. Le musée Guimet collectionnera donc tous les maillons de la route de la soie. Puis c'est la fouille de 10 monastères par Jules Barthoux.

Hackin terminera sur un coup de maître par la découverte du trésor de Bagram en 1937 et 1939. Mais il disparaît en mer avec sa femme en 1941, au cours d'une mission pour la France Libre.

Le trésor de Bagram constitue l'expression de la rencontre des trois grandes civilisations, la grecque, la chinoise et l'indienne : vases de pierre, de bronze, verres, mobilier plaqué  d'ivoires indiens, bols en laque chinois de l'époque Han (-200 à +200). " Hackin, écrit son successeur Daniel Schlumberger, a laissé un souvenir inouï. La moindre de ses indications ou de ses paroles a force d'évangile. Tout ce qu'il a écrit est intangible, tout ce qu'il a fait est parfait …" Mais aussi "Que cette activité fut désordonnée, sa méthode de fouille médiocre, son érudition insuffisante, et son érudition très faible, personne ne s'en est jamais aperçu ici, et c'est tant mieux." ( dit sous le sceau du secret en 1945 )

Suite au basculement de l'Afghanistan dans la tempête, le Musée Guimet deviendra comme un îlot préservé du patrimoine afghan, un écho lointain de la grandeur passée, et cela grâce aux accords de 1922.


( La suite au prochain article )