90 ANS D''AMITIÉ FRANCO-AFGHANE 4
Création le 20 juin 20013
Comme de bien entendu, cet article fait suite au précédent.
TABLEAU 20 - REPRISE DES RELATIONS ET RECONSTRUCTION ( intervention de Jean-Pierre Guihnut - Ancien ambassadeur de France en Afghanistan )
Au plan militaire, le contingent français a été chargé par le commandement américain de constituer une force terrestre aux frontières pakistanaises, et de la former la gendarmerie nationale dans la province de Kapiza. Les alliés américains le souhaitaient ainsi pour constituer un des piliers de la stabilisation de la situation afghane. Cela a été fait efficacement, grâce à une relation facile avec la population afghane. Mais le retrait américain nous amènera à faire de même.
La pugnacité des Tâlebân permet de mesurer combien il est difficile, dix ans après, de se distancer des stéréotypes que les bavures ou les bévues américaines répétitives ont générés dans l'opinion afghane. Il était clair que si le sort des armes était moins favorable que nous le souhaitions, ces bastides excentrées seraient tôt ou tard en état de siège. Alors, comme les Soviétiques, nous serions amenés à laisser la place à d'autres, compromettant ainsi durablement les contacts, interlocuteurs et bénéficiaires de ces actions civilo-militaires.
Mieux : Le repli des garanties apportées par les pays engagés sur le terrain entraînerait sans doute irrémédiablement l'effondrement, voire la liquidation des politiques modernistes initiées avec beaucoup d'allant en 2002, avec les conséquences que l'on peut imaginer pour ceux et surtout pour celles qui les ont soutenues. Et il y avait quelques vrais seigneurs, qu'il eut fallu ne pas ravaler au rang de "Warlords" ...
Il semble que la tradition immémoriale d'autonomie des capitales provinciales afghanes ait été totalement perdue de vue dans une politique reposant sur un concept d'État central. Et pourtant Touran Ismaïl Khan, commandant de la résistance afghane dans la province de Hérat à l'époque du gouvernement communiste avait clairement mis en garde ; " Un jour vous ferez face à un retour de feu des Tâlebân ; ce jour-là, vous chercherez vos amis, et vous ne les trouverez pas, les ayant éliminés vous-mêmes."
L'avertissement de Jean-Pierre Guihnut n'est que trop clair :
" Ces obstacles, on pouvait les percevoir pendant la période de ma mission à Kaboul ; ils n'ont pas été levés. Les Tâlebân, portés par un élan, sont plus agressifs que jamais et ont hâte d'en découdre. L'armée afghane, formée, équipée, entraînée n'est pas sûre … Les grandes réformes confiées aux "Lead nations" n'ont pas vraiment abouti : lutte contre la drogue, reconstruction de la Justice, reconstruction de la police. Surtout les populations afghanes n'ont pas perçu l'avènement d'une meilleure vie, en dépit des annonces financières extravagantes renouvelées à chaque conférence internationale sur leur pays."
Et quelle sera la capacité des derniers soldats américains face à une population désenchantée et humiliée ?
TABLEAU 21 - Résurrection des relations diplomatiques franco-afghanes ( intervention de Zalmaï Haquani, Professeur de droit public à l'Université de Caen, Ancien Ambassadeur d'Afghanistan en France )
Tout débute par la discrète visite du commandant Massoud à Paris, Bruxelles et Strasbourg ( mais, à titre personnel, nous restons confondu par l'absence de réactions stratégiques constructives de la part des entités française et européennes ).
Un bel hôtel particulier du XVIème, quelque peu délabré, a été réaménagé en Ambassade d'Afghanistan en 2002. Lieu de rencontre en particulier pour le Président Hâmed Karzaï, d'où l'on peut observer la progression des actions franco-afghanes : coopération universitaire, formation de magistrats, de parlementaires, sauvegarde et développement du secteur des médias - presse, télévision, cinéma, théâtre - reconstruction et rénovation du musée de Kaboul, l'exposition en 2006 et 2007 "Afghanistan, Trésors retrouvés" montrée en France en France et en Europe pour la première fois, après deux ans d'efforts inlassables du musée Guimet à Paris et à Kaboul :
http://empirkersco.blogspot.fr/search/label/a%2016%20-%20LE%20MUSEE%20DE%20KABOUL
( nous confirmons bien volontiers qu'il faut des efforts inlassables, ne serait-ce que pour faire état de cette exposition )
... La poursuite des fouilles archéologiques, le secteur médical et la santé, la fabrication par la Monnaie de Paris des nouvelles pièces de monnaie, le secteur aéronautique et l'aviation civile, la modernisation des centres postaux …
Les années 2002-2006 furent une période pionnière décisive dans les relations franco-afghanes, publiques et privées, mais aussi des années de difficultés, de déceptions, voire d'amertume constatées par un ambassadeur qui attendait peut-être plus et mieux, mais c'était sans prendre en compte la nouvelle réalité afghane post-conflit qui gangrène la société déçue et en grande partie délaissée. C'est de l'attention interne et internationale qu'on lui prêtera et de la résolution urgente des problèmes fondamentaux qui la sous-tendent que dépendra désormais le futur politique, économique et social de l'Afghanistan.
TABLEAU 22 - L'engagement militaire français dans la coopération franco-afghane ( intervention du général Emmanuel Maurin, qui a commandé la brigade Lafayette en Afghanistan entre mai et octobre 2011 )
L'engagement et la coopération militaires sont deux thèmes différents, mais s'appliquent en fait à un seul sujet dans le passé, le présent et l'avenir.
Première étape : 2001-2003, pour lutter contre les réseaux tâlebân et leurs soutiens en sécurisant l'aéroport de Kaboul. Puis en formant la moitié des six bataillons afghans.
Deuxième étape : 2003-2008, en participant à la prise en charge de l'ensemble du territoire afghan tout en poursuivant le volet coopération ( formation individuelle et collective des unités afghanes ).
Troisième étape : 2008-2012, par une approche civilo-militaire et par un transfert progressif des responsabilités aux autorités afghanes. C'est la création de la "task force" Lafayette qui prend le commandement militaire des provinces de Kâpissâ et du district de Sarobi à une centaine de kilomètres au nord est de Kaboul.
Créer une gendarmerie départementale - une police de proximité pour utiliser des images qui parlent mieux aux Français - dans ce pays à partir de forces généralement paramilitaires relève d'une véritable gageure. En matière de résultats, le général Maurin fait référence à la Bosnie, au Kosovo, … ( mais pas à l'Algérie, et pourtant il y aurait eu vraiment beaucoup d'enseignements à en tirer ! )
Les forces afghanes de sécurité atteignent 350 000 hommes, ce qui est un succès en soi. Sur le plan qualitatif, le bilan est plus contrasté. Il existe de très bonnes unités, à l'instar de leur chef. Mais il y a principalement trois sortes de lacunes :
- la conception des opérations et leur conduite ;
- la logistique dans la durée :
- les appuis - artillerie et hélicoptères - très techniques, mais indispensables.
L'organisation de la coopération s'est traduite par la "mentorisation" des unités afghanes, c'est-à-dire un groupe d'une cinquantaine de cadres jouant le rôle d'instructeurs, qui s'effaçaient dans les opérations. sauf pour les appuis feu et les évacuations sanitaires.
En matière de développement et de gouvernance, la participation de l'armée française s'est étendue à des micro-projets : marché, centre administratif, mosquée, mais aussi organisation d'assemblée locale ( choura ) animée par le sous-gouverneur du district, ce qui lui permettait de revenir dans les hautes vallées qu'il n'avait pas visitées depuis plus de deux ans.
Et l'avenir ? Quoiqu'il en soit, la force s'orientera des missions de combat vers des missions de formation et d'appui logistique. Mais ceci étant, beaucoup reste à définir, notamment en matière de contre-terrorisme.
TABLEAU 23 - Éducation 2002- 2012 : De l'urgence à la reconstruction ( intervention de Michel Ouliac, enseignant )
Fin 2001-début 2002, il s'agit de favoriser un retour à la normale dans les meilleurs délais et de mettre à profit les grandes vacances hivernales qui courent jusqu'au 23 mars, après le Naorouz ( nouvel an afghan, mais aussi iranien, romain et chrétien, avant que le nouvel an "mondial" catholique soit calqué sur le nouvel an païen des pays nordiques … )
De nombreuses missions françaises se succèdent. Outre la remise en ordre de marche des deux lycées historiques. On est confronté à des classes pléthoriques, des enseignants afghans sans réelle formation, la "perte" du français dans les deux établissements.
L"application de diverses mesures a abouti à refaire un pôle d'excellence traditionnel des lycées avec, à terme, une réintroduction du français comme langue d'enseignement dans les disciplines scientifiques.
Parallèlement, des actions sont menées dans le domaine périscolaire sous forme d'ateliers.
On peut espérer, dans les années à venir, voir émerger dans les lycées Esteqläl et MalâlaÏ un enseignement moderne des sciences en français dispensés par de jeunes professeurs afghans. L'objectif sera ensuite d'étendre l'enseignement rénové à d'autres établissements.
TABLEAU 24 - Contributions au droit et à la justice : ( intervention de Payam Shahrjerdi, spécialiste de droit comparé, coordinateur juridique du programme de formation des juges de la Cour suprême d'Afghanistan )
Le choix du mot "contributions" n'est pas innocent, et l'utilisation du pluriel encore moins. Pendant plus de sept années, le "Projet d'appui à la formation des juges et à l'élaboration d'ouvrages juridiques en Afghanistan" a rassemblé une grande équipe. L'aventure commence en 2004/2005 dans le cadre d'une démarche conjointe franco-allemande. Si la traduction est toujours une affaire compliquée, la traduction des concepts juridiques l'est encore davantage. À titre anecdotique, nous avons eu toutes les peines du monde lorsqu'il a fallu traduire et transposer des concepts jusque là jamais utilisés en droit afghan.
Le système judiciaire afghan présente une certaine originalité : un déséquilibre qui profite très largement à la Cour Suprême. Parmi les nombreuses compétences exclusives de la haute juridiction figure la formation initiale des juges initiée en 2005, en augmentant progressivement le nombre de matières enseignées. Cette formation initiale se passe dans le cadre du "stage" ou "sétaj" en dari, organisé depuis plusieurs dizaines d'années par la Cour Suprême.
Dans des conditions parfois difficiles, d'autres matières ont été le droit commercial, le droit international privé : il a fallu chercher les composantes nécessaires dans tout le droit afghan, dans le Code civil afghan, dans les diverses lois relatives à la condition des étrangers, à la nationalité, au domicile …
"Il a fallu élaborer des ouvrages juridiques en dari. Les comités de rédaction ont été une formidable aventure humaine. Nous sommes allés de découvertes enchantées en découvertes enchantées … observant avec amusement comment le Code Napoléon a voyagé jusqu'en Afghanistan en faisant une étape au Caire."
Voilà donc un aperçu de l'action des membres de ce Projet : sept ouvrages écrits, plusieurs générations de juges formés et des milliers d'heures de cours dispensées à faire découvrir, approfondir, et se réapproprier le droit afghan tant ce dernier s'est révêlé d'une grande richesse et d'une étonnante modernité.
TABLEAU 25 - La coopération agricole française : ( intervention de Farouk Baroukzaï, expert technique international, Conseiller auprès du ministre afghan de l'Agriculture )
Dans l'Afghanistan ravagé par trois décennies de guerre, le secteur agricole a particulièrement souffert. Nombre de familles rurales ont dû fuir leur terres et ont peuplé les camps de réfugiés. Ces conflits ont laissé des séquelles difficiles à surmonter.
Il faut savoir que seules 12% des terres sont arables, et que 40% d'entre elles sont irriguées. L'absence de maintenance et les périodes de sécheresse récurrentes n'ont pas contribué à réduire la pauvreté rurale. Mais nombre de projets ont été mis en place depuis 2002 : réception de 20 000 tonnes de farines, culture du coton, amélioration de la génétique bovine, culture du safran, apiculture, arbres fruitiers, fermes piscicoles, semences céréalières et oléagineuses, soutien aux coopératives agricoles …
Tout ceci progresse de manière satisfaisante. Pour l'avenir, il faudra poursuivre par un plan de formation, des centres techniques, l'amélioration du marché de gros de Kaboul, l'optimisation de l'irrigation. Un fonds de développement de 100 millions de dollars a enfin été mis en place. Il sera remplacé par la création d'une banque agricole.
TABLEAU 26 - L'agriculture afghane : ( interventions de Pierre Lafrance, Ambassadeur de France et de Yves Faivre, agronome, association AF-Développement )
Quelles sont les exportations afghanes ? Fruits secs, peaux, fourrures, tapis, coton, safran, opium et cannabis.
Comme on le sait, l'Afghanistan est devenu le premier producteur mondial d'opium brut, dont il exporte environ 5 000 tonnes en moyenne chaque année. Le profit retiré de cette agriculture illicite par le paysan qui s'y adonne est dix fois supérieur à celui procuré par le blé et quatre fois supérieur à celui que l'on peut espérer de la vente des fruits secs ou frais. Pour le safran et les pistaches, trois fois supérieur seulement. Pour trouver une alternative sérieuse à cette culture illégale, il faut un effort d'ensemble au niveau de chaque village. Faute de quoi, il y a lieu de craindre que le pays s'enlise dans les luttes de clans et les activités mafieuses ou ne cherche son salut dans les formes les plus brutales du rigorisme religieux.
Il faut développer et maintenir les voies de communication, éviter l'accaparement de terres en l'absence d'un cadastre précis, éviter les épidémies dévastatrices des végétaux, doubler les surfaces d'irrigation, améliorer les pâturages ….
C'est par la pertinence de ses actions en faveur de l'Afghanistan et le caractère "pilote" de plusieurs d'entre elles que la France peut jouer un rôle hautement bénéfique, mais la sécurité est la condition de toute avancée. Vaste programme !
Seul le travail à long terme a des chances de produire quelques résultats, comme le développement de serres légères en plastique ou le creusement de nombreux puits, effectués même sous le régime des Tâlebân.
La petite organisation AF-Développement a entretenu des rapports amicaux avec la force militaire française. Les actions réalisées représentent environ 400 micro-projets de développement, par exemple l'aménagement de terrasses pour limiter l'érosion et participer au reboisement, la création de bassins d'eau potable et d'abreuvoirs de canaux d'irrigation, des plantations de 170 000 arbres fruitiers, en particulier des amandiers …
Le processus est le suivant : des demandes d'interventions écrites sont envoyés par les villages à l'ingénieur agronome ( 700 en deux ans ). L'agronome se rend toujours sur place et engage des ouvriers agricole locaux. Les travaux plus importants sont confiés à des entreprises locales honorablement connues. Curieusement, ce ne sont pas les hommes armés qui ont constitué un frein à cette action, mais les instances financières empêtrées dans les retards de leurs procédures administratives !
De 2008 à 2012, le gouvernement français a dépensé un million et demi d'euros par jour pour des opérations militaires. Si les paysans locaux pensent, contraints et forcés ou non, que leur intérêt est de travailler avec les insurgés, après notre départ, ils le feront. Faut-il conserver pour la suite cette aide dans le domaine agricole, alors que l'Afghanistan n'a qu'un faible intérêt économique ou commercial pour la France ? Mais quid au plan stratégique de miser sur la conservation si possible d'un havre de paix ?
TABLEAU 27 - L'évolution des coopérations médicales : ( intervention de Philippe Oberlin, Médecin, MRCA )
De très nombreuses actions médicales ont été entreprises par des Organisations Non Gouvernementales, avec des difficultés de recrutement de personnel pour de nombreuses communautés, particulièrement de personnel féminin pour soigner les femmes et accompagner les futures mères.
La liste de ces actions est une liste à la Prévert :
- prise en charge de nourrissons dénutris ;
- promotion de l'hygiène et du traitement de l'eau ;
- réintégration de personnes handicapées ;
- prévention des accidents par mines ;
- lutte contre la toxicomanie ;
- détection de l'hépatite virale ;
- soin des brûlures domestiques ;
- coopération avec les hôpitaux ;
- coopération universitaire ;
- formation de kinésithérapeutes ;
- création d'écoles d'infirmières et de sages-femmes ;
- formation des laborantins ;
Et naturellement … il ne faut pas oublier que la recrudescence de l'insécurité dans certaines régions du pays a un effet direct sur la santé de la population et sur la qualité des soins fournis.
( La suite au prochain article )