Création le 14 juin 2013
Comme de bien entendu, cet article fait suite à l'article précédent.
TABLEAU 5 - Relations entre la France et l'Afghanistan de 1964 à 1973 (intervention de Saadollah Ghaussy, ancien diplomate, ancien professeur des universités de Tokyo et de Washington D.C.)
Pourquoi 1964 et pourquoi 1973 ?
C'est en 1963 que Mohammed Dâoud, premier ministre - et oncle - du roi Zâher Châh, démissionne après une gouvernance quasi dictatoriale. Le Docteur Youssof, qui ne fait pas partie de la famille royale, devient premier ministre.
Comme nous, Zâher Châh est un ancien élève des lycées Janson de Sailly et Pasteur. Rien d'étonnant alors à ce que, pendant la décennie, les relations entre la France et l'Afghanistan deviennent de plus en plus importantes. Le Président Charles de Gaulle l'invite à Paris pour signer un accord dans les domaines de l'éducation, des sciences et des arts. Puis un voyage à Kaboul en 1968, de Georges Pompidou, premier ministre, est suivi d'une visite privée de Zâher Châh à Juan les Pins.
Cependant, par le coup d'État de juillet 1973, Dâoud, profitant d'un voyage à l'étranger du roi, renverse la monarchie et se proclame Président de la République. Mais les relations franco-afghanes se maintiendront sous Dâoud.
TABLEAU 6 - La coopération juridique (intervention de Kacem Fazelly, Ambassadeur et chef de la Délégation permanente de la République islamique d'Afghanistan auprès de l'UNESCO et de l'ISESCO)
Kacem Fazelly n'est pas un ingrat en remerciant trois hommes qui ont forgé son destin : son père qui l'a inscrit au lycée Esteqlâl, Monsieur Momal, son professeur qui lui annonce tout de go "Kacem, vous êtes le premier de votre promotion, section mathématiques, je vous félicite". Et enfin une mauvaise année pour les chiites : dans chaque lycée de la capitale, quatre ou cinq chiites figuraient parmi les premiers ! Pour empêcher l'exode des cerveaux, le Ministère de l'Éducation a décidé d'arrêter l'octroi des bourses d'étude à l'étranger cette année-là. Kacem n'est pas d'accord. Mais GholâmYahya Khân Tarzi, ami de son père et ministre des PTT, en grand seigneur, lui dit "Je finance tes études, tu peux partir en France ! ".
Trois faits illustrent l'apport de Kacem Fazelly à la coopération franco-afghane. Le premier date de 1957. Fazelly était alors à Paris, étudiant, mais aussi représentant de la délégation afghane au 14 ème Congrès de l'Union postale universelle. Au sein du Congrès, il y avait une opposition à ce que la langue française demeure l'unique langue officielle de l'Union. L'affaire fut tranchée par un vote : "Est-ce que la langue française doit rester la seule langue officielle de l'Union postale ou va-t-on mettre fin à la situation présente ? ". Naturellement Kacem Fazelly a voté "oui". Résultat du scrutin : 46 voix pour et 45 contre ! "Et voilà comment j'ai compris que je faisais de la francophonie, comme M. Jourdain faisait de la prose".
Le deuxième souvenir date de 1980. Kacem Fazelly fait la connaissance de deux jeunes hommes, Christophe de Ponfilly et Jérôme Bony. Ils lui demandent où aller en Afghanistan pour faire un film sur la Résistance. Il leur répond :"Messieurs, il y a un seul endroit où vous pouvez aller, c'est le Pandjchir ! C'est là où, paraît-il, un jeune résistant de 24 ans, Ahmad Châh Massoud, fait des merveilles. Allez là-bas et faites votre film." En réalisant le fameux film "Une vallée contre un empire", ils sont devenus les amis de l'Afghanistan. Et Kacem Fazelly de poursuivre : "Un soir, chez moi, je me branche sur Antenne 2 et je vois Jérôme Bony en train d'être interviewé. La première parole qui est sortie de sa bouche était : "C'est le professeur Fazelly qui nous a envoyés Christophe et moi dans le Pandjchir et nous l'en remercions".
(À ce propos, on peut consulter notre article : http://empirkersco.blogspot.fr/search/label/a%2011%20-%20MASSOUD%20L%27AFGHAN)
Troisième souvenir : Louis Fougère. qui fut conseiller du Comité de Rédaction de la Constitution de 1964. Lui-même et sa femme étaient deux êtres aimables, formidables, intègres, dévoués et amis des Afghans. Un jour, Madame Fougère téléphone à Kacem Fazelly : " Mon mari est malade, et n'en a plus que pour quelques semaines. Il m'a chargé de vous demander d'accepter de dire son oraison funèbre lors des cérémonies qui se dérouleront à la cathédrale de Notre-Dame de Paris." Fazelly, embarrassé en tant que musulman, lui répond : "Si c'est parce qu'il ne fait confiance à personne d'autre, et que c'est moi qu'il a choisi, alors, j'accepte." La cérémonie est impressionnante ! Ce qui a guidé Fazelly dans son homélie, c'est la participation de Louis Fougère à la Constitution afghane, un tournant dans l'histoire de l'Afghanistan.
Ceci étant, on ne peut douter de la qualité humaine de Kacem Fazelly, qui, outre sa participation à la Constitution de 1964, a été à l'origine de la rédaction de nombreuses lois. Il termine ainsi son intervention :
- Quelqu'un a dit dans la salle : "On entend malgré tout certains dire : Qu'est-ce que fait la France en Afghanistan ?" Cela m'attriste beaucoup, surtout quand c'est un politicien qui le dit, ou un intellectuel qui devrait connaître ce passé. Il faut répondre : La France a un héritage intellectuel en Afghanistan, un héritage à défendre … "
Mais enfin aussi :
- Reportez-vous au XIX ème siècle, la guerre était devenue une habitude, un besoin. Le Président Karzaï a empêché les ethnies, les groupes, les régions, etc., de se déchirer, et aujourd'hui on a, au moins, quelque chose qui est préservée et qui peut s'appeler "État", une promesse d'avenir et de paix."
TABLEAU 7 - Les accords de coopération (intervention de Gilles Rossignol, ancien attaché culturel et de coopération à l'Ambassade de France en Afghanistan)
L'aide française à l'Afghanistan durant la période 1922-1978 avait quatre caractéristiques : elle était modeste, désintéressée, chaleureuse et de qualité. Quand les très importantes aides américaine et soviétiques chutaient de plus de moitié, plaçant l'Afghanistan dans une situation délicate, l'aide française est passée de 1 million de dollars en 1962 à 17 millions en 1972.
Le budget attribué par le gouvernement français à la coopération et à la présence culturelle française en Afghanistan autour des années 1970 était répartie en deux enveloppes :
- Reconstruction exemplaire du lycée Esteqlâl ;
- Financement des missions de coopération.
Un aspect, qui prend tout son sens à la lumière de l'attitude des Tâleban, est la place faite à l'aide à la formation des jeunes filles et des jeunes femmes afghanes. Que ce soit au niveau du lycée Malâlaï ( de jeunes filles ), de l'Université, de l'école d'infirmières de Mastourat, du Ministère de l'Agriculture, sans oublier l'Institut des femmes afghanes, où l'on donnait à de nombreuses jeunes femmes de condition très modeste des cours d'alphabétisation, de santé, d'hygiène, de pédiatrie, avec des programmes s'apparentant à ceux des "écoles ménagères" de jadis …
À côté de cette coopération institutionnelle, le Centre culturel français, outre les cours de français très fréquentés, mettait à disposition livres et magazines et organisait des séances de cinéma ou des expositions attirant un public de nombreuses nationalités. C'est ce qui s'appelle la francophonie.
Et Gille Rossignol d'insister en outre sur les liens personnels noués à l'occasion des quatre années inoubliables qu'il a passées en Afghanistan.
TABLEAU 8 - L'enseignement de 1922 à 2002 (intervention d'Etienne Gille, enseignant, président d'AFRANE - Amitié franco-afghane)
En 1921, deux ans après la déclaration d'indépendance de l'Afghanistan, trente quatre jeunes Afghans issus de l'aristocratie furent inscrits au lycée Michelet de Vanves. Une affaire rondement menée par le roi Amânullâh. Parallèlement les effectifs du lycée Esteqlâl passaient de 200 des origines à 2000 dans les années 70.
En 1938 apparaît la grande figure de Monsieur Momal, un homme d'une grand autorité et d'une grande justice. Ce sont ces deux qualités que les Afghans aiment quand elles vont ensemble. Le 1er septembre 1939 s'ouvre le lycée féminin Malâlaï. Les années 70 furent des années fastes dans les deux lycées, appréciés de la bourgeoisie, mais où les élèves de classes sociales défavorisées, ou d'ethnies minoritaires avaient leur place parce que la justice était respectée sans considération des personnes.
Tout à coup, on s'aperçut que tous ces enseignants expatriés coûtaient trop cher. On n'eut pas le temps d'en tirer les conclusions que l'arrivée au pouvoir d'un régime pro-soviétique mit à mal tout ce qui avait été fait et cela dans un climat délétère. Qu'il suffise de mentionner que trois élèves furent assassinés et on retrouva leurs corps dans la piscine du lycée, lycée que d'ailleurs les Talebân transformèrent en école coranique ! Pendant ces années-là, l'AFRANE maintint un service minimum, notamment par une aide alimentaire aux professeurs. Depuis le départ du pouvoir des Talebân, les lycées de Kaboul, tel le Phénix qui renait de ses cendres, ont bénéficié d'une véritable résurrection.
Cinq questions méritent d'être examinées :
1 - Au départ les lycées "français" étaient destinés à une élite aristocratique, voire princière. Mais l'ouverture à des classes modestes a été un effet secondaire, plus que le fruit d'une politique délibérée.
2 - Le nécessaire remplacement des professeurs français par des professeurs afghan a été freiné par la faiblesse des salaires qui leur étaient accordés.
3 - Fallait-il que l'action pédagogique française soit limitée au seul centre de Kaboul ?
4 - Fallait-il former outre des cadres de haut niveau des professionnels de qualité ?
5 - Les bénéficiaires des bourses, pour les deux tiers, préféraient ne pas revenir faire carrière en Afghanistan.
La plupart de ces questions restent d'actualité, même si le contexte a radicalement changé.
TABLEAU 9 - Un potache au lycée Esteqlâl (intervention de Jean-Marie Momal, ancien élève du lycée de Kaboul et ancien ambassadeur)
Le fils de "Monsieur Momal" a vécu onze ans en Afghanistan. De 1946 à 1951, il a "usé ses fonds de culotte" sur les bancs du lycée Esteqlâl. Il raconte ses souvenirs : par exemple, les bâtiments scolaires n'avaient pas d'étage pour pouvoir sauter directement par les fenêtres en cas de secousse sismique.
Les hivers sont rudes à Kaboul. Le lycée n'étant pas chauffé, les grandes vacances couvraient les trois mois les plus froids. Les professeurs en profitaient pour visiter le sous-continent indien, où les conditions climatiques étaient alors les plus favorables.
Les élèves non afghans n'ont jamais été plus d'une demi-douzaine. Pendant quelques années, une jeune Polonaise suivit aussi les cours. Sa présence, comme celle de la fille d'un professeur, n'allait pas de soi dans ce lycée de garçons, de surcroît dans un pays musulman … Il était bien entendu que le voile était exclu, mais que valait-il mieux : jupe ou pantalon ?
La discipline était stricte et les manquements étaient sanctionnés à coup de badine, et d'ailleurs ces châtiments étaient supportés stoïquement … D'ailleurs, les pères, en inscrivant leurs enfant au lycée, insistaient : "Surtout, battez-les bien ! ". À cette discipline s'ajoutait la qualité de l'enseignement. D'ailleurs, les diplômes afghans étaient homologués en France.
Bien sûr, tous ces souvenirs appartiennent à un lointain passé occulté par les vicissitudes traversées par l'Afghanistan.
TABLEAU 10 - La coopération médicale 1922 - 1978 (intervention de Murielle Blachère-Battaglia, ancien membre de la mission médicale à Kaboul ; psychologue clinicienne)
C'est surtout entre 1947 et 1952 que de nombreux médecins et chirurgiens français, répondant à la demande de médecins afghans francophones, anciens élèves du lycée Esteqlâl, vinrent enseigner à la faculté de médecine de Kaboul. En 1960, des échanges se font avec la faculté de médecine de Lyon, sur la base de missions et d'attribution de bourses. Très vite l'enseignement prévu sous forme de missions se révèle insuffisant : en 1963, le professeur Pascalis, qui a dû quitter la faculté de médecine d'Alger, devient chef de mission à Kaboul.
Bien entendu, le choix de la France de préférer la reconstruction du lycée Esteqlâl à l'édification d'un "hôpital pilote" suscite quelque amertume du côté afghan. Mais aussi bien de nombreux médecins afghans ont bénéficié de la coopération médicale.
Un souvenir : celui du docteur Abdul Hâmed Rahimi, ancien étudiant au lycée Esteqlâl, ancien boursier à Lyon, où il s'était spécialisé en neurochirurgie, extraordinairement compétent en chirurgie générale. Il répondait également présent à tous les Afghans, en particulier aux plus pauvres d'entre eux. Quant aux Français, il refusait de faire payer une intervention chirurgicale, car "memon asti, disait-il, tu es mon invité(e)".
Il faut aussi mentionner les VSNA (service militaire en coopération) : médecins et infirmiers, de nombreux coopérants paramédicaux : infirmières, aides anesthésistes, laborantines, etc.
Malheureusement, avec les périodes de turbulence qu'a traversées l'Afghanistan, nombre de personnels qualifiés afghans n'ont pas souhaité revenir dans leur pays.
TABLEAU 11 - Dix ans de missions agricoles françaises 1967-1978 (intervention d'Alain et de Dominique Sevestre, anciens experts auprès de la Banque afghane de développement agricole)
Les accords de coopération culturelle et technique de 1966 ont préludé à trois missions agricoles : zootechnique (développement de l'élevage), cotonnière (dans le nord du pays ), machinisme agricole ( programme de fabrication d'un polyculteur).
Les obstacles à une agriculture performante étaient nombreux : rudesse du milieu, instruments aratoires traditionnels, méconnaissance des sols, morcellement des propriétés, insuffisance des canaux d'irrigation, isolement des villages.
Mission zootechnique : l'Afghanistan présente un gros potentiel d'élevage sous-exploité, essentiellement des zébus. On a eu recours à un travail de sélection à partir de géniteurs venus d'Europe. Parallèlement, il a fallu améliorer les qualités fourragères de l'alimentation du bétail. Les travaux ont eu lieu dans deux fermes d'État. Il est ressorti des essais que l'élevage des sujets croisés devait être réservé aux fermes pilote, car les animaux importés étaient plus exigeants que les races locales. En conclusion, pour améliorer la productivité, il fallait porter les efforts sur la sélection des races autochtones et sur l'information des éleveurs.
Mission cotonnière : une tradition cotonnière existe essentiellement dans le nord de l'Afghanistan. Il a été importé des variétés américaines, ce qui a conduit à un doublement de la production et à une amélioration de la qualité, ce qui a conduit à la mise en place d'une réelle filière cotonnière, allant jusqu'à la production d'huile destinée à l'exportation.
Mission machinisme agricole : les outils habituels du paysan afghan utilisent la traction animale. Seules les exploitations les plus grandes commencent à importer des tracteurs. On a donc favorisé la fabrication et l'utilisation de polyculteurs. Ce sont des porte-outils à traction animale sur lesquels on adapte différents éléments : charrue, billonneur, sarcleur. Fin juin 1968, une première série d'une centaine d'unité sort d'usine, pour donner suite à une série de 1000 unités. Mais des problèmes de qualité d'acier ont conduit à une fabrication défectueuse ; par ailleurs, l'utilisation de la charrue nécessitait un attelage puissant convenant aux seuls zébus provenant du Pakistan.
D'autres interventions en matière de machinisme agricole, avec l'aide de la Banque afghane de développement agricole. En conclusion, réussite complète du côté de la mission cotonnière. D'autres initiatives ont parfois mis "la charrue avant les bœufs" face au savoir-faire millénaire des traditions agricoles. Et les experts on pu apprécier l'extrême hospitalité même chez le plus pauvre des agriculteurs.
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