GALULA ET LES INSURRECTIONS
Création le 9 février 2013
S'il est un livre à propos duquel nous avons peiné pendant longtemps en vue d'en faire la recension, c'est bien "Contre insurrection - Théorie et pratique" de David Galula.
C'est que David Petraeus, général d'armée américain, a attribué à Galula, dans sa préface dithyrambique du livre, le surnom de "Clausewitz du XXème siècle", pas moins ! Philippe de Montenon, officier français, ancien stagiaire au Command and General Stuffle, et deuxième préfacier, souligne que "sa lecture a été recommandée, puis imposée aux quelques 1200 stagiaires qui passent par ce creuset de la pensée militaire américaine" qu'est ce Command and General Stuff College de Fort Leavenworth (Kansas). L'affaire d'Afghanistan met donc Galula de nouveau en vedette.
Foin de cocoricoter sur un tel éloge rendu au génie de la France éternelle, nous nous sommes parfois endormis sur ses pages. Et pourtant il y a de bonnes choses, voire de très bonnes choses.
Mais tout d'abord, qui est Galula ? Né au Maroc, sans avoir connu Lyautey, il est envoyé en tant qu'observateur en Chine, sans avoir connu Sun Tsu, mais aussi en Grèce, aux Philippines, et "the last but not the least" en Algérie, où il a "pacifié" avec conviction, sans avoir connu les Affaires Algériennes. Après un séjour à Paris, à "l'Action Psychologique", il a démissionné de l'armée française, et est parti aux States, où il a reçu un renom étonnant. Il décèdera en 1968.
Nous avons finalement pris le parti architectural d'extraire au hasard - ou presque - quelques citations qui nous agréent ou pas. Et voici le résultat :
"Une guerre révolutionnaire ne se transforme jamais en guerre conventionnelle" (p. 26) PAS D'ACCORD : Dien Bien Phu était bien le début d'une guerre conventionnelle en Indochine.
"Napoléon n'aurait pas pu gagner en Indochine" (p. 50) PAS D'ACCORD : il eut négocié avec Ho Chi Minh, comme il l'a fait en 1802 avec Mustapha Pacha.
"L'Histoire montre qu'aucune insurrection ou révolte n'a réussi dans les colonies avant 1938" (p. 53) PAS D'ACCORD/ Exemple : les Etats Unis, Haiti ...
"Les opérations militaires ne doivent constituer que 20% du combat de contre-insurrection, le reste étant consacré à la politique". PAS D'ACCORD : pour le reste il faut consacrer de l'ordre de 20% à la politique, 20% au "religieux" et 20% à l'humain, plus un grand chouia de baraka. Plus que la guerre, l'insurrection est le fait de leaders et le charisme, s'il est nécessaire, ne suffit pas sauf à être validé dans la durée.
"Après chaque opération, ils doivent réunir les agents, leur faire partager leur impression, tirer des leçons" (p. 180) D'ACCORD : en anglais cela s'appelle le debriefing, surtout quand les événements ne se sont pas déroulés comme prévu. Par exemple en Afghanistan.
"Il faut donc que les bavures soient punies sévèrement, et même publiquement, si cela peut servir à apaiser la population" (p. 161) D'ACCORD : mais il faut surtout faire en sorte qu'il y ait une prévention des bavures.
"Les loyalistes seraient mieux avisés de limiter leur ambition à l'obtention de la neutralité de la population" (p. 162) PAS D'ACCORD : si la population apparaît comme neutre, c'est qu'en fait elle est hostile mais qu'elle sait le dissimuler.
"Mais peut-on réellement opposer des arguments matériels à l'offensive spirituelle du Djihad ?" PAS D'ACCORD : Ce ne sont pas des arguments matériels, mais des arguments "spirituels" qu'il faut opposer.
"Une erreur grossière serait, bien sûr, de donner des ordre sans être capable de les faire respecter. Les loyaliste doivent donc veiller scrupuleusement à ne donner qu'un nombre limité d'ordres ; en s'étant assuré au préalable que ceux-ci sont humainement acceptables pour la population" (p. 172) D'ACCORD. Les ordres doivent obéir à une stratégie gagnante et doivent avoir un effet à long terme. Les dés-ordres sont à éviter.
"Avant tout, ils doivent éviter de se retrouver dans la situation classique où ils règneraient le jour et abandonneraient la nuit à leurs adversaires" (p.176) . D'ACCORD : la guerre ne se fait pas à mi-temps.
"Le soldat doit être préparé à tenir chacun des rôles de cette situation : il doit pouvoir être à la fois un travailleur social, un conducteur de travaux, un instituteur, un infirmier, et même un chef scout" (p. 132) D'ACCORD : Galula redécouvre les SAS.
"Tout comme le terrorisme, les opérations de propagande ont une tendance regrettable à générer des retours de flamme".(p. 191) D'ACCORD : On peut tromper tout le monde une fois, on peut tromper quelqu'un tout le temps, mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps.
"Des hommes dont les motivations, même si les loyalistes les contestent, peuvent être parfaitement honorables" (p. 181) D'ACCORD : C'est pourquoi il faut toujours considérer l'adversaire d'aujourd'hui comme le probable partenaire de demain.
Le choix de ces citations est certes subjectif mais traduit la généralisation de l'emprise que Galula a subie lors des conflits qu'il a observés ou auxquels il a participé.
En guise de conclusion, Galula pense, avec Eduardo Santos, ancien président de Colombie, qu'en Amérique latine se prépare une explosion sans précédent dans l'Histoire (quelle explosion ? , mais sans se douter de l'émergence du prochain "printemps arabe" et de toutes ses conséquences à long terme.
Quant à nous, nous pensons que, face aux mouvements des peuples créant un climat propice aux insurrections, il faut surfer en permanence entre quatre pôles : militaire, politique, religieux ( religion, idéologie, patriotisme ) et humain, le dernier pôle étant le plus important. Or Galula n'a cité qu'une seule fois dans son livre le mot "humainement", (p. 172) ce qui peut conduire, à notre sens, à une impasse stratégique et invalider sa doctrine.
Cet article vient en complément de l'article :
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