COMPRENDRE LE PAKISTAN

Lampe pakistanaise en membrane d'estomac de chameau






 Modification 1 : 19 septembre 2012

 Voici le texte de la conférence que Bernard Dorin, Ambassadeur de France et Conseiller d'État  honoraire a donnée à la Maison de l'Europe en automne 2011. "Dakerscocode" est partenaire officiel de la Maison de l'Europe.

Bernard Dorin est également membre de l'Académie des Sciences d'Outre-mer. 



Bernard Dorin est très apprécié en tant que conférencier émérite, mais en plus il a la spécialité de dessiner à main levée - et en "live"- des cartes géographiques des pays objets de ses conférences. Nous n'avons pas résisté au plaisir de vous en donner un échantillon.

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Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs,

Comment comprendre le Pakistan ? Examinons tout d'abord le pays, sa population et le poids qu'il a en Asie.

Mais que veut dire Pakistan ? Sachant que "stan" veut dire "état", il y a des Turkmènes dans le Turkmenistan, des Afghans en Afghanistan, des Tadjiks au Tadjikistan, y-a-t il des "Paks" au Pakistan ? Non !

Deux pistes sont possibles quant à l'étymologie du terme :
a) Le Pakistan veut dire "Le Pays des Purs" ;
b) En prenant une par une les lettres du mot Pakistan, on obtient la synthèse suivante :
P = Penjab ; A = Afghanistan : K = Kashmere : I = Indus ; S = Sind …

Quoiqu'il en soit, le Pakistan est un pays qui détient le record des plus hauts sommets du monde, dont quatre à cinq dépassent les 8 000 mètres. Une autre partie du pays, le delta de l'Indus, est extrêmement plat. La région la plus riche est le Penjab, le pays des cinq rivières ( penta en grec - l'Indus et 4 affluents ). L'ensemble fait 800 000 kilomètres carrés, soit trente pour cent plus grand que la France, mais avec une population au dernier recensement de 132 millions d'habitants, s'acheminant vers les 200 millions avec des régions surpeuplées comme le Penjab
et la vallée de l'Indus.

Après Karachi, la nouvelle capitale est, depuis 1959, Islamabad, dont la fragilité est d'être à proximité de la frontière indienne. Le poids démographique du Pakistan est relativement faible par rapport aux géants indien et chinois. Mais il faut remarquer que s'il n'y avait pas eu la "Partition", la Péninsule indienne aurait été plus peuplée que la Chine.

LA PARTITION

C'est le mot qui résume le découpage de la Péninsule indienne après la deuxième guerre mondiale. Cette Partition a été négociée entre trois acteurs :
- Lord Mountbatten, représentant la Couronne anglaise ( la reine Victoria avait été couronnée Impératrice des Indes ) ;
- Nehru, Président du Congrès National Indien ;
- Jinnah, Président de la Ligue Musulmane.

Nehru ne voulait pas de la Partition, Jinnah la voulait absolument. Mountbatten n'en voulait pas officiellement, mais n'en était pas mécontent au nom du vieux principe "diviser pour régner", réflexe colonial s'il en est.

Quel était l'argumentation de Jinnah ? Depuis des siècles, les Musulmans avaient été les seigneurs et maîtres de l'Inde, avec les encouragements finaux de la Grande Bretagne. Mais ils étaient numériquement inférieurs, et le vote démocratique les aurait traités en minoritaires, ce qui était tout simplement impensable.

Simple en apparence sur une carte, cette Partition fut un événement atroce sur le terrain. Officiellement, on a avancé le chiffre de 800 000 morts. Les observateurs estiment plutôt le nombre réel de victimes à huit millions.

À peine le tracé des frontières connu, les Musulmans ont fui vers le territoire attribué à leurs coreligionnaires, de même pour les Hindouistes. Mais au moment où les trains arrivaient aux frontières, des massacreurs (des deux côtés) intervenaient et on ne faisait pas de quartiers. Les Sikhs étaient les plus déchaînés contre les Musulmans. Pour tenter de réduire le désastre, Gandhi a fait une succession de jeûnes, sans succès. En 1948, il est assassiné par un fanatique.


L'ÉTAT PAKISTANAIS

En 642, le Calife Aomar lance ses cavaliers à l'assaut de l'Empire Perse sassante. Les Musulmans progressent jusqu'à l'Indus. En 1526, Babar, premier empereur de l'empire Mogol, agrandit son empire qui atteint le haut Indus. L'empire est encore agrandi par son successeur Akbar ( le Grand). Au début du XVII ème siècle, Shah Dhaman se rend célèbre en faisant construire pour sa femme un mausolée somptueux, le Taj Mahal.

Plus tard l'empereur Aurengzeb règne avec une main de fer. Au XVIII ème siècle, la Compagnie Anglaise des Indes, puis la Couronne anglaise, après la révolte des Cipayes, gardent les structures de l'Inde, en se contentant de régner, tout en privilégiant les maîtres du pays.

Depuis la Partition, on assiste à une "gouvernance" chahutée, ponctuée d'une quantité de coups d'État.

En 1956, une Constitution établit une république islamique. En 1958, premier coup d'État par Ayub Khan, qui dirige le pays d'une main de fer pendant onze ans. Il est renversé par Yahia Khan dont le pouvoir dure deux ans. L'année 1971 est une année cruciale, car elle consacre la sécession du Pakistan Oriental, qui prend le nom de Bengladesh.

Pourquoi cette sécession ? Si la Partition s'est faite sur une base religieuse, les deux Pakistans n'ont rien en commun sur le plan ethnique. Or on constate partout dans le monde une montée en puissance de l'ethnolinguisme. Après le miroitement d'Abdul Rahman pour le "Bengale doré", une insurrection commence en 1970 au Bengale contre le "pouvoir central" qui se trouve à Karachi. Le Pakistan envoie un corps expéditionnaire mater cette insurrection, mais l'Inde vient au secours des Bengalis, les Pakistanais de l'ouest reculent et abandonnent le nouveau Bengladesh. Avec eux émigrent vers Karachi tous les Pakistanais qui ne se sentaient pas Bengalis. Karachi devient une ville monstrueuse de 18 millions d'habitants.

Mohamed Ali Bhutto tente le "socialisme islamique" et crée le PPP (Parti Populaire Pakistanais), et reste au pouvoir pendant six ans. En 1977, Zia Ul Haq rétablit le pouvoir militaire. À cette occasion, Bhutto est pendu en 1979. Zia reste au pouvoir pendant onze ans et curieusement prend pour premier ministre Benazir Bhutto, laquelle est chassée au bout de deux ans, revient à son poste, est de nouveau chassée par Musharaf qui rétablit l'ordre militaire. Lors des élections de 2007, Benazir Bhutto est assassinée. Le pouvoir passe à son mari, qui n'a pas les capacités de son épouse. Il est fortement critiqué pour son absence de réaction lors des inondations de 2010 qui ont touché près de 50 millions de Pakistanais.


OBSESSION DES DIRIGEANTS POUR L'UNITÉ PAKISTANAISE

Finalement un accord de tous les hommes politiques du Pakistan s'est fait sur deux points :
a) L'unité du Pakistan à tout prix ;
b) L'hostilité à l'Inde.

Le premier point ne va pas de soi. Car sur le plan religieux, l'Islam comprend principalement des Sunnites et des Chiites. Ceci mérite une explication : à la mort du Prophète, en 632, sont élus successivement quatre califes dits "rachidien" (légitimes). Parmi eux Ali, qui a épousé Fatima, fille de Mahomet. Tout se définit alors par rapport à la succession. Les uns, les Chiites, considèrent que le successeur doit être nécessairement un descendant du Prophète, les autres, les Sunnites, considèrent que le Calife n'a pas à être forcément un descendant de Mahomet, mais doit être choisi dans la tribu Karechiite, celle du Prophète.

Sur le plan ethnique, le Pakistan, théoriquement fédéral, est en fait une mosaïque de peuples Pendjabis, Sindis, Pachtouns, Baloutches, Sikhs. Le conglomérat pakistanais est particulièrement artificiel. En plus, le plus grand refuge des Talibans, qui sont en majorité des Pachtouns, est une zone difficile d'accès, la "zone tribale", où l'armée pakistanaise conduit mollement l'action contre ces Talibans, alors qu'elle ne se prive pas de réprimer les indépendantistes baloutchi.

L'hostilité à l'Inde s'est traduite par quatre guerres, toutes aussi inutiles les unes que les autres. La première, immédiatement après l'indépendance, à cause du Cachemire ; d'ailleurs sur les quatre guerres, trois ont eu pour cause le Cachemire. Stratégiquement, l'Inde s'est tournée vers l'URSS, après la conférence de Bandoeng. A contrario, le Pakistan s'est tourné vers la Chine, ennemie de l'Inde. En Haiderabad, au centre de l'Inde, dont le prince est musulman et la population hindouiste, les chars de Nehru font disparaître cette anomalie. Au Cachemire, c'est l'inverse, le pouvoir est au main d'une dynastie hindouiste, et la population est en grande majorité musulmane. Le Pakistan annexera la moitié du Cachemire.

Une deuxième guerre, en 1965, fait rage sur le front sud, où une grande bataille de chars ne départage pas les adversaires.

La troisième guerre a lieu lors de l'indépendance du Bengladesh.

La quatrième, ou "guerre des glaciers" fait suite à la révolte de musulmans cashmiris dans le nord de cette région.

Fait majeur, en 1998, les deux pays disposent de l'arme nucléaire, ce qui leur évite, sous peine de suicide, un conflit généralisé, mais l'hostilité continue, avec des attentats à Delhi et à Bombay, provoqués, d'après l'Inde, par les services pakistanais.


ATTITUDE PAKISTANAISE PAR RAPPORT À L'AFFAIRE AFGHANE

L'attitude pakistanaise est terriblement ambiguë. En effet, si l'Afghanistan faisait alliance avec l'Inde, le Pakistan serait pris en "sandwich" entre les deux. En 1979, le gouvernement communiste afghan appelle à l'aide l'URSS, qui occupe l'Afghanistan pendant dix ans. Suite à la résistance afghane, Gorbatchev jette l'éponge et rapatrie ses troupes. Mais éclate en Afghanistan une guerre civile qui va durer quatre ans. En 1976, les Talibans sont vainqueurs. En fait, ces Talibans (littéralement étudiants en religion) sont des milices pachtounes formées au Pakistan, dans l'esprit d'empêcher l'Afghanistan de devenir une succursale de l'Inde. Le régime des talibans, particulièrement radical, est très dur surtout envers les femmes. Il accepte d'accueillir Ben Laden et les groupes d'Al Quaida. Mais Ben Laden change d'ennemi, ce n'est plus le Russe, mais l'Américain (et les Occidentaux en général). L'évolution de cette situation embarrasse fortement l'armée pakistanaise, dès lors que l'OTAN entre en Afghanistan pour essayer d'en chasser les Talibans. Difficile équilibre donc entre le maintien de l'alliance avec les États Unis et les liens étroits avec les Talibans, que les Américains n'apprécient pas du tout.


CONCLUSION

Comment résumer le comportement politique du Pakistan en un seul mot ? Ce serait la fragilité. Cette fragilité provoque une situation dangereuse, le Pakistan étant l'une des lignes de fracture du monde. Il y en a d'autres, mais celle-ci est l'une des plus graves, à cause de la possession de l'arme atomique. La hantise du monde occidental est que Al Quaida prenne un jour le contrôle du Pakistan. Ce ne seraient plus les milliers de morts des "Twin Towers", mais potentiellement des millions.

Je terminerai cette conférence sur deux anecdotes sur ce pays inoubliable et attachant, mais totalement contradictoire.

Un ambassadeur français, voulant résumer le Pakistan, l'a défini abruptement comme un océan de boue dans une mer d'Islam, ou bien comme un océan d'Islam dans une mer de boue ! Alors que le poète Saadi disait des vallées du Cachemire : " S'il est un paradis sur la terre, c'est bien là !"

La deuxième anecdote - personnelle celle-ci - est la rencontre avec Benazir Bhutto. Dans le petit salon de l'Ambassade de France au Japon, le Président François Mitterand avait rencontré de nombreuses personnalités à l'occasion des funérailles de l'Empereur Hiro Hito. Comme il ne se sentait pas confortable en langue anglaise, je servais de traducteur. Benazir Bhutto était entrée, en sari blanc, telle une déesse, sous les feux des photographes. A la fin de l'entretien, François Mitterand lui avait demandé : "Parlez-moi de votre pays". Elle avait répondu : "Pakistan is a dream, I live it every day, awaked" (Le Pakistan est un rêve, je le vis tous les jours, éveillée !).
(Avec l'aimable autorisation de Bernard Dorin)