
http://youtu.be/-WvBS_wHnsY
Modification 2 le 21 octobre 2014 : interview d'Anne Nivat par France Culture (en fin d'article)
Le Royal 22 ème Regiment canadien français est celui qui a hébergé Anne Nivat. Voici la relève de la garde à Quebec en août 2008
Anne Nivat est une petite souris qui se glisse partout, voit tout, entend tout, comprend tout, comme un poisson dans l'eau, et nous livre son reportage dans son livre "Les brouillards de la guerre - dernière mission en Afghanistan".
Son affaire commence par une rencontre avec un officier canadien français décontracté qui lui propose de participer à la vie de son régiment, le Royal 22ème Régiment - surnommé le "Van doo" (22) - cela en Afghanistan dans la région de Kandahar. C'est ce même régiment en garnison à Québec que nous avons vu parader pour la relève de la garde dans l'été 2008.
Elle accueille les états d'âme des Canadiens. Eux, en l'absence de cryptage s'interpellent par leur code. "Quatre neuf" est le major Pruneau, Le général Milner est "Neuf neuf" etc.
Avec les soldats canadiens, la conversation dérive sur les femmes afghanes, la grande énigme de leur séjour. Anne leur demande s'ils en ont vu ? Pas une seule.
- Si, si, une fois, même pas une seconde, se souvient l'un d'entre eux …
Les jeunes traducteurs afghans qui se confient à elle s'inquiètent d'une possible expatriation au Canada …
Réflexion d'un officier :
- Mon point d'interrogation permanent, c'est la population locale, pour qui elle roule. Demain, un IED (mine artisanale) peut sauter au bazar, et tout est foutu ! Ou un attentat-suicide faire des victimes … C'est ma hantise. Ils parlent de la COIN ( COntre INsurrection) : faire du développement économique au lieu de faire du "ratissage". Cela semble bien marcher.
S'ensuit une description psychédélique du camp de base américain, KAF, une gigantesque usine à bouffe interlope qui peut accueillir 35 000 hommes, alimentée par une noria d'avions gros porteurs ( plus de 5 000 vols hebdomadaires ). Un coin spécial "hamburger/frites" ne désemplit pas, de même qu'un chariot "doughnuts" tellement populaire que la consigne est : "Pas plus de deux gâteaux par personne, please, pensez aux autres !"
On peut y pratiquer tous les sports, y écouter toutes les musiques, se défouler aux jeux video, vidéo-chatter au cyber café avec les loved ones restées aux States, mais attention : il faut être armé en permanence pendant toutes ces distractions, vous savez, en cas d'attaque des Talibans, c'est quand même la guerre ! On y rencontre toutes les nationalités, des Tchétchènes aux Philippines, et même quelques Afghans triés sur le volet, et tous font du business en dollars. Ne manquent que quelques Indiens (pardon, des Talibans) avec leurs squaws bien camouflées. Bref, on se croirait dans le Nevada, voire à Harlem comme le suggère Anne Nivat.
Deuxième tableau : Notre exploratrice quitte son uniforme avec gilet pare-balles et son statut de journaliste "embarquée". Grâce à son téléphone portable (l'arme la plus efficace en Afghanistan) et son châdri qui lui permet de jouer la femme invisible, elle franchit les "wires" (les barbelés), rencontre quantité de ses anciens amis afghans, et a le don de s'en faire de nouveaux à la pelle. Il en résulte une suite d'interview, comme autant de croquis de l'Afghanistan profond, avec toutes les précautions de rigueur pour ne pas se faire assassiner. De ces rencontres, nous en avons recensé une quinzaine dans les milieux politiques et gouvernementaux, une vingtaine dans la société civile urbaine et paysanne et même trois avec des Talibans.
Il faut dire qu'elle s'est déjà baladée en Irak, en Tchétchénie, en Afghanistan, et qu'elle connait la musique. "Parce que, côté afghan, on avoue sans difficulté aucune jouer double jeu, et d'abord prendre de l'argent là où il est, c'est-à-dire chez les militaires. Tout le monde, y compris parmi les civils proches des Talibans, affirme que la situation sera pire après le départ des forces armées occidentales."
- Le problème, c'est qu'on ne sait pas vraiment si ces gens sont nos amis ou nos ennemis , souffle un gradé à Anne Nivat.
Nous voilà prévenus : les deux, mon général. Exemple : le tireur isolé qui après avoir envoyé sa rafale (ennemi), pose son arme à terre (ami), car théoriquement les Coalisés n'ont pas le droit de faire feu sur un homme non armé ! Et un religieux résume la situation :
- D'une main les étrangers nous nourrissent, de l'autre ils nous tuent …
Rencontre avec des Talibans. Pour ne pas les effaroucher, le guide précise :
- Bon, vous voyez, c'est une femme… En plus, inutile de la kidnapper, elle ne représente rien ni personne ! Vous savez, les Français ne sont pas trop puissants (hochements de tête). Et en plus, elle, elle travaille toujours toute seule.
À la fin de l'entretien, l'un des Talibans glisse :
- On voit bien que vous aimez l'Afghanistan, sinon vous ne seriez pas ici …
L'épilogue du livre est intitulé bravement "Comment en sortir". Anne Nivat nous donne une réponse équivoque dans la dernière phrase de son livre :
- l'Afghanisation masque ici l'absence de volonté des Alliés d'admettre leur part de responsabilité dans une situation qu'ils ont largement contribué à rendre inextricable.
Dur, dur, dans un pays où l'économie dépend à 80% de l'aide étrangère, la drogue assurant à elle seule 60% du Produit Intérieur Brut …
Interview d'Anne Nivat : lumineux !