
Modification 1 le 19 juin 2012
Voici donc le texte de la conférence de Bernard Dorin, Ambassadeur de France et Conseiller d'État honoraire, faite le 9 février 2012 à la Maison de l'Europe de Paris.
Maison pour la citoyenneté européenne, la Maison de l'Europe est ouverte à toutes et à tous, de tous âges, de toutes nationalités, incluant dans sa perspective les étrangers non communautaires. Travaillant pour une citoyenneté européenne active et inclusive, la Maison de l'Europe explore plus particulièrement la dimension culturelle du projet européen, la représentation des frontières, les enjeux démocratiques et participatifs, éducatifs, économiques et sociaux de l'Europe.
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En fait, existe-t-il des Afghans ? on peut en douter car il n’existe pas de langue afghane proprement dite, l’Afghanistan est une sorte de mozaïque d’ethnies différentes, dont l’une, on va le voir, est principale, l’ethnie pachtoune, qui, depuis l’origine, a dominé le pays.
En premier lieu, il convient de voir ce qu’est le pays afghan et de dire quelques mots sur la population afghane.
Le pays afghan est un pays de taille moyenne : il a 650 000
km2. Il est donc de 20% plus grand que la France. Sa géographie physique est constituée principalement par l’existence d’un immense massif montagneux qui fait partie de l’ensemble himalayen, avec cependant dans l’ouest et le sud ouest, des plateaux et des plaines. C’est une sorte de château d’eau de toute la région puisque des rivières et des fleuves partent de ce massif montagneux, en particulier le Sir Dahria, qui va jusqu’à la mer d’Aral, en irriguant les régions situées au nord ouest de l’Afghanistan
Quelle est la population afghane ? les Pachtounes représentent 16 millions de personnes sur les 29 millions que compte la population afghane, donc pratiquement la moitié de la population totale. C’est celle qui a concourru à la création du pays au XVIIIème siècle. Ensuite les Tadjiks. Il y a des Tadjiks, principalement orientaux, mais il y a des poches de Tadjiks occidentaux à l’ouest de l’Afghanistan. Ensuite les Ouzbeks, qui sont au nord et qui touchent l’Ouzbekistan indépendant. Même chose pour les Turkmens qui sont à la bordure nord de l’Afghanistan et qui touchent le Turkménistan, les Firouzi, autour d’Hérat, qui ont une langue persane, les Hazara, dans la partie centrale de l’Afghanistan, dans le massif montagneux, et enfin les Baloutches, au sud.
Donc on peut conclure que l’Afghanistan n’est pas une nation homogène, mais une mozaïque de nationalités. Une remarque importante à ce stade est que à part les nationalités au centre : les Hazaras, toutes les nationalités sont parentes à des groupes ethniques identiques existant au delà des frontières. Ainsi les Ouzbeks sont collés à l’Ouzbekistan indépendant, les Tadjiks au Tadjikistan indépendant, les Turkmens au Turkménistan indépendant. Les Baloutches sont liés à la fois aux Baloutches du Pakistan et aux Baloutches de l’Iran. Il n’y a donc que les Hazara, qui ne soient pas liés à une nationalité extérieure au pays. Cette remarque est importante, nous le verrons à la fin de l’exposé.
Retenons un fait à ce stade : le groupe pachtoun est de loin le groupe dominant, occupant la plus grande surface du pays, le plus nombreux et surtout historiquement, dès la création de l’Afghanistan en 1747, il est le groupe le plus fort, au point qu’il a donné son nom à l’Afghanistan : Afghani en pachtoun. Il y a donc un mélange dans l’esprit des gens entre l’Afghanistan dans son ensemble et l’ethnie pachtoune.
Pour comprendre l’Afghanistan, il faut jeter un coup d’œil sur l’histoire, non seulement récente, mais aussi ancienne. Du 6ème siècle au 4ème siècle avant J.C., c’est une simple province achéménide, c’est à dire de l’empire perse. Au 4ème siècle, c’est la conquête d’Alexandre le Grand, et l’une des principales villes de l’Afghanistan, Hérat, a été fondée par Alexandre lui-même, ainsi que la ville de Kandahar, qui est en pays pachtoun.
Ces deux villes s’appelaient Alexandrie. Puis il y a eu le boudhisme avec l’art greco-boudhique. A la fin du VIIème siècle, changement complet : c’est la conquête arabe et la venue de l’Islam. La population va abandonner le boudhisme et être islamisée dans toute la région du Moyen Orient, et jusqu’au XVIIIème siècle, l’Afghanistan sera partagé entre la Perse et les Principautés indiennes.
En 1747, la première dynastie afghane est une dynastie pachtoune et qui restera pachtoune jusqu’à la chute du roi d’Afghanistan, remplacé par son cousin. A partir de ce moment-là, l’Afghanistan subira une double pression : celle des Russes, au nord, car les Russes vont s’étendre sur les terres musulmanes d’Asie centrale, et celles des Britanniques à l’ouest, qui ont constitué l’empire des Indes. L’Afghanistan va constituer ainsi une sorte d’État tampon, subissant la pression des Britanniques et des Russes.
Au milieu du XIXème siècle, c’est la première guerre anglo-afghane, car les Britanniques ont décidé d’annexer l’Afghanistan. Cette guerre se déroule entre 1839 et 1842 et elle est caractérisée par la défaite britannique au col de Peshavar, à lasuite de quoi les Britanniques évacueront l’Afghanistan. Mais ils n’ont pas dit leur dernier mot et, à la fin du XIXème siècle, entre 1878 et 1880, c’est la seconde guerre anglo-afghane où les Anglais prennent leur revanche avec la bataille de Kandahar, mais ils trouvent que l’occupation de l’Afghanistan est trop difficile et ils vont l’évacuer. Il faut noter que, lors de ces deux guerres afghanes, ce sont les tribus pachtounes et uniquement elles qui se heurtent aux Anglais. En 1921, c’est la reconnaissance internationale de l’indépendance de l’Afghanistan qui conclue un traité avec la jeune URSS et l’influence russe se fera sentir tout au long du XXème siècle.
Nous arrivons à l’époque moderne : en 1973, c’est le coup d’état de Mohamed Daoud qui dépose Muhammad Zaher Shah et proclame la république. En 1978, un coup d’Etat communiste renverse le régime de Daoud et les communistes s’installent au pouvoir. C’est le début de la guerre civile afghane car la majorité de la population va se révolter contre le pouvoir communiste qui appelle à l’aide l’Union Soviétique. Celle-ci envoie des troupes à partir de 1979, et pendant 10 ans l’intervention soviétique va essayer de maintenir au pouvoir leur allié communiste pachtoun appuyé sur les Usbecks, dont le chef est toujours Dostom.
En 1989, Mikhaïl Gorbatchev jette l’éponge et ordonne l’évacuation des troupes soviétiques. C’est donc un échec total de l’intervention militaire soviétique. Ce n’est pas indifférent de le préciser quand nous examinons les difficultés qu’ont les troupes de la coalition aujourd’hui pour occuper l’Afghanistan. Le gouvernement communiste va quand même tenir 3 ans, 3 ans de guerre civile pendant lesquels il va essayer de se maintenir au pouvoir. En 1992 c’est sa chute au profit des moudjahidines qui sont un rassemblement de la plupart des ethnies afghanes, y compris certains Pachtouns, mais la chute est surtout le fait des Tadjiks, qui sont les seuls à avoir résisté victorieusement aux Soviétiques sous la conduite de Shah Massoud.
Le premier ministre communiste sera d’ailleurs pendu à Kaboul. De 1992 à 1996 se poursuit une guerre civile entre les moudjahidines vainqueurs. Et Massoud Shah pour les Tadjiks, Dostom pour les Usbecks, Khalili pour les Hazaras et Heykmatiar pour les Pachtouns, qui sera bientôt remplacé par le Sheikh Omar. C’est à ce moment, pour terminer la guerre civile, qu’on va assister à l’intervention des Talibans qui ont été formés au Pakistan. Taliban est le pluriel de Taleb (étudiant en religion). Les Talibans interviennent donc en Afghanistan à partir du Pakistan. Après l’échec d’une première tentative d’Heykmatiar au col de Salang, c’est en 1996 la victoire presque totale des Talibans qui occupent l’ensemble du pays à l’exception du réduit tadjik défendu par Massoud. La victoire talibane presque totale a été foudroyante en pays pachtoun, puisque les Talibans étaient accueillis en libérateurs, plus difficile chez les autres ethnies et impossible chez les Tadjiks.
Très précisément le 9 septembre 2001, 48 heures seulement avant l’attaque des «Twin Towers», Massoud est assassiné par deux kamikazé algériens et une dizaine de complices du groupe d’Al Quaïda basé en Allemagne, lequel interviendra aux Etats-Unis le 11 septembre. Cette opération va changer le cours des événements et en décembre 2001, c’est l’intervention de l’OTAN sous l’égide des Nations Unies, autorisation que l’OTAN n’avait pas obtenue pour intervenir en Serbie. L’Amérique se déclare en état de guerre avec l’extrêmisme musulman.
D’octobre 2001 à novembre 2010, à ce jour donc, cela fait 9 ans de contre-guerilla, à la fois contre les Talibans soupçonnés d’avoir abrité Al Quaïda et Al Qaïda même dont les chefs s’étaient réfugiés en Afghanistan. Les Talibans constituent ainsi un essai de reprise du pouvoir par les Pachtouns. Ces Talibans sont en effet formés dans les zones Pachtounes du Pakistan. Il y a d’ailleurs un peu plus de Pachtouns au Pakistan qu’il n’y en a en Afghanistan. La frontière entre l’Afghanistan et l’empire britannique, qu’on appelle la ligne Durand s’est fixée sur la chaine montagneuse, mais a coupé l’ethnie pachtoune en deux parties. Voyons pourquoi cette guerre en Afghanistan, et pourquoi l’OTAN.
Le président Bush a déclaré l’état de guerre avec les Talibans, dans la mesure où les Talibans hébergeaient Al Quaïda, responsable de l’attaque des Tours jumelles. Or les Américains n’ont pas voulu agir seuls mais dans le cadre de l’OTAN, pour essayer de chasser le pouvoir taliban, dans la mesure où il était le complice de Ben Laden. Cependant le rassemblement militaire et politique autour des Américains a dépassé même les limites de l’OTAN, car il y a 48 contingents nationaux en Afghanistan, alors que les pays de l’OTAN ne sont qu’au nombre de 24. Il y a là une extention de l’OTAN, mais il est important de considérer que l’OTAN a reçu le patronage des Nations Unies.
Pour poursuivre l'évaluation sur la situation actuelle et future, le lecteur aurait eu intérêt à consulter l'opinion de l'ambassade américaine, via Wikileaks. Trop tard !
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