PAKISTAN ET TALIBANS




Création le 13 août 2010

Avant de parler des Talibans pakistanais, il nous faut parler de la mouvance taliban.

Dès le début du XXème siècle, donc avant les « indépendances », beaucoup de musulmans indiens (c’est-à-dire vivant dans la Péninsule indienne) ont consciemment ou souvent inconsciemment rejeté l’Islam modéré de la « Muslim League » et de beaucoup de notables musulmans . Un Islam considéré par eux comme un produit corrompu de la cohabitation Islam-Indouisme pendant 800 ans, un Islam paganisé qui doit être rejeté (la qualification de païen est la pire pour un Musulman).


Cette mouvance a trouvé un terrain particulièrement favorable dans les régions excentrées de la Péninsule et s’est renforcée dans la province frontière du Nord Ouest et au Baluchistan. Sur ces terrains extrêmement prometteurs s’est créée, dans les années 1970, l’École de Déobandi au nord du Pakistan. L’École prône l’application intégrale de la Loi Islamique, la Charia, interprétée par les Déobandiens de la façon la plus dure. Elle préconise la pénétration dans les écoles et universités musulmanes et la création de réseaux d’influence intégrés dans la population.

Les Talibans pakistanais sont les fils de Déobandi. Ils sont en majorité des étudiants en théologie, généralement très brillants et souvent fanatiquement « orthodoxes ». C’est ainsi que les Talibans seront très vite désignés comme les « Étudiants ».

Dès 1975, ils se donnent une structure hiérarchisée, et remarquablement organisée, puis ils se dotent d’une vitrine politique, les « Oulemas de l’Islam » qui se situe à l’extrême droite de la politique pakistanaise. Parallèlement, ils s’infiltrent dans les villages et dans les petites villes du Nord-Ouest, qu’à partir de 1990 ils contrôlent et où ils y imposent la Charia. Ils ne négligent pas les zones urbaines où ils créent des cellules subversives à l’origine de la plupart des actes terroristes de ces dernières années au Pakistan.

Depuis 1975, leur leader est Battullah Mehsud, un homme d’exception qui décide de porter ses efforts :
- sur l’Afganistan, où il développe rapidement le mouvement Taliban afgan ;
• sur la zone tribale du Pakistan et sur certains districts de la Province Frontière.

Durant toute cette période, les Autorités pakistanaises font preuve de tolérance, sinon même de sympathie à l’égard des Talibans, car elles apprécient leurs violentes prises de position à l’encontre de l’Union Indienne. Par ailleurs, ces mêmes Autorités laissent leur armée et ses services spéciaux collaborer plus ou moins étroitement avec les Talibans pakistanais, une action ambiguë et équivoque qui n’est pas sans danger pour l’État et posera très vite beaucoup de problèmes.

À partir de 2000, sous la pression de ses alliés américains, le Président Pervez Musharaf adopte une position résolument offensive à l’égard des Talibans. En réalité, il ne fait rien. En revanche, son successeur, le Président Zardari, en butte à des pressions encore plus fortes que celles subies par Musharaf, sera contraint d’aller plus loin, et il donne l’ordre à l’armée de reprendre le contrôle de tous les territoires occupés par les Talibans dans la Province Frontière.

C’est la guerre.

En juillet-août 2009, l’armée pakistanaise lance des opérations d’une relative ampleur et réoccupe plusieurs districts (mais pas tous) occupés par les Talibans. C’est un succès, mais il ne faut pas se faire d’illusion : c’est un succès illusoire. En effet, les Talibans ne se sont pas franchement engagés, se repliant puis se dispersant dès que les Pakistanais poussaient leur avantage … et naturellement, dès que les Pakistanais se déplaçent et libérent le terrain, ils réapparaissent et reprennent durement le contrôle des populations.

Dès le début septembre, l’armée pakistanaise diminue sa pression dans la Province Frontière, où ses opérations sont de plus en plus limitées, et se tourne vers le Waziristan Sud dans la Zone Tribale. Mais les Talibans n’ont pas vu leurs structures et leurs forces militaires entamées. Ils sortent grandis de cette guerre et continuent de représenter pour le gouvernement pakistanais une menace incontrôlée et incontrôlable. La seule vraie épreuve endurée par les Talibans, au cours de cette courte campagne, a été la perte de leur leader Battullah Mehsud, tué dans un bombardement.

Dès octobre, les Talibans ont récupéré tous les territoires qu’ils avaient du abandonner dans la vallée de la Swat et dans les districts limitrophes. Sur le terrain, leur retour s’est traduit par :
• Imposition de mesures sécuritaires strictes et souvent brutales mais qui assurent une indéniable quiétude à ces territoires ;
• Reprise en main de l’administration et imposition de la Charia ;
• Répression – une répression sauvage - tout individu soupçonné d’avoir collaboré avec les forces pakistanaises est exécuté ;

L’armée pakistanaise est confrontée dans cette guerre contre les Talibans à des problèmes spécifiques troublants :

Premier problème – Les soldats pakistanais engagés contre les Talibans appartiennent à des unités dites « de deuxième ligne » (alors que les unités de première ligne sont massées sur les frontières avec l’Union Indienne). Ces soldats sont de bons et même de très bons soldats mais, hélas, ils sont mal armés et mal équipés. Quant à leur ravitaillement, de toute sorte, il est mal assuré. En face d’eux, les Talibans sont mieux armés, mieux équipés et disposent d’une intendance efficace. Tout cela est su depuis longtemps mais il ne fallait pas le dire et « on » ne le disait pas. Aujourd’hui, il y a un constat, et on ne peut plus le cacher. Sans compter que la propagande talibane a trouvé là un excellent sujet en demandant où donc passent les milliards de dollars que les USA allouent généreusement à l’armée pakistanaise. Et cet argument, il fait mal.

Deuxième problème – Ces soldats pakistanais – excellents, il faut le répéter – se trouvent être placés dans une position pénible et probablement insoluble. Non seulement ils sont les frères (ethniquement, religieusement) de ces Talibans qu’ils doivent combattre, mais, bien pire, c’est eux qui les ont entraînés et formés militairement. Il faut l’avoir vécu pour connaître la solidarité qui se crée entre hommes qui sont passés côte à côte par un dur entraînement, c’est surprenant mais parfois plus fort que la camaraderie née du combat. Dans de telles conditions, le moral est forcément touché.

Troisième problème – Les cadres (officiers et sous-officiers) de l’armée pakistanaise sont affreusement divisés. Beaucoup sont « islamisants » et de là, proches des Talibans, beaucoup encore sont anti-américains, et anti-occidentaux, tous ou presque méprisent leurs gouvernants … Ces divergences peuvent éventuellement passer dans les casernes et dans les camps, mais, sur le terrain, il n’en n’est plus de même et il est dur d’aller au combat sous un chef qu’on ne connaît pas, avec des camarades, des hommes qui, demain, peuvent vous abandonner.

Bien sûr, on pourrait ramener au Nord Ouest des unités de première classe en couverture sur la frontière indienne, mais ce serait là un geste iconoclaste qu’on ne peut imaginer voir un gouvernement pakistanais accomplir…

Cette analyse a été faite par Jean-Marie de Beaucorps en octobre 2009