LE FEU NUCLÉAIRE PAKISTANAIS

 
Création le 10 juin 2010
 
Ce document est issu de l'excellente analyse de Jean-Marie de Beaucorps, publiée dans la revue de l'ANACO, association "Analyses et Commentaires des Actualités Essentielles en Extrême Orient".

C'est une vieille histoire. En effet JINNAH (leader pakistanais au moment de la séparation), au cours des négociations pré-Partition, n'hésita pas à aborder le problème de ce qu'il dénommera alors le "capital nucléaire indien" et à réclamer son "partage" entre les deux nouveaux états : Pakistan et Union Indienne. En fait, JINNAH, bien sûr, savait sa demande purement et simplement sans objet pour l'excellente raison que ce dit "nucléaire indien" appartenait à un groupe privé, le Groupe TATA qui pouvait en disposer à sa guise.  


La demande de JINNAH fut donc ignorée, mais elle est intéressante car elle prouve que déjà, à cette époque JINNAH pensait au nucléaire. Et JINNAH n'oublia pas puisque dès 1948 (juste avant sa disparition), il rappela à son premier ministre LIAQUAT ALI KHAN qu'il fallait établir un plan de recherche dans le domaine atomique. LIAQUAT se conformera aux désirs de JINNAH et en 1950, décidera de l'établissement d'un "Plan de Recherche" et créera une "Commission à l'Énergie Atomique". Cette Commission n'aura, dans les années suivantes, pratiquement aucune activité, faute de moyens financiers disponibles, et ceci jusqu'en 1974.

  Le 18 mai 1974, l'Union Indienne teste sa première bombe atomique. À Islamabad, BHUTTO, alors premier ministre, "rugit" et jure de faire tout pour rétablir l'équilibre avec l'ennemi indien. De suite, il réorganise la Commission et lui donne des moyens financiers ... En dépit de ces efforts, le retard pris est tel que le Pakistan reste bien loin des réalisations indiennes. C'est alors que se présente à GHUTTO un individu qui va se révéler être une personne d'exception : le Professeur ABDUL QUADDER KHAN. QUADDER KHAN est un brillant ingénieur - formé en Allemagne - qui a, au cours des 20 dernières années, été employé par plusieurs grandes sociétés européennes travaillant dans le monde de l'atome. Dans les différents postes qu'il occupe, il apprend et aussi il vole. Il vole tout ce qui lui tombe sous la main : plans, études ... et listes de tous le fournisseurs spécialisés. En 1974, il est incontestablement devenu un bon, mieux un grand spécialiste de l'enrichissement d'uranium par centrifugation.

BHUTTO est séduit. Il lui donne tout pouvoir.
Peu après, en 1977, le général ZIA élimine BHUTTO et prend le pouvoir. Lui aussi fait confiance à QUADDER KHAN et lui donne des moyens décuplés. Puis il place KHAN à la Commission, sous le contrôle exclusif de l'Armée, ce qui fait que KHAN échappe à tout contrôle politique ou financier.  


Il faut reconnaître que KHAN, en dix ans, va faire des miracles et, en 1988, le Pakistan teste sa première bombe atomique. C'est remarquable mais il faut bien reconnaître que KHAN a toujours travaillé à partir de techniques et de documents volés au cours de séjours dans les laboratoires et dans les entreprises européennes spécialisées. Jusque là, tout semble se passer normalement, les services du Professeur acceptant des contrôles de sécurité de l'armée pakistanaise et de l'AIEA, contrôles qui ne se révéleront que plus tard totalement inadéquats.

Est-ce à ce moment, ou est-ce même beaucoup plus tôt que le train déraille ? Pourquoi déraille-t-il ? Est-ce purement et simplement l'appât du gain, est-ce plus probablement une profond idéologie pan-islamique prônant le devoir échu au Pakistan de doter l'Islam de la puissance atomique ? ... Encore aujourd'hui on ne peut trancher. Quoiqu'il en soit, à partir de 1980, KHAN crée un réseau parallèle basé à ABOU DHABI qui va entrer en contact avec tous les "candidats" à la bombe atomique ... 


Et il va leur vendre (à grands prix) sa technique de feu nucléaire. Ainsi, c'est reconnu et officiel aujourd'hui, il fournira l'Iran, la Libye, la Corée du Nord. Évidemment, il y aura d'autres récipiendaires mais de ceux-là, on se garde bien de parler ... Quand on se plonge dans les détails du système, on est confondu par l'énormité de toute l'affaire. Et c'est cela qui est finalement le plus important. On ne peut imaginer que ce fantastique réseau a pu fonctionner et se développer sans la connaissance - et donc la bienveillance - des gouvernements pakistanais, qu'ils soient civils ou militaires.

KADDER KHAN sera finalement démasqué et en février 2004, il passera aux aveux qu'il confirmera "urbi et orbi" devant la télévision.
Cela n'altérera en rien son prestige au Pakistan et dans le monde musulman où il est considéré comme un "dieu". Condamné à vivre sous surveillance dans une luxueuse résidence, il vient, en juillet 2009, d'être "libéré" par le président ZARDARI, Il est désormais libre. Il a retrouvé ses passeports. Il peut voyager à l'étranger et ... probablement reprendre ses "petites activités".  


Par ailleurs, et c'est là le plus important, quid aujourd'hui de la bombe pakistanaise ? Bien sûr, celle-ci est toujours sous le contrôle exclusif de l'armée pakistanaise qui a adopté des systèmes de sécurité reconnus internationalement. Cela semble encourageant mais, en fait, ne signifie rien car personne aujourd'hui ne peut certifier qui, au sein de l'armée, détient ce fameux contrôle. L'armée n'est pas unie. Elle comprend à tous les échelons, même les plus élevés, des officiers d'obédiences diverses et pire, certains de ses services, dont les services spéciaux échappent en grande partie au contrôle du commandement.  

Sans vouloir dramatiser, il faut reconnaître qu'aujourd'hui, nous n'avons en fait aucune garantie sérieuse ... et demain, le feu nucléaire pakistanais peut être déclenché dans des conditions que nous ne pouvons pas prévoir ; ce danger est réel : le nier et l'ignorer serait criminel.