AUX INDES - LA VICE ROYAUTÉ BRITANNIQUE






Création le 1 décembre 2009


TAJ MAHAL et TEMPLE DE GUPTA : l'islam et l'indouismeExtrait de la conférence de Jean-Marie de Beaucorps le 28 janvier 2010 à la mairie du XVIème arrondissement de Paris, au profit des œuvres hCumanitaires de CULTURE ET SOLIDARITÉ, organisation culturelle à but non lucratif
 Jean-Marie de Beaucorps, spécialiste de l'Orient et particulièrement de l'Inde, est également l'auteur de remarquables monographies :

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Ce sujet couvre une des périodes les plus exaltantes de l’histoire de notre époque.

Les grandes civilisations de notre monde ont apparu, ont brillé et ont disparu. Elle, la civilisation de la Péninsule Indienne, a duré continûment, millénaire après millénaire, avec les mêmes humains vivant sur les même terres, animés de la même foi. Cette continuité est unique au monde.

Mais maintenant, en 1858, en cette deuxième partie du XIXème siècle, la Péninsule est confrontée au défi le plus dramatique de son histoire : elle doit faire face à un monde nouveau, le monde moderne qui vient de naître et se développe rapidement. Un monde qu’elle entrevoit à peine et qui lui apparaît souvent comme monstrueux.

Une partie des habitants de la Péninsule s’exalte et rêve de faire table rase des vieilles structures traditionnelles indiennes ainsi que des structures modernes apportées, depuis le XVIème siècle par les commerçants et entrepreneurs étrangers. Elle rêve d’un monde nouveau. Au contraire, d’autres veulent une «évolution» qui tiendrait pleinement compte de l’admirable passé de la Péninsule et saurait l’intégrer dans la modernité.

Mais la charge est écrasante, et, tout naturellement, ces «évolutifs» se tournent vers une possible collaboration avec l’Angleterre qui, depuis le début du XVIIème siècle, œuvre dans la Péninsule et y a inscrit une déjà longue et fabuleuse histoire. Et l’approche de ces «évolutifs» se trouve être la bienvenue du côté de l’Angleterre où beaucoup sont convaincus que le développement de la Péninsule et son intégration dans le monde moderne ne peuvent être abandonnés à l’EAST INDIA COMPANY, une simple compagnie commerciale, comme, à juste titre dans le passé, on avait laissé à cette compagnie la pleine responsabilité du développement des activités commerciales. Seule, selon ces Anglais, la Couronne Britannique, avec tous ses moyens matériels et financiers et son autorité morale, pouvait accomplir une telle mission.

Et c’est ainsi qu’un consensus anglo-indien se dessina dès les années 1850 et que tout naturellement la substitution de la Couronne à l’EAST INDIA COMPANY adviendra en 1858, à la suite d’un «incident» occasionnel, la GRANDE MUTINERIE, que nous, Français, appelons généralement la RÉVOLTE DES CIPAYES. Nous serons alors engagés dans la «phase finale» de la présence anglaise dans la Péninsule, avec la «Couronne» assumant pendant près de 100 ans (1858-1947) sa souveraineté absolue sur la Péninsule. Mais pour vous permettre d’appréhender pleinement cette période, il nous semble indispensable de vous retracer sommairement l’histoire de la présence anglaise dans la Péninsule avant 1858, c’est à dire, en fait, de vous conter la saga de l’EAST INDDIA COMPANY - 1599-1858.La Saga de l’EAST INDIA COMPANY»

En 1599, la reine Elisabeth 1ère accorde une charte royale à une compagnie créée par les «gentlemen» de la Cité de Londres sous le nom de EAST INDIA COMPANY.

Nous appellerons tout simplement l’EAST INDIA COMPANY» la COMPAGNIE. Dès 1600, la Compagnie est cotée en bourse à Londres.

En 1602, la Compagnie installe à Surat, au nord de la côte ouest de la Péninsule, son premier comptoir, un simple entrepôt où sont stockées les marchandises en attente de leur embarquement pour l’Europe ; puis la Compagnie se répand sur les côtes ouest et est de la Péninsule.

La Compagnie est alors en étroite concurrence et confrontation avec le Portugal, qui, depuis 1510, domine l’océan indien. En 20 ans la Compagnie évincera les Portugais qui se replieront sur Goa.

En 1618, la Compagnie est sur l’Hooghly au Bengale ; en 1640 elle acquière le territoire sur lequel sera bâti le fameux Fort Saint Georges à Madras ; en 1661 elle prend possession de Bombay ; en 1687, la Compagnie transfère son siège de Surat à Bombay et en 1690, Calcutta sur l’Hooghly est fondée.

Les bases des trois «Présidences» qui administreront les territoires sous administration directe de la Compagnie sont jetées : Bombay, Madras, Calcutta.

A la fin du 17ème siècle la Compagnie élimine définitivement les Hollandais et se trouve alors seule face aux Français qui, à partir de 1660, se sont installés à Pondichéry et à Chandernagor sur l’Hooghly. La lutte sera âpre, tour à tour, l’un ou l’autre des deux adversaires prenant l’avantage. Dupleix, commandant en chef des troupes françaises, portera des coups sérieux à la Compagnie, mais celle-ci, finalement, prendra le dessus.

En 1750, il est évident que Dupleix n’a pu s’imposer et il rentre en France. Il sera remplacé par Lally-Tollendal qui ne pourra, ou ne saura renverser la situation. En janvier 1760, il est sévèrement battu à Wandewash et l’année suivante, en 1761, Pondichéry tombe aux mains de la Compagnie.

Les rêves indiens de la France sont morts.

Au cours des dernières décennies du XVIIème siècle, les états et principautés de la Péninsule sont passés l’un après l’autre sous le contrôle de la Compagnie. Les uns ont été simplement annexés et intégrés dans l’une des trois grandes Présidences de Bombay, Madras, Calcutta. D’autres ont obtenu de garder leur indépendance sous protectorat, c’est-à-dire un strict contrôle de la Compagnie.

En 1800, on peut dire que pratiquement toute la Péninsule est sous le joug de la Compagnie. Seuls, les Marathes résistent encore. Ils seront définitivement écrasés au cours de la dernière et troisième guerre anglo-marathe 1817-1818.

En 1857, un incident, somme toute banal, déclenchera la révolte des troupes indigènes de la Compagnie, les Cipayes, dans le nord de l’Inde. La répression sera brutale et provoquera un soulèvement populaire de l’Inde du nord. L’Inde du centre et du sud ne bougeront pratiquement pas.

La Compagnie doit alors faire appel à l’aide de la Couronne qui expédie des troupes régulières et progressivement, à partir de Calcutta, reconquerra l’Inde du nord. La Compagnie est profondément ébranlée et la Couronne considère, peut-être à tort, que sa responsabilité dans le déclenchement puis dans la gérance de la révolte est grande. La Couronne décide de dissoudre l’EAST INDIA COMPANY le 12 août 1858 et de reprendre à son compte les droits et devoirs de celle-ci.

L’empire colonial des Indes, le «British Empire» vient de naître. Le bilan des 150 ans de règne de l’EAST INDIA COMPANY est très largement positif.

Certes l’attitude de la Compagnie a été une attitude colonialiste au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Elle n’a pas autorisé les activités politiques et elle a gelé les pratiques religieuses (pélerinages, prêches et réunions de masse ...) qui pouvaient dresser les communautés musulmanes, sikhs et hindoues les unes contre les autres.

Son premier et grand mérite a été de réimposer l’ordre et la paix dans un pays qui, depuis l’effondrement de l’Empire Moghol, sombrait dans l’anarchie. C’est là un immense mérite.
Ensuite, en vrac, notons :
- l’abolition de l’esclavage ;
- l’abolition de la pratique du «Sati» sacrifice de la veuve sur le bûcher de son défunt époux
- la construction de routes (programme certes insuffisant mais cependant très important)
- le lancement d’un plan de construction du plus grand réseau de chemin de fer du monde
- les équipements portuaires
- la suppression de tous les droits taxant le trafic entre les états de la Péninsule
- le lancement d’une presse active (surprenant, mais c’est un fait! ) tant en anglais que dans les principales langues locales.
- la création de nombreux collèges modernes, de bibliothèques, l’encouragement à la pratiques de l’Hindi.

Tout cela est loin d’être négligeable et on doit reconnaître que la Compagnie a fait largement honneur à ses responsabilités.

LA VICE-ROYAUTÉ BRITANNIQUE

1858. La Couronne d’Angleterre règne, toute puissante, sur la Péninsule Indienne. Elle l’a voulu en liquidant, sans état d’âme, l’EAST INDIA COMPANY et, aussitôt, avec une détermination farouche, elle assume la charge écrasante qui est désormais la sienne.

Le passage des pouvoirs entre administrateurs de la COMPANIE et fonctionnaires de la Couronne se fera sans heurts, la Couronne conservant, dans un premier temps, les structures administratives et la plupart des administrateurs de la Compagnie. Ce ne sera que dans les années suivantes que la Couronne réorganisera profondément les services, souvent d’ailleurs en adoptant des solutions et méthodes que la Compagnie avait à tort écartées, alors qu’elles avaient fait leurs

preuves depuis l’empereur Ashoka en 300 avant notre ère jusqu’aux grands empires Moghols (1526 - 1707).

Les résultats furent excellents et on peut dire que, dès 1865 - 1870, la nouvelle administration fonctionne et fonctionne bien. Il est alors décidé, en 1875, que la reine Victoria peut visiter la Péninsule et y être intronisée «IMPÉRATRICE DES INDES» La Couronne peut alors s’attaquer au problème qui lui semble primordial : assurer la sécurité extérieure puis intérieure de la Péninsule.
Seulement, après avoir assuré ces sécurités, pourra-t-elle ensuite s’engager sur la voie qu’elle s’est tracée : faire de la Péninsule un état moderne ?

Sécurité extérieure. En tout premier, il faut sécuriser les frontières du nord-ouest. Depuis le début du XIXème siècle, la Russie s’agite ... Elle pousse sans répit à l’est et veut se créer un débouché sur le Pacifique. Elle réussira en 1898 en se faisant céder Port Arthur par la Chine ... Mais elle rêve aussi d’un débouché sur le Golfe Persique et l’Océan Indien. À partir de 1875, solidement implantée sur la frontière nord de l’Afganistan, la Russie menace ouvertement d’occuper ce pays politiquement anarchique. La réponse anglaise est immédiate. C’est la deuxième guerre anglo-afgane en 1878 et non sans mal, l’Angleterre contraint l’Afganistan et la Russie à définir clairement leurs frontières, jugulant ainsi toutes tentatives réciproques d’empiètement.

La Couronne est soulagée, mais n’en gardera pas moins une présence très active sur sa frontière avec l’Afganistan, devenu, bien contre son gré, état tampon entre l’Angleterre et la Russie.

Ensuite, la Couronne se tourne vers l’est. L’EAST INDIA COMPANY avait occupé la côte birmane sur le Golfe du Bengale afin de contrôler la piraterie. La Couronne, elle, voit plus loin. Elle pense aux confins sino-birmans du nord-est et elle décide d’occuper toute la Birmanie. Ce sera fait en 1886.

Reste le nord. La Couronne s’assure un contrôle strict des états himalayens : Népal, Bhoutan, Sikkim. Puis elle pénètre au Tibet, l’occasion pour elle de soulever le problème tibétain avec la Russie et la Chine. Habilement, elle conclura avec ces deux pays un traité tripartite qui neutralise le Tibet.

Dans les années 1880, on peut estimer que la sécurité extérieure de la Péninsule est assurée. La Grande Bretagne y est désormais chez elle et elle va pouvoir se consacrer à renforcer sa sécurité intérieure, c’est-à-dire son strict contrôle de la Péninsule. C’est ainsi qu’il est mis bon ordre à certains «désordres» existant encore en Assam, au Panjab et dans quelques états du centre de l’Inde, et, dès 1890, toute la Péninsule est répartie entre :
- L’Inde dite «britannique», comportant les territoires sous contrôle administratif direct de la Couronne ;
- Et l’Inde dite «princière», composée d’états souverains liés par des contrats bilatérux avec la Couronne.

Mais la Couronne n’a pas attendu d’avoir assuré pleinement la sécurité des frontières de la Péninsule d’une part, et son unité territoriale d’autre part, pour se lancer dans un colossal programme de développement.

En vrac, citons :
- L’établissement de transmissions télégraphiques entre Inde et Europe ;
- La création de nouvelles lignes de chemin de fer (en 1914, la Péninsule disposera du réseau ferroviaire le plus important du monde) ;
- La modernisation des ports ;
- La rénovation des routes et canaux.

Sur le plan culturel, l’enseignement de l’anglais est généralisé et devient progressivement la langue nationale de fait. De nouveaux systèmes d’éducation sont élaborés et de nouvelles universités sont créées ...

Mais c’est sur le plan politique que l’évolution de la Péninsule va être le plus spectaculaire. Au lieu d’étouffer systématiquement toute activité politique «indigène», (comme le font la plupart des systèmes coloniaux), la Grande Bretagne ne s’oppose pas à une vie politique indienne. Au contraire, la Grande Bretagne semble désireuse que cette vie politique existe (une bonne façon, disent certains, de mieux la contrôler).

En 1885, l’Indian National Congress (on dit plus simplement le Congress) est fondé. Ce parti est ouvert à tous, Indous et non Indous. Il mènera en 60 ans de lutte la Péninsule à l’indépendance. En 1906, c’est au tour des Musulmans de fonder la Ligue Musulmane ouverte seulement aux Musulmans.

Entre temps, de nombreux autres partis sont nés et, au fil des ans, ont disparu. L’activité politique est alors intense. Hindous et Musulmans se parlent. Hindous, Musulmans, et Anglais discutent régulièrement de l’avenir de la Péninsule.

On dresse des plans, on rêve beaucoup et, parfois, on aboutit et une pierre de plus est posée dans la construction d’une Inde «self-governed», une expression étonnante qui évite de prononcer le mot «indépendance» trop enthousiasmant pour beaucoup et trop choquant pour certains !

A Londres, le Parlement Britannique prend part à ce débat. Il multiplie les India Acts ... dont certains sont la preuve de la sagesse et de la «vision» de ce Parlement. Mais ces Acts, il faut le reconnaître, seront rarement appliqués par la Couronne et l’Administration.

Bien sûr, tout cela ne se passe pas sans heurts. Il y a des révoltes, des grèves, des «incidents» dramatiques tel le grand massacre d’Amritsar en 1919, mais en dépit de tous ces aléas, on continue, on persévère et on avance.

En 1915, GANDHI, le «mahtma», rentre en Inde après 20 ans de militance en Afrique du Sud. De suite, il s’impose. il durcit les positions du Congress vis-à-vis de la puissance coloniale, la Grande Bretagne, mais en échange, il rejette totalement la lutte armée et violente que beaucoup d’Indiens, dont un des leaders du Congress, SUBASH CHANDRA BOES, préconisent. La lutte sera non violente et il assure son peuple que par la non-violence, il arrachera l’indépendance totale.

Et la deuxième guerre mondiale éclate.

Le Congress et Gandhi refusent d’apporter une aide officielle et inconditionnelle à la Grande Bretagne. Ils poursuivent leurs activités politiques et, plus que jamais, rappellent leurs revendications mais ils ne s’opposent pas brutalement à une participation de l’Inde à l’effort de guerre anglais.

Et cette participation de l’Inde et de la masse indienne à l’effort anglais sera colossale et sans celle-ci, la Grande Bretagne n’aurait probablement pas pu assurer sa mission. L’Inde fournit aux Alliés 1 200 000 soldats dont la majorité sont des combattants d’élite. L’Inde souscrit à tous les emprunts de guerre anglais et apporte des milliards de livres sterling. Elle triple ses fournitures de minerais et de produits manufacturés ...

Et la guerre se termine. On est en 1947.

Dans un geste spectaculaire, le socialiste Atlee, qui vient de remplacer Churchill à la tête du gouvernement anglais, nomme Lord Mountbatten - un des plus prestigieux noms du royaume - Vice-Roi des Indes. Il est chargé de négocier avec les partis politiques indiens, le Congress et la Ligue Musulmane, les conditions de l’indépendance que le Parlement de Sa Majesté vient d’accorder aux peuples de l’Empire des Indes.

Vous connaissez tous cette période de l’Histoire. Les négociations entre Mountbatten, Jinah le Musulman et Nehru l’Indou, l’intransigeance musulmane, l’impossibilité de trouver un compromis. Extraordinaire : autour de la table, Jinah et Nehru avanceront les mêmes arguments, développeront les mêmes théories que deux cents ans plus tôt les Marathes, défenseurs de l’indouisme, et les Moghols, champions de l’islam avaient employés. Deux cents ans de souveraineté britannique n’avaient pu combler le fossé séparant les deux communautés. On était revenu des siècles en arrière.

Et puis, un réseau bancaire moderne se met en place. Les Indiens et les Anglais sont encouragés à se lancer ensemble dans le commerce et l’industrie. La TATA Steel Cie, créée en 1917, deviendra le cœur d’un des plus grands empires industriels du monde du XXème siècle.

Et finalement, une seule solution restera possible, une mauvaise solution : la PARTITION de la Péninsule.

Les Musulmans créeront un nouvel état, le Pakistan, un état «bancal» divisé en deux régions-provinces séparées par plus de 2 000 kilomètres, au nord-ouest de la Péninsule le Pakistan occidental (comprenant Punjab, Sindh ...) et au nord-est le Pakistan oriental (comprenant une partie du Bengale ...). Le Pakistan sera un état islamique.

Le centre de l’Inde reviendra à l’Union Indienne, une république démocratique et laïque.

Une fois la Partition achevée, le Pakistan occidental comptera 97% de musulmans et à peine quelques milliers d’Indous, le Pakistan oriental, lui, comptera 90 % de musulmans et quelques dizaines de milliers d’Hindous. Au contraire, l’Union Indienne comptera à côté d’une large majorité indoue des minorités chrétiennes, parsis,sikhs et musulmanes, de l’ordre de 15% de musulmans qui ont décidé de ne pas rejoindre le Pakistan.

En donnant une preuve éclatante de sa laïcité et de sa générosité, l’Union Indienne ouvrait la porte à de dramatiques difficultés sur le plan politique intérieur, des difficultés qui, aujourd’hui, se sont transformées en un problème angoissant pour la Péninsule toute entière et pour le monde.