


UNE CONFÉRENCE DE BERNARD DORIN, AMBASSADEUR DE FRANCE ET CONSEILLER D'ÉTAT HONORAIRE, FAITE https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhm3CYJfnNqUJBwSIWapDVT3BMxI5jtSbmZ5qk_XBt8Kjk-nOMb_I6F_IY6-cMuAEFFoRjrxW8tK_f415dDA73_PeDCK8b3MA7aKdJ1VKXAj5c28GZRzHwzpfxZbv6fsXqXDzaLxb7uJDSR/s1600/GouachechinoiseWeb.jpgÀ ARRI (Association Réalités et Relations Internationales)
ET À "Culture & Solidarité" (avec l'aimable autorisation de l'auteur).
Création le 28 avril 2009
Modification 1 le 8 août 2018, lien enfin d'article sur "Le lac des Cygnes"à la chinoise.
Modification 2 le 27 juin 2019, en fin d'article
Si au XVIIème siècle, la Chine comptait 50 millions d’habitants, au XVIIIème siècle, elle atteignait 150 millions, qui se sont transformés en 300 millions au XIXème siècle, puis en 450 millions au milieu du XXème siècle. Elle comprend maintenant un milliard trois cents millions de Chinois, des Hans à 90%.
Depuis 4.000 ans, l’Empire du Milieu, ou encore l’Empire Céleste, est dirigé par des dynasties aux noms évocateurs (Xia, Shang, Quin, Han, Tang, Song, Jin, Ming, Qing). Ces noms évoquent la Chine ancienne impériale. Certaines dynasties étaient d’ailleurs des dynasties étrangères qui avaient repris le flambeau impérial. En 1911, succède la phase républicaine, et en 1949 la phase communiste. La Chine est actuellement une République Populaire, symbolisée à nos yeux par la “politique des cent fleurs” de 1954, le “grand bond en avant” de 1959 et la “révolution culturelle” de 1966.
LES SEPT CLÉS
Pour entrer dans le mystère chinois, il faut essayer 7 clés :
• Première clé : l’ancienneté et le modernisme
Depuis la plus haute antiquité, la Chine a été à la pointe du modernisme, et a multiplié les inventions, dont on ignore les auteurs, mais dont le monde occidental a copié les fruits avec succès : la poudre (pour feu d’artifice, transformée en poudre à canon), la pâte à papier (qui a remplacé les plaquettes d’argile, le papyrus ou le parchemin), la boussole (qui indiquait le sud), la culture du ver à soie (restée longtemps un secret industriel), etc.
En retour de balancier, la Chine emprunte maintenant le modernisme occidental, il suffit de voir l’évolution d’une ville telle que Shanghaï, une des plus grandes métropoles mondiales.
• Deuxième clé : l’ordre et le chaos
La Chine ne vit pleinement que sous un pouvoir fort. Quand le pouvoir faiblit, elle se divise en royaumes combattants, elle se déchire entre seigneurs de la guerre. Cette fragmentation amène à se poser la question de l’inadéquation de la démocratie telle que nous l’entendons.
• Troisière clé : l’influence du Ciel
On ne peut pas dire que le pouvoir soit d’essence religieuse (comme par exemple le sacre des rois de France). La religion traditionnelle des Chinois est le boudhisme, mais ils sont imprégnés de la philosophie de Confucius ou de Lao Tseu.
En vertu de cela, le Ciel apporte en principe son soutien au pouvoir central. S’il décide de retirer ce soutien, le pouvoir ne peut que s’effondrer, et le peuple a le devoir d’accélérer la déconfiture du pouvoir.
• Quatrième clé : expansion et repli
Par période, la Chine connaît une expansion fantastique, une montée en puissance, D’autres périodes favorisent le repli et la fermeture, comme pendant la construction de la grande muraille de Chine, ainsi que la période de fermeture aux idées “barbares”.
• Cinquième clé : complexe de supériorité et soumission
La Chine est considérée par ses voisins proches et lointains - et surtout par elle-même - comme la source de toute civilisation. Mais à l’occasion, elle se laisse dominer par des peuples plus guerriers, même s’ils sont moins nombreux. D’où l'instauration de dynasties étrangères, mais aussi dans un passé plus récent, ce qu’on a appelé la "guerre de l’opium", ainsi que l’invasion japonaise qui ne mettait en ligne pas plus de 400.000 hommes.
• Sixième clé : individualisme et communautarisme
L’individualisme favorise l’essor du commerce, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières. En Asie, de nombreuses commerces sont tenus par des Chinois, ainsi que des circuits financiers “spontanés”, même s’ils sont parfois contrôlés par de redoutables mafias, les “triades”.
A contrario cet individualisme peut se faire chapeauter par le communautarisme : on en a vu de bons exemples dans la manière que les communistes ont eue pour faire fonctionner les “communes populaires” munies chacune d’un haut fourneau artisanal, où les habitants ont été invités - pour augmenter la production nationale - à y fondre qui leur cuiller, qui leur gamelle, ou tout objet de fer.
• Septième clé : la violence et le raffinement
La violence peut exploser sans retenue, qu’elle soit individuelle ou violence d’Etat. On peut y noyer parfois les filles parce que ce ne sont pas des garçons.
Mais aussi, on développe les arts : architecture, musique, théâtre, danse, façonnage et décoration de porcelaine, médecine et culture physique. Il faut aussi attirer l’attention sur le raffinement des “dames chinoises”, sur la préciosité de la “cérémonie du thé” qui a aussi bien été copiée par les Japonais.
En conclusion, toutes ces “clés” sont porteuses chacune d’un paradoxe, et d’un contraste permanents.
En commençant son cours, André Siegfried avait l’habitude de dire “Les Chinois sont jaunes et il y en a beaucoup”. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
LES 10 PROBLÈMES
1 - La surpopulation
L’accroissement exponentiel de la population n’a pas échappé aux dirigeants chinois.
C’est le seul pays au monde où l'on taxe la venue d’un deuxième enfant. Cela pour essayer de limiter le nombre des naissances. Il en résulte deux conséquences :
- le renversement de la pyramide des âges entraînant le problème du financement des retraites ;
- l’excédent des garçons par rapport aux filles que l’on préfère parfois faire disparaître tant qu’on n’a pas eu “le” garçon.
Donc, il faut importer de futures épouses (des Philippines, par exemple).
2 - La limite des terres arables
Les terres arables dont dispose la Chine correspondent à 7% des terres arables mondiales, alors que sa population est de 20% de la population mondiale.
3 - L’urbanisation incontrôlée
La Chine compte actuellement 30 villes de plus de 1 million d’habitants dont Shanghaï et Pékin qui tournent autour de 25 millions, Beaucoup de ces villes sont neuves, c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas dans le paysage d’il y a 50 ans, et qu’elles grossissent à vue d’œil, avec les problèmes d’urbanisme que cela entraîne.
4 - Le déséquilibre entre la côte et l’intérieur
La fracture sociale est consommée : 40 millions de migrants sont employés à la recherche d’un travail comme la construction des villes de la côte. Un cinquième de la population rurale est en voie de migration.
5 - L’insuffisance énergétique
Le charbon est à l’origine de 75% de la consommation d’énergie (il produit d’ailleurs 15% des rejets mondiaux de CO2). Il peut rendre l’air irrespirable, en particulier dans la région de Shenzi.
Le pétrole “du pays” ne représente qu’un tiers de la consommation nationale. Il faut à tout prix en trouver ailleurs, en s'approvisionnant dans le reste du monde, et en imaginant les projets les plus osés : un oléoduc transpacifique, un gazoduc venant du Turkmenistan ...
Reste le nucléaire, avec des usines par paquets de 10, ou la réalisation pharaonesque du barrage des 3 gorges.
6 - Les catastrophes naturelles
La Chine a le record mondial des tremblements de terre, puisqu’elle vit au-dessus du combat des plaques eurasienne et pacifique. Les séismes ne datent pas d’aujourd’hui : au XVIIème siècle une terrible secousse a anéanti des millions de victimes dans le Kansu. Personne en Europe n’en a eu connaissance.
7 - Les sécheresses et les inondations
Le dérèglement climatique qui s’annonce n’est pas fait pour régler ce problème. D’autant plus que, à la mesure du gigantisme du pays, les inondations peuvent s’accompagner du changement du cours des fleuves, tel le Hoang Ho, qui a changé de cours il y a 50 ans en entraînant l’anéantissement de milliers d’exploitations agricoles.
8 - Les minorités nationales
Les Hans forment une majorité qui, peu à peu, se “déverse” sur les minorités périphériques, lesquelles disparaissent progressivement.
Ainsi la Mongolie intérieure ne comporte plus que 25% de Mongols. Les Ouigours du SinKiang ne sont plus que 50%, de même que les Tibétains. Quand toutes ces provinces périphériques seront peuplées de Hans, le problème de leur indépendance sera totalement dépassé.
Lorque l’URSS a implosé, les Russes se sont retirés de leurs provinces périphériques. Cela n’est pas envisageable dans le cas de la Chine.
9 - Les conflits avec les pays voisins
Si on se réfère seulement aux conflits récents, on constate :
- En 1950, l'intervention dans la guerre de Corée.
- En 1952, le conflit “du toit du monde” avec l’Inde où l’armée chinoise, loin de ses bases arrière, a humilié l'armée indienne.
- En 1969, le conflit “des îles du fleuve Amour” avec l’URSS. C’est qu’au XVIIème siècle, la Sibérie orientale était partie intégrante de la Chine.
- En 1978, conflit avec le Viet Nam. Et pourtant la Chine était le “sanctuaire chinois” lors des guerres d’Indochine. Il est vrai que la possession des îles de la mer de Chine du Sud vaut possession des hydrocarbures potentiels de leur domaine maritime.
On doit aussi parler du détroit de Formose protégé par la flotte américaine, dont le départ donnerait le signal de l’invasion de Tai wan. Il ne s’agit plus là de pétrole, mais du principe qu’il n’existe qu’une seule Chine, donc que Taiwan doit retourner au bercail, comme Hong Kong et Macao.
On remarquera que les “petits dragons”, tels que Taiwan, Hong Kong et Singapour, ont eu une montée en puissance prémonitoire.
10 - Coexistence du politique et de l’économique
La Chine est l’exception qui fait que le communisme s’accommode d’un capitalisme débridé, à moins que ce ne soit le contraire. Cela peut-il durer, et si oui, combien de temps ? Pour le savoir, il est nécessaire d’utiliser l’une ou l’autre des 7 clés décrites plus haut, à moins qu’il y en ait une huitième, encore plus paradoxale. En État centralisé, qui n’a que faire du droit syndical, le seul syndicat valable est le syndicat d’État.
Les droits de l’Homme sont aussi en question. La mutation du peuple chinois se justifie donc par le sacrifice d’une génération dont les enfants accèderont à un capitalisme florissant et expansif.
UNE GRANDE PUISSANCE
La Chine est devenue une grande puissance dans quatre domaines :
1 - Le domaine militaire
Il y a 2 millions de Chinois en armes, avec la possibilité de mobiliser une armée entraînée et équipée de 20 millions de soldats (c’est relativement peu par rapport au milliard trois cent millions d’habitants).
Si, comme l’a dit Napoléon, la victoire appartient aux gros bataillons, voilà qui incite à ne pas parier contre la Chine. Il faut ajouter que ses sous-marins nucléaires surveillent les submersibles américains dans le Pacifique, que la Chine vient de procéder à un tir réussi anti-satellite, comme les Américains. La Chine possède la bombe H et les vecteurs en mesure de la déposer à 3.000 kilomètres.
Comme les autres grandes puissances, elle commence aussi à envoyer des contingents dans le cadre des missions de l’ONU.
2 - Le domaine scientifique
La Chine se hisse au 3ème rang mondial, après les États-Unis et le Japon.
En ce qui concerne l’Espace, elle a lancé plus de 40 satellites, et prévoit un vol habité dans les deux ans.
Les retombées économiques se retrouvent dans les 300 millions de téléphones portables. 12 millions d’étudiants travaillent pour former les futurs cadres. On note aussi le retour des cerveaux qui s’étaient expatriés et qui vont contribuer à l’accélération de cette montée en puissance.
3 - Le domaine politique
La Chine fait partie du Conseil de Sécurité, de l’Organisation Mondiale du Commerce, et un jour sans doute du G8. Autrement dit, pour utiliser une formule à la mode, elle est devenue “incontournable”.
4 - Le domaine économique
Avant l’arrivée de Den Xiao Ping, on ne pouvait pas vraiment parler de montée en puissance.
Depuis, les statistiques battent des records mondiaux. En principe, un accroissement annuel de 9,5%, à rapprocher des 2% européens. On soupçonne même ces statistiques d’être faussée, pour ne pas faire peur au reste du monde, le taux vrai étant plus proche de 11%. Cette évolution donne l’image d’un cheval emballé dont on ne sait pas très bien comment il réfrénera sa course.
Il faut dire que ce taux de croissance est récent, et que la Chine part de très bas, et, malgré ce ratrappage, reste encore pour le moment derrière le Japon. Grâce au faible coût de sa main d’œuvre, la Chine exporte partout avec succès, la seule limitation apparente étant la capacité de ses ports à charger les marchandises ...
Que ce soit en Asie, en Afrique, en Europe ou en Amérique, les produits chinois sont de plus en plus présents, malgré quelques raté, comme le renvoi de jouets qui ne sont pas aux normes occidentales. Non seulement les Chinois exportent des produits, mais exigent, quand ils en importent, une délocalisation du savoir-faire et acceptent une délocalisation des industries étrangères.
Les réserves chinoises en dollars grossissant de manière monstrueuse - la Chine est, avec le Japon, la grande créancière des Etats-Unis - les Chinois se sont également mis à racheter, ici et là, des entreprises performantes ou génératrices de savoir-faire. Des colonies chinoises apparaissent en Afrique (100.000 Chinois en Algérie ?). Ainsi se constituent les “Chinatowns”, dans les grandes villes d’Amérique du Nord, et, plus près de nous, celle qui se crée dans le XIIIème arrondissement de Paris. Des gens calmes, discrets, industrieux, disciplinés, qui ne manifestent pas, et ne brûlent pas de voitures !
Ajoutons que la Chine se place après la Corée du Sud et le Japon en matière de construction navale, après l’Inde pour le textile, et qu'elle renforce sa position pour les ordinateurs ou les téléviseurs.
CONCLUSION
La montée en puissance de la Chine a été favorisée par l'unité ethnique du peuple Han. Contrairement aux États Unis, qui se sont formés comme un “melting pot” ou à l’Europe, qui n’est encore qu’une juxtaposition d’Etats, la Chine bénéficie d’une unité de direction et d’action. Endormi, le dragon se réveille brusquement en crachant ses flammes, ou en faisant trembler la terre.
Actuellement se pose pour la Chine un problème brûlant dans la prochaine perspective des Jeux Olympiques de Pékin : celui du Tibet. Il n'est pas douteux que le Tibet, qui possède une langue et une civilisation originales fondées sur le bouddhisme du Grand Véhicule, connaît un processus de "sinisation". En effet, la proportion de la population Han atteint déjà 50%, notamment dans les villes. C'est là une question qui émeut profondément l'opinion mondiale et pour laquelle la Chine se doit de trouver une solution compatible avec l'identité tibétaine.
Pour conclure, permettez-moi de rappeller un souvenir :
Le Général de Gaulle, qui a été le premier chef d’État occidental à reconnaître la Chine pendant la “guerre froide”, pouvait laisser penser que sa décision était contestable, à l’instar de François 1er, qui s’était rallié à l’empire ottoman, ce qui avait été considéré comme une sorte de trahison de l’Europe chrétienne.
Avec Alain Peyrefitte, nous étions allés le voir, non pas pour lui présenter nos objections - il convenait d’être prudent à ce sujet - mais pour lui demander des arguments à présenter à nos futurs interlocuteurs pour bien expliciter sa pensée.
Alors, de sa voix caverneuse, il nous avait répondu :
- Le communisme en Russie, il passera, je ne le verrai probablement pas, mais - peut-être pas vous - , mais vos enfants, vos petits-enfants le verront. Le peuple russe, lui, ne passera pas.
Pour la Chine, c’est la même chose. Le communisme, un jour, passera, mais le peuple chinois ne passera pas. Si vous voyez un atlas - et là, il s’était tourné vers moi, puisqu’il connaissait mon goût pour la cartographie - qu’est-ce que vous voyez dans un atlas ? Vous voyez des taches de couleur... Ces taches de couleur, ce sont des États. Mais la France et la Chine ne sont pas seulement des États, ce sont des Peuples.
Et c’est cela peut-être le principal atout de la Chine.
QUESTIONS ET RÉPONSES
- Pourquoi, lorsqu’un responsable français va en Chine, il met toujours en avant la question des droits de l’Homme ?
Les responsables français vont bien dans tant d’autres pays qui sont tout autant dans le même cas, et il n’en est rien.
Étant donné la dimension du pays, les manquements n’en sont que plus spectaculaires.
D’autre part la Chine a le privilège de faire partie des membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU ; si elle ne respecte pas les droits de l'Homme, comment pourrait-elle être crédible ?
- Quelle pourrait être la prochaine conquête de la Chine ?
J’estime que la Chine n'a pas actuellement de visées territoriales. Si toutefois elle était tentée de poursuivre, elle penserait peut-être à la Mongolie. Il ne faut pas oublier que la Mongolie était une dépendance chinoise jusqu’à la première guerre mondiale, qu’elle n’a qu’une quinzaine de millions d’habitants, et qu’elle possède de nombreuses richesses naturelles. Mais la Chine n’a que faire d’un expansionisme territorial. L’expansionnisme industriel lui suffit.
- La démocratie, telle que nous l’entendons, est-elle viable en Chine ?
La démocratie est très difficile à mettre en place en Chine, car elle consiste à laisser l’adversaire s’exprimer et agir, ce qui est contraire aux traditions : quand on considère que le pouvoir est affaibli, il convient de se dresser contre lui.
- Y a-t-il un enfer en Chine ?
Contrairement aux religions monothéistes, c’est à dire juive, chrétienne, et musulmane, le boudhisme n'envisage pas d’enfer, mais seulement une rétrogradation ou une élévation dans la réincarnation, jusqu’au nirvanah qui n’exige plus de réincarnation.

Le futur porte-avions chinois !
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