LA FIN DES NATTES CHINOISES


 Création le 1 juin 2016

Nous avons remarqué dans le Journal des Voyages du 28 janvier 1912 un article insolite consacré à la fin des nattes chinoises, signé L. Kuentz. Peu de personnes en connaissent l’histoire :



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Éminemment conservateur, esclave de la tradition, le peuple chinois est le seul dont la civilisation ait pu résister si longtemps dans l’histoire du monde. Et pourtant ce peuple, si rigide et si fidèle dans son culte du passé, est décidé à abandonner la natte, signe caractéristique de sa race depuis le XVIIème siècle.

Ce fut, en effet, en 1621, que Nourhachu, le conquérant mandchou, imposa la natte aux Chinois. Lors de la prise de la ville de Leaouyang, il ordonna aux habitants, sous peine de mort, de modifier leur coiffure, en se rasant la moitié de la tête, pour ne conserver, à la mode des Mandchous, que cette queue que nous trouvons si singulière. Et, jusqu’à la soumission complète de la Chine, les indigènes eurent à choisir entre le rasoir et le sabre.

Cependant, peu à peu, ceux-ci adoptèrent la coiffure imposée et, au bout de quelques générations, ce signe de la servitude était entré dans leurs mœurs. Ce fut au point que la natte devint un objet sacré dont on prit le plus grand soin et dont la perte était regardée comme un déshonneur.




Ce respect profond se maintint trois siècles durant, mais, subitement, les Célestes en sont venus à haïr cet appendice qu’ils coupent actuellement par milliers, de sorte que bientôt la plupart porteront les cheveux tout comme nous.

Les causes de cette révolution méritent qu’on les examine tout particulièrement, d’autant plus qu’elles nous montrent clairement qu’une ère nouvelle s’ouvre pour le Tchoung-Koué (Empire du Milieu). Tant que les sujets du Tien-tze (Fils du Ciel) étaient restés confinés dans les limites de leur patrie dont ils défendaient jalousement l’accès aux autres nations, les queues passaient, pour ainsi dire, inaperçues.

Mais le jour où ils brisèrent les barrières qui séparaient leur pays du monde, ce jour-là fut la date fatale pour les nattes. Les princes se mettaient à voyager en Europe et en Amérique, d’où ils revenaient avec des idées étranges sur cette coiffure dont ils avaient enfin compris l’inutilité et l’absurdité.

En même temps, les jeunes gens se rendaient en masse au Japon, pour s’instruire à la célèbre université de Tokyo et aux grandes écoles de ce pays. Il y eut, en une seule année, environ 20 000 étudiants chinois répartis dans les différentes villes nippones.

Or les Japonais avaient jadis porté une petite natte, longue de 75 mm environ, se dressant sur leur tête à la façon d’une corne de rhinocéros. Dès qu’ils furent en contact avec le monde européen, ils s’empressèrent d’abandonner cet appendice bizarre, offrant aussi aux jeunes Célestes une admirable leçon de choses dont l’effet devait être énorme sur l’esprit de ceux-ci.

Outre cela, les habitants de l’Empire du Soleil Levant, heureux de susciter des dissensions parmi leurs voisins, ne perdaient pas une occasion pour les tourner en ridicule, à cause de leurs nattes. Et, de retour chez eux, les étudiants, à la fois indignés et honteux, commencèrent à lutter avec ardeur, et non sans succès, pour la suppression de ce fléau national.

Bientôt une autre classe de la société chinoise se mit également en opposition avec l’antique coiffure, ce fut celle des ouvriers. Nombre d’entre eux s’expatrièrent pour gagner leur subsistance, dans les pays étrangers où ils exercèrent les plus humbles métiers. Ces pauvres coolies sans cesse en butte aux railleries et aux sarcasmes de leurs compagnons, finirent par rouler ces queues étroitement sur leurs têtes et à les cacher sous leurs casquettes.

Enfin les travailleurs restés au pays se mirent, à leur tour, à détester la natte, parce qu’ils en eurent peur. Comme, en pénétrant dans le Royaume Céleste, les étrangers y amenèrent les machines perfectionnées de l’industrie moderne, le danger augmenta rapidement, dans les usines et les ateliers, pour les ouvriers qui y étaient employés. Souvent la natte, enroulée autour du crâne, glissait, se prenait dans une courroie ou dans les dents d’une roue et les malheureux mourraient d’une mort prématurée et horrible.

C’est ainsi que, petit à petit, l’introduction de l’outillage moderne en Chine fut cause, en grande partie, de la réprobation universelle parmi l’élément ouvrier, de la façon démodée de porter les cheveux. Autre signe du réveil de la Chine, c’est le sentiment soudain de répulsion manifesté dans toute l’étendue de l’empire contre l’opium, ce terrible narcotique auquel les Célestes doivent leur décadence actuelle. Sans vouloir être prophète, on peut dire que, dans un bref délai, la consommation de la drogue endormeuse sera, sous n’importe quelle forme, interdite dans toute la contrée.

La suppression de ce funeste poison sera un facteur puissant dans la régénération d’une race forte et, peut-être d’ici peu, nous verrons la Chine s’élever à la grandeur qui lui est due par les deux vertus fondamentales du caractère de son peuple : une volonté et une ténacité admirables, étouffées jusqu’à ce jour, par une routine aveugle et un respect inconsidéré des usages et des traditions.



 Oui, le Dragon d’Orient se réveille, une heure mouvante et critique sonne pour lui et quand le « Colosse jaune » sera sorti de son assoupissement séculaire, quand il aura pris conscience de lui-même, alors la vieille Europe aura à compter avec ses 433 millions d’habitants. Toutefois le fameux « péril jaune », venant de la Chine, n’est encore qu’un crainte problématique et éloignée.

Car si jamais les Chinois nous envahissent, ils ne le feront pas militairement, d’abord parce qu’ils ne sont pas une nation guerrière, ensuite parce qu’ils n’auront pas besoin de canons pour nous vaincre. Ils le feront avec leurs marchandises, ils occuperont plutôt nos marchés que nos forteresses.


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Prémonitoire, non ?